France Football annexé par L'Équipe
Conséquence inattendue mais logique de son échec éditorial, le bi-hebdomadaire devient dès la semaine prochaine un supplément (payant) du quotidien sportif.
Auteur : Jérôme Latta
le 2 Août 2011
Le 5 août prochain, les lecteurs de presse sportive vont se voir offrir un produit inédit, où plutôt un package inattendu: les deux éditions de France Football leur seront en effet proposées, les mardi et vendredi, avec celles de L'Équipe – au tarif de 3 et 2,50 euros respectivement. De toutes petites ristournes de vingt et dix centimes pour les lecteurs réguliers de ces deux titres, et une offre dont l'attractivité pour les autres n'apparaît pas évidente. Contrairement à L'Équipe Mag, supplément en "vente forcée" le samedi, le client conservera la possibilité de n'acheter que le quotidien au prix habituel (un euro ces jours-là).
Sauvetage ou enterrement ?
De 2005 à 2010, le support a vu sa diffusion fondre de 33%. Une érosion spectaculaire – qui s'est accélérée en 2010, pourtant année de Coupe du monde –, alarmante sur le plan économique et sans appel quant à l'inadéquation éditoriale du journal. On peut certes se demander pourquoi un magazine diffusant tout de même à 136.000 exemplaires ne parvient pas à assurer son avenir, mais avec ce modèle économique-là, le groupe Amaury opte pour une solution dont on ne sait si elle consiste en une tentative de sauvetage ou en un enterrement anticipé.
Amaury se défendra évidemment de programmer des réductions d'effectifs, mais en pareil cas, le groupe ne devrait pas tarder à évoquer autrement les "synergies" entre les deux titres: pour convaincre leurs acheteurs, ils devront éviter de doublonner les sujets, ce qui réduira mécaniquement le périmètre de France Football, ainsi diminué à l'état de supplément (ajoutons que L'Équipe va fusionner ses rédactions web et papier début septembre). François Morinière, directeur général du groupe L'Équipe, assure pourtant que "les lignes éditoriales demeureront indépendantes, respectant l'ADN de chaque titre". "L'ADN", un échantillon du jargon technocratique cher aux communicants, pas totalement inadéquat toutefois, en ce qu'il traduit l'incapacité de FF à opérer une vraie mutation: les tentatives de rajeunir le journal en dépoussiérant sa maquette [1] (ce qui est surtout revenu à réduire encore la place du rédactionnel) n'ont consisté qu'en un ravalement de sa façade vénérable mais déclassée [2].
Journal facultatif
À l'image de son slogan aussi prétentieux qu'inepte ("La bible du football": une bible bihebdomadaire?), France Football est devenu un objet obsolète en dépit de ses efforts de modernisation. Là où L'Équipe a continué à valoriser son enseigne, la marque FF est tombée en désuétude, incapable d'avoir une résonance contemporaine [3]. Le Ballon d'Or lui-même est devenu trop lourd à porter, et il a été cédé à la FIFA (lire "Ballon d'Or : La FIFA récompensée par France Football et L'Équipe"), mettant fin aux pénibles remises du trophée des mains fébriles de Denis Chaumier – symbole de l'impossibilité, pour le journal, de s'incarner dans des figures ou une signatures emblématiques.
Dans les journaux médiocres, on trouve parfois beaucoup de bons journalistes, mais ce ne sont jamais eux qui y détiennent le pouvoir. Bilieux, moralistes, conservateurs (pour ne dire réactionnaires), les éditorialistes de France Foot ont semblé vouloir parodier leur parodie Jean-Patrick Sacdefiel. Ils n'ont rien fait de leur journal en évitant toute inventivité et toute prise de risque, ont laissé son identité se dissoudre au point de rendre facultative sa lecture – nous-mêmes y ayant renoncé en dépit de la manne qu'elle offre pour la satire du journalisme sportif. Il y avait pourtant un service rendu, avec la couverture des divisions "inférieures", mais faute de vision, FF n'a pas su proposer de réponse à la concurrence du web, de la presse régionale ou des feuilles de choux (But, Le Foot).
Volontiers virulent dans la polémique stérile mais inoffensif pour les pouvoirs en place, prenant quelques libertés avec la déontologie (lire "Des hontes au logis"), pratiquant le journalisme de révérence (lire "Encens unique"), France Football s'est attaché à convaincre de son caractère accessoire. Cette transformation en supplément de L'Équipe est donc assez logique. Et comme gérer un fonds de commerce ne saurait s'apparenter à une véritable ambition éditoriale, ni même économique, le destin de FF pourrait même préfigurer celui de L'Équipe, quotidien épicier assis sur son monopole.
[1] Rappelons, pour l'anecdote et en guise d'indicateur du manque d'originalité de France Football, que lors d'une précédente rénovation, la maquette n'avait pas trouvé mieux que d'adopter comme police de caractères principale... celle des Cahiers du football mensuels.
[2] Le bi-hedomadaire va par ailleurs être disponible sur tablettes, ce qui constituera une rencontre originale entre la presse à papa et un public pour qui "FF" désigne plutôt le Follow Friday sur Twitter.
[3] Disparu depuis plusieurs décennies, le Miroir du Football laissera une trace autrement plus profonde.