Euro : Super-16 contre Fat-24
La phase finale du prochain championnat d'Europe, en 2016, accueillera 24 équipes au lieu de 16... Tout le monde y a intérêt, sauf l'Euro lui-même?
Nous n'en avons décidemment pas fini avec la surenchère: une voix peut bien s'élever pour réclamer un fair-play financier, un plafond salarial, un retour à la sagesse économique, c'est la même qui annonce avec satisfaction l'augmentation du nombre d’équipes qui participeront à son tournoi. On parle de progression, de sens inéluctable de l’histoire, mais cette augmentation est-elle vraiment indispensable?
Politique et ouverture
De 1960 à 1976, lors des cinq premières éditions de l'épreuve, la Coupe d’Europe des nations (rebaptisée Championnat d'Europe des nations en 1968) s'achève par une phase finale à quatre équipes, avec quatre rencontres au programme: deux demi-finales, un match de classement et la finale. En 1980, le tournoi passe à huit équipes réparties en deux groupes désignant directement les finalistes et, avec quatorze matches proposés, adopte un format qui se rapproche de la Coupe du monde. La formule à huit perdure durant trois autres phases finales (1984, 1988, 1992) comportant cette fois des demi-finales alors que le match de classement est supprimé.
Huit équipes, cela donne un tournoi un peu étriqué, où l’on déplore trop d'absents de marque, tombés dans des éliminatoires où l’erreur était interdite. En 1996, seize équipes se présentent en Angleterre. Le tournoi prend alors une ampleur notable par la quantité, trente-et-un matches, et surtout la qualité: la formule offre dès le premier tour des rencontres très relevées, où pas un ténor du continent, sauf accident notable, n'est absent. Il faut croire que cette formule ne satisfait pas entièrement les instances de l'UEFA, puisque l'Euro 2016 présentera un plateau de vingt-quatre équipes. L'épreuve européenne suit la même évolution que sa grande sœur la Coupe du monde, qui avait franchit le pas dès 1982.
Surface de vente
Mais si la FIFA pouvait arguer d’une ouverture sur les continents émergents, l'UEFA peut difficilement tenir le même discours. Certes, les évènements géopolitiques des années 1990 ont significativement augmenté le nombre de pays sur le vieux continent, mais il est peu probable qu’ils aient renforcé le niveau d’ensemble du foot européen. L'UEFA a bien sûr d'autres arguments: l’aspect sportif est une chose, mais le foot est aussi un business, faut-il le rappeler, et l’opération résulte avant tout d'un calcul financier. L'accueil d'un plus grand nombre d'équipes assure une retransmission plus large de l'événement qui contribue à augmenter à la fois l'enveloppe des droits de retransmission, la visibilité des sponsors, le tourisme des supporters ou encore les ventes de téléviseurs. Cette augmentation compense partiellement la répartition des recettes entre vingt-quatre fédérations au lieu de seize et surtout, l'élargissement assure de gagner des voix dans l'optique des futures élections – la stratégie avait fonctionné pour Michel Platini quand il avait promis l'ouverture de la Ligue des champions à un plus grand nombre de pays.
Sur le plan sportif, si l’idée de donner la possibilité aux petits pays de participer à son grand rendez-vous est charmante, la formule élargie donne surtout aux grosses écuries une double sécurité: celle de se qualifier sans trop de problèmes pour la phase finale et d'y avoir un premier tour relativement confortable.
L'Euro dévalué
L'augmentation du nombre d'équipes en phase finale d'une grande épreuve comporte toutefois le risque de dévaluer quelque peu l'événement. On le voit avec la Coupe du monde – et c'est encore plus flagrant depuis qu'elle est passée à 32 équipes: certaines sélections n'ont pas vraiment leur place dans un tournoi final. Malgré des ambitions affichées et une préparation sérieuse, on en voit fréquemment livrer trois matches insipides et rentrer aussitôt à la maison. Les sélections qui "passent au travers" existent certes depuis toujours, mais leur nombre a considérablement augmenté, en toute logique mathématique. La qualité d'un tournoi ne dépend pas du nombre d'équipes en lice, mais de la qualité de chacune d’elles. En outre, l'ajout de huitièmes de finales implique qu'à partir des quarts, les équipes évolueront avec un match de plus dans les jambes par rapport à la formule actuelle – tout au bout de saisons épuisantes pour les internationaux.
Le nombre 16, qui a prévalu durant quatre décennies en Coupe du monde (de 1934 à 1978, soient dix éditions) est pourtant idéal pour ce type d’épreuve. Il a le mérite d’d’offrir au tournoi une formule simple et lisible. Le nombre 24 est plus bancal, qui oblige à des formules tire-bouchonnées comme celle des "meilleurs troisièmes", ouvrant la porte aux calculs les moins avouables. Ce principe permit durant trois Coupes du monde (1986, 1990, 1994) à quelques bras cassés de poursuivre leur parcours au-delà de leur niveau réel. À moins d'inventer une sorte de barrage entre troisièmes, ou d’inviter les téléspectateurs à voter pour les équipes à repêcher (on peut s’attendre à tout), il est très probable que l'Euro 2016 reprendra la formule des "meilleurs troisièmes".
Barnum
Cette formule fait ainsi passer le premier tour du tournoi pour un simple écrémage. Comme celui de la Coupe du monde, la phase de groupes de l'Euro ressemblera à un prolongement des éliminatoires plutôt qu'au début de la phase finale qui, dans l’esprit du plus grand nombre, ne commencera réellement qu'en huitièmes de finales.
Avec le passage à vingt-quatre équipes et 51 matches, le tournoi se transformera en un barnum qui nécessitera des infrastructures de plus en plus lourdes. Ce qui exclura un grand nombre de pays potentiels à l'organisation. Ces dernières années ont vu se multiplier les phases finales de l'Euro organisées dans deux pays (Belgique et Pays Bas, Suisse et Autriche, Pologne et Ukraine...), ce qui atténuait l'unité de lieu d'un tournoi. À vingt-quatre équipes, le phénomène va considérablement s'accentuer, et les tournois pourront même s'étaler sur trois pays ou plus. À moins de ne plus confier l’organisation qu’à quelques pays "riches".
Alors que les sélections sont constamment affaiblies par la puissance croissante des grands clubs, que les internationaux souffrent d'un déficit à la fois physique et de motivation sous la tunique nationale. et que la qualité de jeu dans les phases finales est de plus en plus questionnée, l'élargissement de l'Euro ne répond pas au problème de fond – qu'il risque même d'aggraver. On se souvient que Sepp Blatter avait proposé, lors de son premier mandat à la tête de la FIFA, d’organiser une Coupe du monde tous les deux ans. L’idée avait été rejetée. Mais en gonflant son Championnat d’Europe, Michel Platini ne sera finalement pas loin de donner satisfaction à son ami.