Don't die for me, Argentina
Tribune des lecteurs Les Argentins ne parviennent pas toujours à canaliser leur passion. En soixante ans, 171 personnes sont mortes en allant voir un match, et le championnat a encore été suspendu en septembre...
Après plus de deux semaines de suspension imposée par la justice et la Fédération (AFA), le championnat d’Argentine a repris à la fin du mois de septembre. Le tournoi d’Ouverture (la saison nationale est découpée en deux championnats d’égale longueur: les tournois d’Ouverture (Apertura) et de Fermeture (Clausura), qui attribuent chacun un titre) ainsi que toutes les compétitions nationales avaient en effet été interrompus le 9 septembre par l’AFA. Une décision suivant celle du juge d’instruction Mariano Berges, qui enquête sur les incidents survenus à Buenos Aires le 31 août lors de Boca Juniors-Chacarita. Ce jour-là, à la Bombonera, le stade de Boca où Maradona, Veron, Batigol et Riquelme ont brillé, 71 personnes avaient été blessées. Le juge Berges avait ensuite interdit le 8 septembre la présence des policiers dans les stades de Buenos Aires, empêchant ipso facto le déroulement des rencontres. Il suspecte en effet d’éventuelles négligences de la police face à certains supporters violents, les trop célèbres barrabravas, ces bandes très organisées de hooligans argentins (voir Les hooligans subventionnés du foot argentin).
Depuis 1939, 171 personnes ont trouvé la mort en allant voir un match en Argentine. Le 31 août, la rencontre Boca-Chacarita fut interrompue en cours de seconde période, alors que les ultras des deux clubs étaient en train de s’affronter dans les tribunes. Un énième incident, presque banal au regard de la violence presque quotidienne du football argentin. Mais celui de trop pour Berges, qui prit donc une mesure spectaculaire et reçut le soutien de Julio Grondona, le président de l’AFA, qui décida de suspendre les compétitions. Et pendant deux semaines, toute l’Argentine, toujours affectée par une grave crise économique, était privée de l’un de ses rares plaisirs, de sa passion première: le football.
Cinq responsables de la police de Buenos Aires ont été mis en examen par le juge Berges qui a cependant autorisé le retour des forces de l’ordre dans les stades, permettant à l’AFA de donner son feu vert à la reprise des matches fin septembre. Mais les problèmes de hooliganisme n’ont évidemment pas disparu. Dimanche 12 octobre, à Santa Fé, le match Colon-River Plate (1-2) a dû être interrompu une vingtaine de minutes après l’irruption sur le terrain d’une trentaine de supporters de Colon, protestant contre l’expulsion de "leur" gardien de but à cinq minutes du coup de sifflet final théorique. Raisonnés par plusieurs joueurs de Colon, les énervés ont finalement repris place en tribune.
"Le paysage actuel des compétitions de football est extrêmement dangereux, a expliqué le juge Berges. Une nouvelle suspension est très possible. Les dirigeants rejettent leurs responsabilités sur la police, et vice versa. La Fédération se dit abandonnée par le gouvernement, les clubs disent ne pas connaître les fauteurs de trouble alors que n’importe quel supporter les connaît parfaitement…" Le gouvernement et l’AFA semblent pourtant enfin décidés à lutter réellement contre ce fléau, en prenant des mesures radicales. Alors qu’une nouvelle loi contre la violence dans le football est actuellement étudiée par les députés, le ministère de la Justice a créé une "force spéciale de sécurité" qui a déjà commencé à visiter les principaux stades de Buenos Aires pour en évaluer les systèmes de sécurité (vidéo notamment). L’AFA va modifier l’article 80 de son règlement en augmentant le barème des amendes financières prévues contre les clubs. Surtout, la Fédération va enlever plus de points aux équipes dont les supporters provoquent des débordements. Le retrait minimal passera de trois à neuf points, ce qui mécontente les joueurs.
Les réunions entre dirigeants et le syndicat des joueurs se sont multipliées, le dialogue est engagé, mais l’AFA ne veut pas revenir sur sa décision. Mais des points en moins stopperont-ils vraiment la violence des barrabravas? "Il faut les affronter, reconnaît Grondona, indéboulonnable président de l’AFA depuis 1979, archétype du dirigeant sud-américain. Pour qui se prennent-ils? Les patrons du pays? En tant que dirigeant, ce sera mon dernier défi". Sans doute le plus difficile à relever.
Sources des citations : Clarin et La Nacion.