Comment s'offrir un match?
Après le tennis, le football? Quinze matches européens cette saison sont suspectés de corruption, de même que le troublant 8-0 de Liverpool face à Besiktas. On voit mieux où nous mènent les paris en ligne...
Auteur : Jérôme Latta
le 10 Dec 2007
En suivant d'un œil distrait les péripéties de l'enquête menée sur les matches truqués dans le circuit du tennis professionnel, on pouvait sourire en se disant que, décidément, la petite balle jaune se compromettait avec des pratiques rappelant plus les milieux interlopes de la boxe que le sport préféré de la petite bourgeoisie. Dommage pour l'arrogance qui caractérise souvent l'amateur de foot, mais voilà que l'UEFA vient d'ouvrir une enquête portant sur quinze matches suspectés, cette saison, d'avoir été arrangés par des parieurs en ligne. Le dossier a également été transmis à Europol, l'organe de la police criminelle de l'Union européenne.
Signaux d'alarme
À l'origine de l'affaire, une alerte émanant de la société Betfair à la suite de mises inhabituellement élevée sur un match de coupe Intertoto. L'UEFA aurait ensuite établi la liste des quinze rencontres douteuses. Dans un premier temps, la confédération a assuré qu'il ne s'agissait que de matches de tours préliminaires, dont celui opposant le Cherno More Varna (Bulgarie) et le FK Skopje (Macédoine) au deuxième tour de l'Intertoto, qui a été porté devant la commission de discipline. Mais voilà que le Süddeutsche Zeitung suggère que le fameux Liverpool-Besilktas (8-0) du 6 novembre pourrait avoir été l'occasion "d'approches" de certains joueurs du club turc (rapporté par L'Équipe).
Si les médias restent généralement discrets sur le dossier des risques de corruption dans le football européen, les instances et les pouvoirs publics sont sur la brèche depuis quelque temps. Interpol a ainsi confié à Aujourd'hui en France que des investigations étaient actuellement menées sur la Premier League, la Serie A et la Liga, ainsi que sur les coupes européennes. Autant dire que ce ne sont pas des compétitions mineures qui se trouvent dans le collimateur. La FIFA, elle, a mis en œuvre un système de veille sur les paris, sorte de plate-forme qui associe les bookmakers officiels et mobilise une société créée dans ce but (L'Équipe du 6 décembre). Il s'agit de maintenir une surveillance autour des rencontres qualificatives pour le Mondial 2010.
Les cybercriminels sont des ultra-libéraux
Il faut comprendre que la figure du bookmaker véreux qui traite dans des arrière-salles enfumées a pris un coup de jeune avec l'avènement de la cybercriminalité. "L'essor des sociétés de paris en ligne, disent leurs opposants, offre un champ de développement incontrôlable à des groupes criminels internationaux, souvent d'origine russe ou chinoise, qui peuvent organiser un large système de fraude et se livrer au blanchiment d'argent", écrit Le Monde (5 décembre). Le quotidien souligne également la difficulté de lutter aussi contre l'économie souterraine des paris clandestins, qui s'étend dans le monde entier avec notamment des racines en Asie.
Face à l'ampleur du phénomène, l'UEFA s'avoue dépourvue de solutions et de moyens, tandis que les spécialistes soulignent la difficulté à prouver les fraudes et à faire collaborer les polices de façon transnationale. Une directive européenne sur les paris sportifs est restée en chantier, alors que le besoin d'encadrement de cette activité est pressant. Le problème est bien qu'il faudrait contrôler l'ensemble des flux financiers transitant par le football, qui favorise déjà le blanchiment d'argent sur un marché des transferts particulièrement opaque. Se pose aussi, de manière cruciale, la question de la multipropriété des clubs et de l'origine des fonds investis massivement, au cours des dernières années, dans les clubs européens – en particulier en Angleterre.
L'argent des parieurs intéresse les clubs
La libéralisation de l'économie du football – souhaitée par une Commission européenne qui n'a imposé, en retour, aucun système de régulation – fait le lit de dérives extrêmement graves. Ainsi, Bruxelles devrait bientôt avoir raison de la résistance de Paris, l'État tâchant de retarder la perte du monopole de la Française des Jeux: le marché exponentiel des paris en ligne va donc être livré aux entreprises du secteur, sans grandes contreparties quant à la surveillance de leur activité.
Pour leur part, les clubs voient surtout dans ce marché une nouvelle source de revenus. On se souvient, la saison passée, des remous occasionnés par l'interdiction faite aux clubs d'arborer sur leurs maillots les sponsors arrivés en masse au cours de l'été, tous issus du secteur des paris en ligne (lire "L'argent du book n'a pas d'odeur"). Mais les dirigeants espèrent aussi une manne indirecte en vendant aux opérateurs le droit d'utiliser leurs noms et leurs compétitions (1).
Les clubs, premiers concernés (que leurs joueurs soient corrompus ou victimes de corruption), ne semblent donc pas vraiment préoccupés par les risques qui émergent aujourd'hui. Ils ont pourtant beaucoup à y perdre: qu'un régime de suspicion s'étende sur la pureté des compétitions européennes, et c'est le produit football qui s'en trouverait dévalué. On peut craindre que, obnubilés par les ressources à tirer de ce nouveau secteur, ils ne saisissent pas tout à fait les enjeux.
(1) Cette revendication fait partie du programme de Football avenir promotion (FAP), le lobby récemment constitué sous l'égide de Jean-Michel Aulas et Jean-Claude Darmon (lire "Comment l'élite veut rétrécir le foot", numéro 39).