7 points, 2 mois et 1 an
La Commission juridique a donc tranché, avec une décision qui va faire beaucoup parler d'elle. Quatre mois de suspension pour les joueurs (dont deux avec sursis), pas d'amnistie pour le club, qui se voit retirer sept points, et pas de présomption d'innocence pour Gérard Soler, suspendu un an. Le cas d'Alain Bompard sera soumis à la Commission d'appel et de l'éthique qui examinera son degré de responsabilité. Avant de prendre connaissance des attendus du jugement, ainsi que des éventuels appels des sanctionnés (appels suspensifs), cette décision qui n'est pas gravée dans le marbre doit être commentée avec prudence.
Paradoxalement, les joueurs, pénalement plus coupables que les dirigeants (qui n'ont enfreint qu'une loi sportive), bénéficient d'une certaine clémence, et ne font donc pas office de boucs émissaires, comme on pouvait le craindre. Alex est venu, il a témoigné devant la commission, après avoir été entendu hier à Lyon par le SRPJ. Et il est reparti, en faisant un peu le guignol devant les caméras. Alex, ironiquement élu par un sondage de FF meilleur étranger de D1, n'a jamais montré beaucoup de signes de maturité. Aujourd'hui, comme Maxim Levytsky, il est sous le coup d'une suspension de deux mois ferme en France, qui sera probablement étendue au monde par la FIFA, Joseph Blatter ayant officiellement prôné la sévérité (comme les malversations sont révélées, c'est le moment de les dénoncer, tout à coup…).
Pourquoi sept?
En elle-même, la sanction de sept points indique bien à quel niveau de gravité la Commission situe les faits, et montre qu'elle n'a pas voulu passer l'éponge. Ce qui intrigue, c'est la façon dont est justifiée la facture: les points retirés sont ceux acquis par Saint-Étienne entre la 17e journée (25 novembre) et la 22e (22 décembre), c'est-à-dire à partir du moment où les résultats n'ont plus été homologués, jusqu'à la trêve. Cette période "administrative", arbitraire, ne correspond ni à la période durant laquelle l'ASSE était en situation irrégulière (il ne lui resterait plus que les trois points du dernier match contre le PSG!), ni aux matches disputés en contrevenant effectivement —sur les feuilles de match— au règlement sur les effectifs (sept matches, neuf points), ni à ceux pour lesquels des réserves ont été portée par les clubs (quatre matches, six points).
Relevons que si la Commission s'en tient au caractère définitif de l'homologation des résultats (que la Fédération et la Ligue peuvent pourtant casser), elle adresse un tendancieux message aux tricheurs: le tout est de ne pas se faire prendre avant cette prescription ultrarapide. "Homologué, c'est gagné?". On aurait préféré qu'elle affirme simplement qu'une telle infraction méritait sept points de pénalité, établissant pour l'avenir une sorte d'échelle des sanctions. Mais comme le retrait de points n'est décidément pas une tradition française, il a fallu trouver une justification plus alambiquée.
Quant à la décision prévisible de ne pas accorder les points de ses matches aux adversaires des Verts, elle semble s'imposer si l'on ne veut pas voir le classement sombrer dans l'irrationnel. Il y a là quelque injustice, puisque ces clubs sont tout de même lésés et n'obtiendront pas de réparation, mais franchement, c'est un moindre mal. Et le TFC se consolera en constatant qu'il est "revenu" à trois points de Saint-Étienne ce matin…
Urgences et conséquences
La Ligue devait résoudre une difficile équation, d'une part en prenant une décision rapide, et d'autre part en établissant des culpabilités que les instructions judiciaires ne doivent pas démentir plus tard. Les enquêtes en cours vont-elles ainsi confirmer les "présomptions" à l'égard de Gérard Soler, lourdement sanctionné? D'autre part, la révélation de nombreux cas similaires provoquera logiquement des retraits de points en série, et les conséquences de ce premier jugement seraient considérables.
La Commission présidée par Jean-Pierre Camus savait que son verdict serait d'autant plus observé qu'il devra normalement servir de jurisprudence pour tous les cas qui se présenteraient dans un avenir proche. Le mode de calcul évoqué plus haut (sur la période précise qu'il circonscrit) serait-t-il appliqué tel quel à d'autres clubs pris en fraude? Pour information, Monaco, qui a eu la bonne idée de très peu gagner dans la période considérée, perdrait seulement quatre points, pour un délit comparable.
On voit déjà que le FC Metz présente un cas de figure qui pourrait lui permettre d'échapper à ce couperet, puisque que si Mondragon semble bien avoir utilisé un passeport falsifié, son équipe n'a pas pu dépasser le quota de joueurs hors UE (Skatchenko et Moreno, arrivé début décembre, sont les seuls "non communautaires" lorrains). Là encore, la Commission juridique sera contrainte à un délicat exercice d'interprétation des fautes.
Mais si les révélations se multiplient, elle devra bien appliquer les sanctions selon la même logique et nous aurons cette fois un championnat complètement chamboulé. L'ampleur du séisme dépendra alors de l'ampleur du mal. C'est peut-être le prix à payer pour que justice et équité soient un tant soit peu respectées, mais la Ligue est-elle vraiment prête à l'assumer?
Un doute se profile : en cas d'appel du club, le dossier sera-t-il transmis à la Commission d'appel et de l'éthique, et celle-ci conservera-t-elle sa mansuétude habituelle, ou s'en remettra-t-elle totalement à l'avis de la Commission juridique, nettement plus crédible qu'elle? Dans le premier cas, l'annonce de mesures spectaculaires aura produit son effet au moment où les sanctions seront en fait réduites…
La Ligue poursuit deux objectifs: une gestion politique en douceur du dossier, et l'affirmation de la justice sportive. Combien de temps lui faudrait-il pour abandonner le second? Et qui lui posera la question de sa propre responsabilité?
Les supporters stéphanois vont suivre l'affaire de près, et ils auront beau jeu de développer un syndrome paranoïaque proto-marseillais si leur club fait figure de seul fusible. La décision est déjà très dure, elle serait moins légitime si elle restait isolée. On observera également l'attitude des dirigeants, et particulièrement d'Alain Bompard, dont Gérard Bourgoin, à l'issue de ces longues délibérations, évoquait spontanément la démission ("Pour l'instant, je n'ai pas à lui demander de démissionner" — AFP). S'il se lance dans une série de recours, espérons qu'il n'amalgame pas son destin avec celui de l'ASSE. Car il sera peut-être difficile de sauver à la fois le club et ses dirigeants.