Top 10 : les oxymores du commentaire footballistique
"Démarrer sur le banc", "revenir de hors-jeu", "manquer l’immanquable"… Les commentateurs manipulent volontiers les oxymores – sans s’en rendre compte.
Figure proche de l’antithèse, l’oxymore ne se limite pas à l’assemblage d’un nom commun et d’un adjectif que leurs sens devraient opposer. À partir du moment où l’on réunit des termes, quels qu’ils soient, dont les significations paraissent se contredire, il s’agit d’un oxymore. Cette définition légitimement élargie de l’oxymore permet alors d’atteindre la barre psychologique des dix exemples, qui ne donnent le sentiment du travail achevé qu'à l'auteur.
Démarrer sur le banc
Normalement, au début d'un match, soit on démarre, soit on est sur le banc. Mais lorsque les commentateurs donnent une composition d’équipe, ils présentent qui sera sur le terrain, annoncent qui sera sur la touche, et ils réservent quelques précieuses secondes, qu’ils pourraient passer à se taire, à mentionner ceux qui vont "démarrer sur le banc". C’est-à-dire ceux qui vont rentrer. Mais qui va rentrer? Il y a fort à parier que seul l’entraîneur le sache, et que seul le déroulement du match oriente le choix.
La passe aveugle
L'expression ne désigne pas l'ensemble des passes que l'on fait sans regarder (on n'entend jamais qu'une talonnade est une passe aveugle), mais plus précisément les feintes de regard sur la passe: on ne regarde pas vers le destinataire de la passe, on ne regarde même pas ce qu'on fait, on regarde délibérément "ailleurs", généralement du côté opposé au destinataire. C'est un oxymore d'associer aveugle à passe, car une passe est clairvoyante par définition. La passe aveugle n'est que de l’esbroufe: réellement, à quoi sert la feinte de regard? Si la passe est bonne, à rien. Si la passe n'est pas bonne, à rien non plus.
"Comment fait-on pour choisir cinq volontaires?"
Posée pour meubler avant la séance de tir aux buts opposant la France à l’Italie en 98, cette question de Thierry Gilardi reste un modèle du genre.
Si elle est dedans, c’est pareil
Tout porte à croire que si elle est dedans, ce n’est pas pareil: le fait a été mille fois soulevé et l’expression moquée. Mais tout porte à croire, aussi, que personne ne pense vraiment que si elle est dedans c’est pareil. Rien à voir, donc, avec les autres exemples, que leurs auteurs emploient à leur insu. En remarquant, à très haute voix, que si elle est dedans c’est pareil, il s’agit simplement de signaler que le gardien était aux fraises – et pourquoi ne pas utiliser des figures de style pour s’exprimer? Les formules usuelles qui peuvent être prises au pied de la lettre sont choses rares.
La passe décisive
Espèce discutable d’oxymore, le compte des "passes décisives" est une contradiction qui cache bien son jeu. Supposé être une consécration de la passe, une reconnaissance de la dignité et de l’importance d'une chose aussi simple que la passe, le compte doit finalement tout au buteur, et rien à la passe. Puisque la passe n’est décisive que lorsqu’elle est suivie d’un but (c’est-à-dire, "suivie"? Reprise sans contrôle? Avec deux touches de balle maximum? Et si la passe mal ajustée a obligé l’attaquant à réaliser un geste acrobatique improbable, pour effectuer une frappe qui partait à l’ouest mais qui a été déviée dans son but par Morel par exemple, parle-t-on encore de passe décisive?), puisque la passe n’est décisive que parce qu'elle est suivie d’un but, disions-nous, existe-t-il des passes décisives en elles-mêmes? Pas dans le commentaire sportif, en, tout cas.
Les occasions immanquables
On parle toujours de l’occasion immanquable rétrospectivement ("c’était immanquable"), et toujours pour une occasion manquée. Une occasion, c’est toujours manquable, et aussi professionnalisé que soit le football, il y aura toujours des Brandao pour nous le rappeler.
Revenir à la faute
Indice incontestable du mépris pour les compétences de l’arbitre (l'arbitre revient à la faute: "C’est très bien arbitré!" – comme s’il était extraordinaire d’attendre l'efficacité d'un "avantage" pour siffler la faute ou non), l’expression est oxymorique puisque "revenir à la faute" est contradictoire. S’il y a faute, c’est que l'arbitre est venu la siffler, et s'il n’est pas venu, eh bien il n’y a pas faute. La "faute en soi" n’existe pas. La faute, c’est ce que l’arbitre signale comme une faute. Pas de coup de sifflet, pas de faute.
Perdre contre le cours du jeu
On ne perd jamais contre le cours du jeu. Si on a perdu, c’est que le cours du jeu a mené à notre perte.
Trouver un angle impossible
Cet oxymore se passe de commentaire (et en disant cela, je ne propose pas un nouvel oxymore, mais une contradiction performative: le contenu de la phrase est contredit par l'énonciation même de cette phrase).
Le retour de hors-jeu
Retour de hors-jeu? On pourrait penser que soit on est hors-jeu, soit on n’est pas hors-jeu. Mais apparemment non, on peut aussi être "de retour de hors-jeu": c’est lorsqu’on reçoit le ballon et qu’on n’est plus derrière le dernier défenseur, mais qu’au moment de la passe, on y était. Donc "retour de hors-jeu", cela veut dire "hors-jeu au moment de la passe". Donc retour de hors-jeu veut dire hors-jeu.
* * *
Bonus de la rédaction : le penalty imaginaire
Cette expression est tellement courante que plus personne ne se rend compte de son absurdité: car s'il arrive qu'une faute soit "inexistante" (autre terme consacré), le coup de pied de réparation qui s'ensuit est tout ce qu'il y a de plus réel, puisqu'il est bel et bien exécuté. Le penalty imaginaire, c'est plutôt celui que l'on rêve de voir accorder à son équipe.