All that Jazira
Al-Jazira évince TF1 et fragilise Canal+ en rendant payante toute la Ligue des champions, mais pour proposer quel produit?
La catastrophe du début d'année au Japon n'a pas très longtemps restreint l'usage journalistique de l'expression "séisme". Le fait est que les bouleversements sur le marché des droits télé français ont tenu ces derniers mois de la tectonique des plaques. Le fonds d'investissement QSI ne s'est en effet pas contenté d'acquérir les droits de la Ligue 1 pour l'étranger, innocent ballon d'essai, ni le Paris Saint-Germain, choc culturel de plus grande ampleur, mais aussi pour son propre compte, en France, une large partie du championnat (lire "Al-Jazira, ça ira, ça ira")... et pour continuer l'essentiel de la Ligue des champions à partir de la saison prochaine. En attendant d'autres surprises qui pourraient concerner les Euros 2012 et 2016, le paiement à la séance de la Ligue 1 voire la Coupe de la Ligue et quelques autres championnats européens – à commencer par la Liga – afin d'alimenter des deux chaînes (comprises dans le même abonnement) qui seront crées ex-nihilo l'an prochain sous une appellation encore inconnue.
Entrée payante
Avec Al-Jazira, Canal+ voit se dresser un concurrent dont il sera plus difficile d'avoir raison que de TPS ou Orange. Il a déjà sérieusement rétréci l'offre de football de la chaîne cryptée, contraignant celle-ci à se rabattre sur le lot des treize matches premium de la C1 auparavant détenus par TF1 – transformant au passage la Ligue des champions en spectacle exclusivement payant. Canal+ apparaît comme la principale victime de la diplomatie médiatico-sportive du Qatar (avec Antoine Kombouaré), mais le téléspectateur va aussi faire les frais, littéralement, de l'extrême marchandisation du football. Ce dernier lui-même risque gros, à perdre ainsi de la visibilité en se réservant à des fractions d'audiences et en compromettant sa popularité: cette évolution alarmante et les autres aspects de la redistribution des cartes sur le marché des droits télé sont abordés dans l'article "Coupe d'Europe: la C1 passe au péage" sur Une Balle dans le pied (lire aussi "Vers une fracture cathodique du foot?" chez Moustache FC).
Initialement prévu en début d'année 2012, le lancement de la nouvelle (double) chaîne a été reporté à la fin du printemps et devrait la rendre disponible sur toutes les plates-formes (câble, satellite et ADSL, à l'exclusion de la TNT), ce qui promet notamment des discussions délicates avec CanalSat. Au-delà du produit et de ses conditions commerciales, il reste à savoir ce qu'elle proposera en termes de qualité pour se différencier – ou non.
Le film de Charles
En faisant appel à Charles Biétry, les Qataris ont décidé de faire confiance à la vieille école, celle qui avait jadis fait le succès de Canal+, sans que l'on sache quel Biétry effectue un si fracassant retour: le journaliste qui avait révolutionné la retransmission des matches de football ou le pontife de la fin des années 90 qui s'était lui-même infligé un terrible retour de bâton en prenant les rênes du PSG?
Théoriquement, il y aurait beaucoup à réinventer, en profitant de la régression de Canal+ – en panne d'inventivité et qui a fait le choix d'une certaine médiocrité éditoriale (en se ralliant à la devise "Ménès partout, qualité nulle part" et en manifestant un étonnant mépris pour le jeu). On aimerait notamment que la réalisation arrête la surenchère qui compromet la compréhension des matches et qu'elle cherche de nouveau à innover au lieu d'empiler les images (lire "Le match réel existe-t-il?"). Dans la réalité hélas, la tradition devrait encore favoriser un recrutement mêlant badernes usées jusqu'à la corde (mais toujours recyclables dans les réseaux du microcosme télé-footballistique), jeunes premiers déjà aguerris à la niaiserie de rigueur dans le métier, et réalisateurs aussi technophiles qu'arbitrophobes...
Alors que l'inquiétude est vive dans les équipes de Canal+, Al-Jazira a annoncé cent cinquante embauches. Le principe des vases communicants pourrait s'appliquer aussi aux personnels. La transhumance ne serait pas très compliquée: le nouvel opérateur a choisi de s'installer à Boulogne-Billancourt, comme TF1 et Canal+.
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