Lyon entre trois feux
Ce n'est pas l'avenir de Claude Puel qui se joue cette saison, c'est celui d'un l'Olympique lyonnais qui cumule les difficultés sportives, managériales et économiques.
Auteur : Jérôme Latta
le 2 Nov 2010
L'Olympique lyonnais est-il devenu plus intéressant depuis qu'il a cessé de remporter titre sur titre, et connaît ce qui ressemble à une vraie crise – "vraie" au sens de comparable à celles qui minent régulièrement nos "grands clubs" historiques? Même des fuites dignes d'un vestiaire du Camp des Loges sont de la partie. Car cette fois, c'est avec un statut de place-forte nationale que l'OL affronte une période troublée, inédite dans la mesure où elle n'a que de lointains rapports avec les affres rencontrés dans l'ère pré-aulassienne, et où elle diffère très sensiblement des remous traversés par le club alors qu'il était encore en phase de construction de son hégémonie (1).
Une crise sportive, vraiment ?
Certains datent le début de cette période critique à la saison 2008/2009, terminée sans titre national après sept années d'hégémonie – disette qui s'est poursuivie l'exercice suivant et a aussi concerné les autres compétitions. Mais c'est ignorer les deux podiums synonymes de qualification en C1 et l'accession aux demi-finales de la Ligue des champions – marque paradoxale d'une progression à l'échelle européenne. Faut-il, alors, diagnostiquer un basculement dans une crise aiguë au début de la saison en cours? L'entame catastrophique du club plaide évidemment pour cette thèse, avec ce qu'elle a entraîné d'interrogations et de secousses internes. Pourtant, au soir de la 11e journée (incomplète), l'OL ne compte que six points de retard sur un leader dont on peut douter qu'il mène son échappée jusqu'au bout, et trois sur la troisième marche du podium où Marseille, Saint-Étienne, Toulouse et Montpellier se poussent du coude (voir le Classement en relief). Autant dire que rien n'est perdu, y compris pour le titre, du moins si l'on considère que l'équipe a bien le potentiel sportif d'un champion.
Cette interrogation en épouse une autre, au point d'occuper tout le terrain: Claude Puel, objet d'une campagne très hostile à son encontre, a-t-il l'étoffe pour amener sa formation au titre? Sur ces pages, sauf s'il s'agit de Luis Fernandez, on se garde de porter des jugements définitifs sur les entraîneurs (notamment par respect pour un métier qui exige des compétences dont nous ne détenons pas le dixième). On se rappelle ainsi que le technicien ombrageux avait échappé de justesse à son éviction à Lille, avant de connaître une réussite sportive qui allait faire de lui, aux yeux des médias et des observateurs qui l'accablent aujourd'hui, comme le nec plus ultra de la profession.
Une crise de gouvernance, presque
Les entraîneurs lyonnais ont toujours eu, depuis le début des années 2000, à subir des critiques personnelles notablement découplées des résultats obtenus, ce qui a notamment eu pour effet de nourrir une indulgence rétrospective – voire des regrets – après leur départ. Le doublé décroché par Alain Perrin avant son départ en est une illustration assez parlante, sans remonter à Le Guen et Houllier. Cette fragilité paradoxale avait tenu pour une large part à la position ambivalente du coach dans l'organigramme lyonnais, avec un président omnipotent et omniprésent, et un conseiller spécial très influent sur le secteur sportif. L'entraîneur a souvent paru n'être qu'un prestataire de service, dont Jean-Michel Aulas lui-même avait estimé la durée de péremption à trois ans.
Claude Puel dispute sa troisième année, mais ce que son cas a de spécifique réside dans la décision de lui confier les responsabilités étendues d'un manager, et surtout dans le soutien inédit de son président, qui en a fait un choix personnel... non sans risques, mieux mesurés aujourd'hui. Car dans le contexte lyonnais, avec un président indiscutable et un effectif qui conserve du prestige, c'est justement l'entraîneur qui va concentrer tout le ressentiment. La campagne menée par les supporters, avec déploiement de banderoles hostiles au travers de toute la ville, n'a pas de précédent et s'apparente à un lobbying d'une rare virulence.... JMA, qui a tendu le bâton avec un soutien à son technicien devenu plus ambigu ces dernières semaines, se trouve contraint d'entrer dans un rapport de force incertain avec les ultras (2).
Une crise économique, vraiment
Le 5 octobre, le club a annoncé une perte nette de 35,6 millions d'euros pour l'exercice 2009/2010, contre un bénéfice (déjà très en recul) de 5,3 millions sur le précédent. L'an passé, le club s'était mis sur un fil avec un recrutement très onéreux (plus de 75 millions pour Lisandro Lopez, Bafetimbi Gomis, Michel Bastos et Aly Cissokho), qui impliquait de réaliser des ventes substantielles l'été suivant. Avec l'effondrement du marché des transferts, l'espoir est resté vain, et le club a même de nouveau consenti des investissements lourds avec l'acquisition de Yoann Gourcuff et Jimmy Briand (en plus de Lovren arrivé au mercato d'hiver). Et encore les 22 millions consacrés à Gourcuff n'ont-il pas été inscrits sur cet exercice.
Pour retrouver l'équilibre, le club doit désormais miser sur des plus-values estimées à près de 75 millions, pour un "actif joueurs" qu'il évalue à 207,7 millions. Un montant virtuel tant qu'il n'a pas été réalisé sur le marché, et qui impliquerait de se priver de moyens sportifs en cas de dégraissage non compensé par des recrues de même niveau... En attendant, la masse salariale, qui a augmenté de 17% la saison passée, grève les comptes du club.
Difficile de croire en la thèse de "l'incident de parcours" avancée par Jean-Michel Aulas lors de la présentation des chiffres: si le club conserve des atouts, comme l'importance de ses fonds propres ou la hausse à venir des contrats de sponsoring (Adidas, Betclic, Groupama), il devra affronter une situation très dégradée. Dès lors, la perspective du grand stade OL Land, repoussé à l'hypothétique échéance de fin 2013, est moins à compter parmi ces atouts qu'au rang des incertitudes, l'Olympique lyonnais ayant perdu de sa capacité à le financer. Au point que certains analystes financiers déplorent un changement de modèle économique initié par un JMA devenu excessivement aventureux (3).
Ces dernières semaines ont vu le président Aulas se laisser aller à des réactions de plus en plus périlleuses ou scabreuses, avec le discours face au kop le 25 septembre après le derby perdu, la gifle infligée à un spectateur d'Arles-Avignon, l'altercation avec Vincent Duluc de L'Équipe et l'échange de textes vengeurs avec le quotidien sportif. Est-ce encore de la stratégie, ou le symptôme d'une perte de contrôle dont on a souvent perçu les signes avant-coureurs chez le président lyonnais? Un redressement sportif permettrait d'éteindre ces incendies, sans offrir de garanties suffisantes pour l'avenir économique de l'OL, ni pour lui trouver une formule de management durable. Inversement, une non-qualification pour la C1 aurait des répercussions considérables, pas seulement pour l'entraîneur s'il est encore en place en fin de saison (4).
Alors on ne sait pas si l'Olympique lyonnais est plus intéressant quand il est en crise, mais on peut être sûr que le reste de sa saison sera passionnant.
(1) Le 19 janvier 2003, le centre d'entraînement de Tola-Vologe était envahi par une cinquantaine de supporters, alors que le club tenait une réunion de crise après ses éliminations dans les trois coupes par Denizlispor, Libourne et Sochaux.
(2) "Nous avons des difficultés et si une partie du public, mais celle aussi qui fait le plus de bruit et nous supporte le plus, est contre les gens du club, cela veut dire que l'on est avec l'adversaire. Ce n'est pas supportable." (lemonde.fr)
(3) Des analystes financiers (cités par France Football du 7 septembre et L'Expansion de novembre) estiment que le club utilise trop les fonds levés en bourse pour réaliser des achats de joueurs, plutôt que pour le projet lui-même. Ils perçoivent "une moins grande rigueur dans la gestion des comptes", estimant que l'OL est "désormais bien loin de [sa] stratégie [initiale]", qui reposait notamment sur une "politique salariale contenue" et sur "l'achat de joueurs à prix raisonnables".
(4) Grâce à ses participations régulières et à la quote-part affectée aux clubs français en proportion des droits de diffusion payés par les médias nationaux, l'OL figure au 5e rang des clubs les mieux rémunérés par la Ligue des champions: avec près de 168 millions pour la période 2003-2010, il est placé derrière Manchester United, Chelsea, Arsenal et l'Inter Milan, mais devance le Barça, le Bayern, Liverpool, l'AC Milan et le Real Madrid (lire aussi "La Ligue des champions, un squat de riches"). (source: Stage Up / Direct Soir).