Que fais-tu là, Isabelle ?
Afin de mieux cerner les perspectives de carrière pour les femmes dans le journalisme sportif de télévision, nous avons mis Isabelle Moreau sur écoute lors de Canal Football Club.
Auteur : Jérôme Latta
le 29 Oct 2009
1h13 du programme dominical phare de Canal+, comment ça se passe pour la seule femme sur le plateau? Enregistrement de l'émission du dimanche 25 octobre.
Le film du match
1ère minute.
Présentation, plan sur son sourire.
10e.
Première page de publicité, on n'a pas encore entendu Isabelle Moreau.
18e minute.
Question à Robin Leproux : "Pardonnez-moi ma question, mais vous-même, vous allez être à l'isolement, du coup?" [blague inaudible sur le plateau, éclats de rire] "J'étais pas inquiète", précise-t-elle après la réponse.
24e.
Plan de coupe sur son sourire.
28e.
Tentative de prise de parole. Denoueix continue, Menès prend le relais. Perdu.
29e.
"Vous ne parlez pas du gardien mais Hugo Lloris, ils sont quand même super dépendants de lui. C'est grave quand il n'est pas là". C'est Pierre Ménès qui répond, sur le ton de celui qui relève une évidence: "Quand t'as le meilleur gardien français dans tes buts, c'est normal que t'en sois un peu dépendant", avant de préciser: "Je disais pas ça pour être agressif [main sur son bras]. "Je m'en doute bien", lâche-t-elle avant de lever les yeux au ciel... excédée ou bonne fille?
33e.
"On a entendu quelque chose d'étonnant de la part de la Fan girl, qui dit que vous avez commencé le football à treize ans seulement, c'est vrai? C'est ça?"
45e.
Plan de coupe sur son sourire.
49e.
"Vous en avez parlé avec Yoann, de ce penalty?"
50e.
"Il est pas très fan ce soir Pierre, il est... [moue]".
45e.
Plan de coupe sur son sourire.
59e.
"Vous êtes passé par Auxerre, ça n'a pas été une bonne saison pour vous, vous étiez blessé?" "Et comment vous expliquez votre réussite à Bordeaux qui est connu pour son esprit d'équipe, c'est un groupe bien soudé, Souleymane Diawara était très bien intégré, ça n'a pas été difficile pour vous finalement?" "Ils vous ont bien accueilli?".
62e.
Plan de coupe, pas de sourire.
69e.
La question Facebook ("On a passé le cap des 200.000, Pierre") pour Mickaël Ciani, "Lequel des deux est le plus sympa au boulot, Christian Gourcuff ou Yoann?"
Bilan
• Un tiers des apparitions d'Isabelle Moreau consiste en plans sur son sourire.
• Elle a le temps de parole le plus court de toutes les personnes présentes sur le plateau.
• Elle pose des questions simples.
• Ses collègues ne vont pas cacher un peu de condescendance à son égard.
• Son rôle de co-animatrice est complètement subalterne par rapport à Hervé Mathoux, seul maître de cérémonie qui lui délègue seulement le soin de poser quelques questions à l'invité.
• Elle ne donne pas son avis : elle est spectatrice des débats menés par les experts, comme le formule son "vous" de la 29e minute.
• Son grand moment est la question Facebook, qui lui permet d'enchaîner plusieurs phrases, mais consiste à poser la question de quelqu'un d'autre dans une version modernisée du standard téléphonique des émissions de débat sur Antenne 2 en 1978.
Les débats qu'on pourrait lancer
• Sans évoquer son physique, peut-on parler de fonction essentiellement décorative pour Isabelle Moreau, et sans employer le terme tendancieux de "potiche" (1), dire qu'elle joue les utilités?
• Quel peut bien être son degré de consentement ou d'exaspération envers la place qui lui est laissée?
• Faut-il lui rendre justice du fait qu'elle dit finalement moins d'âneries que ses confrères?
• Y a-t-il objectivement un manque numérique de femmes qualifiées dans le journalisme sportif télévisuel, ou bien la notion de qualification dans ce métier est-elle en soi complètement hors de propos?
• Les femmes journalistes "sportives" doivent-elles, dans une optique de progression, accepter ce genre de postes peu gratifiants comme une étape vers une plus grande reconnaissance, ou bien est-ce cette acceptation qui pérennise le caractère subalterne du rôle qu'on leur confie?
• Est-ce qu'une journaliste ou une consultante extrêmement compétente mais qui serait aussi jolie que Pierre Ménès ou Guy Roux aurait une chance de figurer au casting de Canal Football Club?
NDLR : après un mois d'octobre chargé (lire "Liberté d'éructation" et "Comment se faire éculer"), novembre sera un mois sans Canal Football Club sur les Cahiers (engagement non contractuel).
(1) La notion de "potiche" peut servir à dénoncer les formes de relégation que subissent les femmes lorsqu'elles ne sont sélectionnées que sur leur physique ou sur des qualités présumées féminines – selon un processus qui renforce les stéréotypes à leur égard et les fait se conformer à la demande. Mais inversement, elle est parfois employée abusivement pour qualifier une femme qui, en dépit de sa plastique avantageuse, justifie sa position par des qualités réelles. Le terme est alors l'outil d'une vision sexiste qui exclut par exemple de qualifier de potiche des consultants comme Zinédine Zidane.