Grégory Coupet aura réalisé une belle carrière, très largement identifiée à la trajectoire de l'Olympique lyonnais, au point peut-être d'être marquée par la culture d'entreprise, empreinte d'une certaine frustration. Il peut ainsi s'honorer d'un incroyable total de sept titres nationaux, mais pas du rayonnement international que son talent aurait justifié. Et quand il accéda enfin au statut de n°1 en équipe de France, ce ne fut pas pour y laisser une trace très marquante, la précision des tirs hollandais n'ayant pas excusé sa prestation de mime aux yeux de ses détracteurs, un soir à Berne (1).
Il peut tout de même légitimement estimer que sa fidélité à l'OL – si rare dans sa corporation (un peu moins dans la confrérie des gardiens) – et sa constance au plus haut niveau ne lui auront pas valu une juste reconnaissance. Quand nombre de ses partenaires devenaient les égéries des équipementiers et des jeux vidéos, lui se contentait de faire la promotion de la Halle aux chaussures et d'afficher ses "valeurs" (2). Carrées comme sa mâchoire, plates comme sa mèche.


Mister débine
En a-t-il conçu quelque aigreur ou quelque jalousie? Lui-même, tout au long de ses belles années lyonnaises, n'a cessé d'accréditer l'hypothèse, accordant à intervalle régulier des interviewes vindicatives. Déplorant la mentalité de ses coéquipiers, soupirant contre leur manque de discipline – de rigueur – de respect (rayer la mention inutile), Grégory Coupet y exprimait immanquablement ses regrets et le sentiment de son propre décalage.
Le dernier en date, publié par Lyon Mag, n'a pas manqué d'alimenter la controverse avec un ciblage de Karim Benzema, pris pour exemple d'un "système qui pourrit tout" et d'une "nouvelle génération" en laquelle Coupet "ne se reconnaît plus du tout" (3). "Je ne pouvais rien dire. Car tu ne peux plus rien dire aux jeunes, ils n'écoutent plus", se désole-t-il encore (4). Comme à chacune de ses sorties acrobatiques devant les micros, on se demande si le néo-Madrilène calcule son effet pour exister médiatiquement, ou s'il est simplement trahi par son besoin de déballage.





Y a plus de respect
Cette thèse que le gardien de l'Atlético n'est pas le seul à défendre correspond-elle à une réalité aussi profonde qu'on le dit, ou n'est-elle que l'expression éculée de cet adage qui dure au bas mot depuis un siècle: les jeunes, c'était mieux avant? À l'échelle de sa carrière, Coupet sermonne "les jeunes" depuis si longtemps que les premiers à en avoir fait les frais sont devenus "des vieux". À l'échelle du football, cela fait des décennies que l'on oppose les générations en confondant l'évolution du foot-business et celle des footballeurs. Et à l'échelle de la société, la rhétorique du "respect qui se perd", cette antienne si rentable politiquement, ne permet même plus d'en débrouiller la réalité tant elle est devenue un lieu commun et un fantasme tout à la fois.
La question se pose quand même: car enfin, si ni Didier Roustan, ni Dominique Rocheteau ne parviennent à leur inculquer le respect, qui diable y parviendra?


"Malaise"
De toute façon, les jeunes sont des cons. Par définition, le jeune menace l'ancien et convoite sa place. De plus, le jeune obéit à des coutumes capillaires et vestimentaires qui heurtent le bon goût et la bienséance tels que la génération précédente les a établis. Alors dans un contexte contemporain qui exacerbe l'individualisme et le cynisme, le Coupetosaure est menacé d'extinction.
La thèse est à la mode, dans le sillage d'un Euro à la suite duquel l'explication dominante, pour l'échec de la sélection française, aura été le "malaise" entre les générations. Ajoutez à cela l'esclandre de Ben Arfa à Marseille et les confidences de Gallas sur le jeune S., et vous tenez un mets de choix pour les débatteurs professionnels. Marronnier ou serpent de mer, le thème est pourtant sempiternel au moins depuis l'avènement d'Anelka.

La France qui arrive à l'heure
L'examen des charges fait pourtant douter de leur gravité. Prendre la place d'un mandarin dans le car ou oser rétorquer à ses consignes, ce n'est ni un délit, ni un crime contre l'équipe. L'indignation de Coupet dans Lyon Mag a tout de même quelque chose de dérisoire: "Voir arriver des mecs en retard à l'entraînement, ça me faisait péter un câble. Moi, si je devais avouer à ma mère que j'ai payé mille euros d'amende parce que je n'ai pas été capable d'être à l'heure à l'entraînement, j'aurais honte".
Alors certes, vivre avec des individus dont les oreilles sont presque toujours bouchées par divers appendices électroniques, qui semblent ne pas savoir lire l'heure sur leurs montres hors de prix, sont plus prolixes sur leurs contrats chaussures que sur leur amour du maillot et infligent à leur environnement la diffusion non-désirée de R'n'B, cela peut taper sur les nerfs d'un fan de Michel Sardou. Mais leur cas n'est peut-être pas désespéré et toute pédagogie n'est pas exclue.


Antijeunisme
Le problème, c'est au moins autant les "vieux". Et pour en revenir à notre mouton blanc perdu au milieu des moutons noirs, le problème, c'est aussi Coupet. Fin septembre dans un entretien-règlement de comptes accordé à France Football, il évoquait l'équipe de France en parlant de joueurs "ligotés" et de "dictature" (lire "Sorties hasardeuses"), en ajoutant déjà une touche d'herbe plus verte à son antijeunisme: "Ici, les jeunes du club sont respectueux. Ils vous laissent leur place dans l'ascenseur quand il est complet: je n'avais plus l'habitude à Lyon..."

En tant que modèle, Grégory a dû apparaître à ses jeunes coéquipiers alternativement très ennuyeux avec son caporalisme, et pas très solidaire, à se défausser de ses responsabilités en s'épanchant périodiquement sur leur compte dans la presse. Comme William Gallas, il laisse finalement planer autant de doutes sur la capacité des aînés d'aujourd'hui à assurer leur autorité et leur leadership moral sur les jeunes, que sur la mentalité déficiente de ces derniers. Les vieux aussi, c'était mieux avant?



"Je te jure. Il ne m'a pas tenu la porte. Alors je l'ai dit à ma mère et après, j'ai appelé un journaliste".

(1) Coupet a disputé l'Euro 2008 au terme d'une saison durant laquelle il a presque tout le temps été blessé. Son regret de ne pas avoir été titulaire en 2006 n'est pas usurpé, et l'on oublie injustement sa contribution aux Bleus lors des nombreuses "vacances" de Fabien Barthez.
(2) "Je suis un homme de valeurs" (France Football, 30 septembre)
(3) On s'amusera de ce que, le joueur ayant contacté L'Équipe pour "réduire la portée de ses déclarations" sur son ancien coéquipier, le quotidien sportif n'en a pas moins titré l'article "Coupet allume Benzema" (édition de vendredi).
(4) Ne craignant pas d'être contradictoire, Coupet admet : "En fait, je ne me suis pas pris la tête avec des joueurs, mais intérieurement, cela me bouffait".