Domenech en sursis, l'équipe de France en danger
En maintenant Raymond Domenech sous conditions et en consacrant l'ingérence d'intérêts extérieurs, la Fédération a-t-elle fait le plus mauvais choix pour les Bleus?
Auteur : Jérôme Latta
le 7 Juil 2008
En 2004, l'outsider Domenech avait coiffé sur le fil les favoris pour succéder à Jacques Santini. Quatre ans plus tard, c'est en survivant à un contexte hostile qu'il a obtenu son maintien au poste, après avoir adapté son discours à la demande ambiante.
Mais à quel prix – pour lui-même et pour la sélection – a-t-il assuré cette survie? Une partie de son staff risque d'être sacrifiée, sa communication sera sous contrôle (1), le soutien de Gérard Houllier renforce d'abord la position de ce dernier (2), les missions d'organisation lui sont retirées, on l'enjoint d'édulcorer sa personnalité et il est sous la menace d'une éjection rapide en cas de patinage dans les éliminatoires de la Coupe du monde 2010...

la sélection aussi
Surtout, au-delà du cas de Domenech, en "encadrant" les prérogatives du sélectionneur, la Fédération a ouvert les portes de la sélection à une foule d'intérêts qui peuvent être directement contradictoires avec ceux de l'équipe de France. Peut-être que l'organisation récente de cette dernière a confiné à l'autocratie, mais son autonomie devrait tout de même être préservée en tant que condition essentielle de sa réussite. Or, si constat sévère de Jean-Pierre Escalettes a le mérite de ne pas éluder les dysfonctionnements (3), contrant ainsi le reproche d'un manque de remise en cause, la tutelle qu'il a imposée amoindrit aussi bien le sélectionneur que la sélection.
La transparence en matière de communication (4), exigée par les médias, laisse par exemple craindre que les intrigues et les malveillances vont pouvoir refaire leur œuvre au sein même du groupe. Sera-t-il possible, dans ces conditions, de trouver un équilibre entre un verrouillage excessif et la multiplication des "sollicitations" qui avaient été fatales en 2002? Le "Club France 2010", comité de surveillance auquel participeront des dirigeants de clubs, aura également son mot à dire, même si on se demande bien lequel.
Peut-on décréter le spectacle ?
Domenech avait déjà refusé de mourir avec ses idées en changeant ses plans en cours d'Euro, il semble aussi enclin à survivre avec le projet des autres, puisqu'il devra suivre le mot d'ordre du président de la FFF: "Plus jamais de France-Roumanie. Montrez-nous que vous voulez prendre des risques". Et c'est bien cela qui semble le plus discutable dans l'opération: le sélectionneur se laisse imposer un cahier des charges dans un domaine qui devrait être exempt de toute ingérence extérieure, celui de ses choix d'entraîneur (5).
Prôner un football offensif n'est pourtant que la tendance du jour, impulsée par un succès espagnol qui ne vaut que pour l'Espagne et ses joueurs. Le problème est pris complètement à l'envers si l'on veut bien considérer que la logique consiste à se demander quels partis pris tactiques conviendraient le mieux aux internationaux dont on dispose (6).
En outre, cette option plaisante mais démagogique pourrait s'avérer complètement erronée dans un contexte de qualifications dont on sait à quel point elles peuvent être compliquées. Les mêmes qui veulent du spectacle seront les premiers à fustiger une éventuelle carence défensive... En attendant, Domenech semble accepter de se muer en prestataire de services chargé de répondre à la demande, quitte à laisser rétrécir sa fonction.

Si l'analyse, en n'oubliant pas que les responsabilités sont partagées et en n'ignorant pas les aléas sportifs qui ont plombé le destin des Bleus en Suisse, la décision de la Fédération entérine la fragilisation d'un sélectionneur en sursis, sous le feu de médias très majoritairement hostiles qui vont noircir le tableau, entretenir les polémiques, nourrir les tensions et diagnostiquer des "crises" aux moindres difficultés.
Tout en fixant des objectifs, la FFF compromet leurs chances de réalisation et montre l'ampleur de ses doutes sur l'homme qui dirige les Bleus. Celui-ci devra même rendre des comptes au bout de trois matches qualificatifs, en octobre. C'est sur un siège désormais éjectable qu'il s'est maintenu.
Si Domenech a apparemment cédé sur toute la ligne pour rester quelques mois de plus avec l'écharpe tricolore sur l'épaule, il devra se montrer autrement plus vaillant pour durer jusqu'au Mondial 2010.
(1) Jean-Pierre Escalettes : "La communication de Raymond a été par moments désastreuse, trop personnalisée. C'était du vinaigre que l'on versait sur une plaie. Il faut que cela change".
(2) Le DTN et le sélectionneur ont été chargés de mener une évaluation du staff technique. Un "manager" pourrait faire son apparition dans l'organigramme.
(3) "Plus que les résultats eux-mêmes, dépendants de la performance des adversaires et des aléas de la haute compétition, ce sont les conditions de fonctionnement de la sélection nationale et la communication personnelle de Raymond Domenech qui sont critiquables", a estimé le Conseil fédéral, tandis que Jean-Pierre Escalettes parlait "d'échec retentissant" et de "détérioration de l'image de l'équipe de France".
(4) Le président de la FFF a validé l'idée d'une "équipe triste, qui ne faisait pas rêver, parce qu'elle était enfermée à double tour", évoquant aussi des "joueurs distants, frileux, repliés sur eux-mêmes". Les joueurs devront d'ailleurs signer une "charte" les incitant au "respect du maillot, de l'arbitre, de l'adversaire, du public, de l'hymne national", sous peine de sanctions.
(5) Après son mea culpa, Raymond Domenech a présenté au Conseil fédéral un "projet de jeu d'animation offensive tout en sachant que cela impliquera peut-être plus de risques" (Gérard Houllier, propos rapportés par L'Équipe). Le sélectionneur se serait également engagé à faire plus appel aux jeunes.
(6) Raynald Denoueix a souligné dans L'Équipe que "Aragonés a procédé ainsi en fonction de ses joueurs (...) La France ne peut pas faire de l'Espagne. Copier est la pire des choses".