Journée de la meuf chez les sportifs
Quand le foot et les médias spécialisés font sa fête à la femme, ils font attention à ne pas la décoiffer.
Auteur : Pierre Martini
le 10 Mars 2008
Jamais en retard d'une bonne cause, quinze jours après avoir découvert les affres du racisme, le football français n'a pas manqué le rendez-vous de la "Journée internationale de la femme", habilement (ou pas) couplée avec l'action "Libertad por Todos" en faveur des otages colombiens – ce qui montre bien que la Ligue 1 est résolue à lutter contre tous les fléaux qui affligent l'humanité.
Des femmes comme il faut
Le matin dans nos kiosques, L'Équipe mettait d'ailleurs les femmes à l'honneur sur sa une. Enfin, un panel de neuf femmes triées sur le volet, qui ont "accepté de nous parler de sport": Eva Longoria, Anaïs, Sheryfa Luna, Hélène Darroze, Julie Depardieu, Anne-Sophie Lapix, Alexandra Rosenfeld (Miss France 2006), Shirley et Michèle Laroque. Grosso modo, de la donzelle triomphante, pipole et bien coiffée, pas de la ménagère qui se laisse aller ni de la licenciée au Tennis Club du coin (1).
Au sein de la rédaction de L'Équipe, où on a entamé la longue marche vers la parité (arrivée prévue en 2078), on cultive une image de la femme dont on avait déjà pu mesurer la subtilité au moment de la sortie de son premier hors-série "L'Équipe féminine" (lire la Revue de stress du #20 des CdF). On sent que le journal a encore besoin de se convaincre que les femmes peuvent dire des choses "passionnantes" sur le sport – à condition toutefois de le faire avec leur œil de femmes, dûment rimmellisé. D'ailleurs, de quoi parlent les trois athlètes invitées en page 2? De leur corps, évidemment.
Du côté de Canal+, on a consenti un geste pour marquer le coup: l'antenne de samedi a été largement laissée à deux animatrices habituellement vouées à jouer les utilités: Valérie Amarou et Isabelle Moreau. Histoire de bien montrer que, libération de la femme ou pas, on reste au 19e siècle, la première se verra offrir un bouquet de roses en direct, de la part de Frédéric Marie Joseph Bruno de Laparre de Saint-Sernin, le très old-fashioned président du Stade rennais qui n'a pas vraiment vécu les Seventies du côté des féministes et des gauchos. La femme reste cette jolie chose à laquelle on accorde sa galanterie – cette misérable concession du sexisme institutionnel.
Pour s'en convaincre, on se propose de transcrire la présentation de Toulouse-Sochaux par Xavier Giraudon, toujours en cet après-midi de samedi sur la chaîne cryptée (2). Le journaliste aux improvisations lexicales et syntaxiques qui rappellent l'inénarrable Karl Olive était en terrain fertile: celui du TFC d'Olivier Sadran, fertile en opérations marketing pittoresques autour de sa fameuse "Bootik" officielle. C'est d'ailleurs sous le terme "d'opé" qu'Alexandre Ruiz lancera le sujet depuis Paris.
Xavier Giraudon : "Il y aura 3 à 4.000 femmes invitées pour un euro symbolique au stade pour soutenir Toulouse ou bien Sochaux, et puis surtout pour être prises en main, choyées, il y a du maquillage, de l'habillage, il y a des massages prévus, il y a même – allez on le dit – un petit défilé lingerie qui sera organisé juste avant le match quand ces hommes seront dans les tribunes. Ça va être très féminin, très sourire, une rose très symbolique et très sympa a été offerte à toutes ces belles de Toulouse et de Sochaux. Voilà, un accent très romantique de ce sommet (sic) qui, lui, soyez sûrs au coup d'envoi sur cette pelouse dans trois quarts d'heure, sera bel et bien un vrai match d'hommes entre Toulouse et Sochaux".
Une "journée internationale" par an, un bouquet de fleurs, et elles sont contentes. Ah ah, elles sont trop connes.
Ingrid, est-ce que tu baises?
Pardon pour l'explication de texte, mais tout y est: les fleurs, le maquillage et la lingerie, pour rappeler que les femmes, forcément "belles" (il n'y avait pas d'atelier intelligence au Stadium), ce sont ces trophées qu'on pose sur le canapé en leur accordant de temps en temps un bon de sortie dans nos viriles tribunes. Parce que quand même, au coup d'envoi, c'est le cliché éculé du "match d'hommes" qui est convoqué – on veut bien être "romantique", on n'est pas des gonzesses pour autant.
Reprenant l'antenne au terme de ce laïus touchant de sincérité, Isabelle Moreau (on jurerait qu'elle a soupiré) y est tout de même allée de son bémol: "Je vous rappelle que cette journée internationale de la femme, ce n'est pas uniquement l'occasion de se faire pomponner, cette journée est dédiée en France à Ingrid Betancourt". Ingrid Betancourt qui, soit dit au passage, s'est quand même bien laissée allée niveau maquillage et fermeté de l'épiderme, sur sa dernière vidéo.
(1) Le tout présenté sous le titre "Paroles de femmes", qui évoque un magazine de confessions érotiques.
(2) On aurait aussi pu mentionner le publi-hebdomadaire gratuit Sport, qui consacre une page à l'étude Nike-TNS sur les pratiques sportives des Européennes, en face d'une page de publicité... pour Nikewomen.