Restons classiques
Tribune des lecteurs - Dans une "entreprise classique", selon Jean-Luc Gripond, Mickaël Landreau aurait été viré. Soit, considérons donc le FC Nantes comme tel...
Voilà l'entreprise FC Nantes, son patron Jean Luc Gripond, ses actionnaires Dassault (majoritaire) et Socpresse, ses employés administratifs et techniques (les joueurs) et leur représentant (surnommé capitaine), ses cadres (le staff). Son activité: le football. Ses clients: les supporters, qui payent un abonnement aux fins d'assister à un spectacle plaisant à ses yeux et techniquement efficace, au point de le porter, à terme, en leader du marché national du spectacle footballistique. À noter que ces mêmes clients s'impliquent parfois au-delà de l'achat des prestations de base (le spectacle), en investissant dans les produits dérivés qui, en plus de fournir une manne supplémentaire à l'entreprise, participent de son image de marque. Certains vont même jusqu'au bénévolat, apportant une aide humaine et matérielle afin de mettre les techniciens dans les meilleures conditions, valorisant par là-même le spectacle, activité principale.
Révolution managériale
Le décor est planté. Considérons le passé de l'entreprise qui a, par huit fois lors des quarante dernières années, terminé son exercice par un leadership technique, portant même son savoir faire sur le marché européen, se classant même il y a neuf ans parmi les quatre meilleures entreprises d'Europe sur ce marché bien spécifique. Considérons également son image de marque, bien que ce thème soit plus subjectif: savoir-faire technique (jeu à la nantaise), stabilité des cadres développant une stratégie maison (Arribas, Suaudeau...), politique réputée de formation, tant au niveau des ouvriers que des cadres.
Penchons nous maintenant sur la période juin 2001- janvier 2005. Nous partons d'une position de leadership, acquise quelques mois après l'arrivée de l'actionnaire SOCPRESSE, à l'époque majoritaire. Techniciens et cadres maison, position valorisante sur le marché européen, perspectives d'avenir avec un véritable capital humain. La nouvelle direction se lance alors dans une politique de développement marketing visant à rajeunir et moderniser l'image de marque. Création d'un site Internet sur la santé, organisation d'universités d'été, modification du logo de l'entreprise... D'autre part, la nouvelle direction tient à laisser son empreinte dans les méthodes traditionnelles du club, concernant les primes dévolues au personnel administratif notamment.
Quel bilan ?
D'un point de vue relationnel: une ambiance délétère, une rupture totale entre les différentes composantes de l'entreprise et la direction, le cloisonnement — qui entraîne la multiplication des clans, réseaux d'influence, et courants de pensée. Ceux-ci s'opposent, remettant systématiquement en cause le travail des cadres techniques. En témoigne une célébration des soixante ans de l'entreprise, muée en célébration des quarante ans en Ligue 1, à l'occasion de laquelle certaines figures brillent par une absence contestataire.
D'un point de vue marketing, l'échec est cuisant. Le site Internet anonyme, des universités d'été qui ne déclenchent pas l'enthousiasme, un logo contesté, une image de marque brouillée. Les clients feront remarquer leur désolation devant le déplacement du logo, pour laisser la place du coeur à un sponsor...
D'un point de vue financier : un trou apparu au lendemain d'un exercice victorieux, suivi d'une campagne européenne dont on sait qu'elle fût fructueuse, et un déficit continuel, ayant toujours besoin de plus de financement, mais dont on commence à croire qu'il est chronique à défaut d'être avéré. En découlent des doutes sur la réelle implication des actionnaires, et l'emploi judicieux des bénéfices antérieurs.
D'un point de vue technique: perte totale de crédibilité nationale, d'efficacité et du savoir-faire maison, fronde des salariés. D'autre part, cette période se démarque par la relative et inhabituelle instabilité des cadres techniques, qui seront en janvier 2005 au nombre de quatre en quatre ans, alors même que les quatre derniers s'étaient partagé vingt ans de la vie de l'entreprise.
D'autre part, ces constats d'échec doivent être interprétés comme de récurrentes erreurs de recrutement, qui se répètent au niveau du technique. Associée à la vente des meilleurs éléments aux entreprises concurrentes, cette saignée de compétences humaines amène logiquement une décrédibilisation de la société, comme en attestent les affaires Danciulescu et Farias, voire la récente panique autour du cas Keserü.
Le nouvel actionnaire et les mutinés
Le cercle vicieux se referme au niveau des compétences avérées de la société FCN. Partie d'une place de leader national, placée sur le marché européen, celle-ci a rétrogradé d'un coup à la dixième place, puis la neuvième, la sixième, et se situe à mi-exercice 2005 en seizième position... Le marché européen n'est qu'un lointain souvenir, puisque ce sont trois ans de disette qui viennent de se succéder, les Tchèques se montrant cette année plus performants... Cela a au moins le mérite d'éloigner le spectre d'une délocalisation.
Voilà donc une situation brouillée, accentuée par l'irruption involontaire et inassumée d'un actionnaire majoritaire qui n'a aucune visibilité sur le marché, ni aucune perspective. D'autre part, à sa méconnaissance du secteur d'activité s'ajoute une ignorance totale de la culture propre à cette entreprise vieille de soixante ans. Logiquement, les employés placés en première ligne, en proie au doute, perdent patience, après quatre ans d'inefficience de la direction. Par la voie de leur représentant, voilà qu'ils s'expriment, dénoncent les insuffisances de leur encadrement.
La direction répond par des menaces de sanctions contre le capitaine, qui ne joue pourtant que son rôle social au sein de l'entreprise. Le plus invraisemblable dans cette affaire étant que les clients sont en immense majorité derrière les employés! Voilà donc ceux-ci qui se resserrent autour de leur porte-parole, menacent de grève tant que celui-ci sera sanctionné, approuvent son coup de gueule. Et une direction qui, pour calmer le jeu, coupe des têtes, rejetant la faute sur ces derniers.
Dans une entreprise classique, qui aurait vu en quatre ans son image de marque bafouée, son savoir-faire anéanti, ses clients manifester continuellement leur mécontentement, sa position stratégique chuter au niveau national, sa position internationale disparaître tout bonnement et enfin son recrutement tourner à la catastrophe, non seulement Mickaël Landreau n'aurait pas pu être licencié, mais le président ne serait plus en place depuis longtemps.
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