Mains occultes et hors-jeu du genou
Deux "mains" et un "hors-jeu": Lyon-Lens a confirmé l'incroyable incompétence de ceux qui se permettent de juger la compétence des arbitres sans comprendre ni l'esprit, ni la lettre des règles.
Auteur : Pierre Martini
le 2 Oct 2007
Il y a des épisodes très ordinaires auxquels les membres de la famille du foot tiennent à donner du relief en s'y mettant à plusieurs, l'acharnement collectif n'étant pas la moindre de leur spécialité. Dans ce registre, le lynchage d'arbitre reste le principal loisir pour des bataillons de consultants et de journalistes désœuvrés. Prenez le match Lyon-Lens: un véritable cas d'école pour nos cancres las, ravis de placer le football et ses règles sous l'angle du PBDC (plus bête dénominateur commun). Et qu'ont-ils de plus commun que leur détestation machinale des arbitres?
C'est l'intention qui compte
La foudre s'est donc abattue sur Thierry Auriac. En cause notamment: deux "mains" dans la surface qu'il aurait oublié de transformer en penalties, suscitant les glapissements d'Olivier Rouyer durant la retransmission sur Canal+. S'agissant d'évaluer l'intentionnalité d'une main, dans des cas aussi ambigus, on pourra pourtant discuter indéfiniment, soumettre les actions à des panels de spectateurs ou d'arbitres, on en viendra toujours à la même conclusion: ces actions sont discutables, elles ne dégagent aucune unanimité, ne peuvent être jugées que subjectivement. Et un éventuel "arbitre vidéo" se trouverait dans une impasse à chaque fois qu'il aurait à statuer à froid, contrairement à l'arbitre qui doit se décider dans le feu de l'action.
Malgré tout, l'esprit binaire de nos amis de la télévision ne peut se résoudre à cette indécidabilité. Le verdict tombe, définitif: "Y a penalty" (Rouyer, 73e minute). "Oh là là là là, ben oui, c'est pas possible, c'est dingue ça (...) C'est pas volontaire certes (...) Moi j'arrive pas à comprendre ces décisions d'arbitre, c'est kekchose qui m'insupporte. C'est fou ça" (Rouyer, 80e). "Là aussi il y avait une main, et là aussi, il y avait penalty" (Margotton, 80e). (1)
Le hors-jeu au microscope
L'autre "tournant" du match s'est déroulé en fin de première période : l'ouverture du score de Fabio Santos aurait dû être, selon les annulée pour une position de hors-jeu du Brésilien. "Révélateur" à l'appui, nos professionnels de l'image arrêtée croient disséquer l'action alors qu'ils ne font que rester bloqués sur une infime portion de celle-ci. Pourtant, le prétendu avantage pris par le buteur est centimétrique, et tient donc avant tout de la qualité de la passe et de celle de l'appel. On oublie évidemment de constater que, sur l'action, la défense lensoise est complètement dépassée, au sens propre. Ce sont les Lyonnais qui font la différence, pas l'arbitre.
Dans un amusant pas de deux, Olivier Rouyer et Grégoire Magotton reconnaissent du bout des lèvres la logique de la décision arbitrale tout en insistant sur les conséquences ("Mais ça pèse lourd pour Lens"). Ils ont beau admettre que le doute doit profiter à l'attaquant, on sent que cette décision leur reste un peu en travers de la gorge. Durant la pause, Rouyer enfonce son clou: "On a dit hors-jeu de très peu, mais quand il y a hors-jeu, il y a hors-jeu".
On en revient à cette vision complètement infantile de la règle du hors-jeu, consistant à l'appliquer à la lettre, double-décimètre en main, plutôt que d'essayer d'en respecter l'esprit et la finalité (lire "Pour en finir avec le hors-jeu au centimètre"). Car dans l'esprit, il n'y a aucune raison que le but de Fabio Santos soit refusé. En salle de presse, Papin pourra dire qu'il n'a "pas aimé l'arbitrage"... comme si les entraîneurs devaient "aimer" l'arbitrage.
Le révèle à tort
Cette comédie n'est pas complète. Car si l'envie nous prend, comme ces obsédés, de nous pencher sur le fameux révélateur et de lui accorder le pouvoir de dire la vérité, le constat est aussi clair que possible: la ligne est placée à hauteur du pied du défenseur, alors que son genou est manifestement devant – ce qui tendrait à "remettre en jeu" l'attaquant lyonnais.
Chers amis, le réalisateur de Canal+ qui nous bassine avec ses ralentis et ses images arrêtées (au lien de nous remontrer cette splendide action dans son intégralité) ne connaît même pas la règle du hors-jeu, qui stipule que doit être prise en compte n'importe quelle partie du corps (à l'exception des bras). Genou compris. Et l'image arrêtée se met à "révéler" une apparence contraire à la première...
Comble de l'aveuglement, Joël Quiniou, dans sa chronique de L'Équipe, tout comme Sébastien Tarrago dans son compte-rendu du match, n'ont pas pris la peine de regarder l'image et ont donc basé leur analyse... sur la foi du commentaire d'Olivier Rouyer. Après le cercle vicieux, voici le cercle idiot, qui voit chacun s'enfoncer dans l'erreur de l'autre. Et pendant ce temps, un trio arbitral qui fait correctement son boulot se fait fustiger par des incompétents notoires...
Qu'attendent les arbitres ou leurs instances représentatives pour rentrer dans le lard de ces tartufes et leur retourner leurs politesses? Pour créer un blog qui tiendrait la chronique de leurs pitoyables erreurs? S'ils ont besoin d'un coup de main...
(1) Phénomène étonnant: Rouyer énonce la règle (la main n'est pas volontaire), mais la réinterprète à sa guise (alors qu'il affirme par ailleurs qu'être hors-jeu de dix centimètres ne se discute pas). Joël Quiniou va plus loin dans sa chronique et donne dans le biétrisme en écrivant: "Le seul critère de l'intentionnalité de la main dans la surface n'est pas satisfaisant. (...) Je considère en effet qu'à partir du moment où un joueur – de façon délibérée ou non – repousse le ballon avec le bras parfaitement décollé du corps, il y a dans son inconscient une volonté, malgré tout, de chercher à enrayer illicitement la progression adverse". Non seulement un ancien arbitre nous ressort la fable du "bras décollé du corps", mais en plus il invite ses confrères en activité à sonder l'inconscient des joueurs...