Tapie et l'OM : départ ou clandestinité ?
L'OM voit donc son nouveau patron et PDG d'Eric Soccer, Christophe Bouchet, prendre doucement ses fonctions. Cette entrée en matière consiste avant toute chose à démentir les trois quarts des intentions ou des allégeances qui lui sont prêtées. Les spéculations vont en effet bon train sur la place de Bernard Tapie dans le futur organigramme, officiel ou officieux, de même que sur l'éventuelle placardisation d'Etienne Ceccaldi. La plupart des observateurs ont estimé que le choix du journaliste était d'abord un camouflet pour le comédien, celui-ci ayant qualifié de "plaisanterie" l'hypothèse de la nomination de Bouchet avant qu'elle soit confirmée.
Auteur de plusieurs livres, dont un très critique sur la première ère Tapie à Marseille (L'aventure Tapie), son arrivée rue Negresko semble coïncider avec une mise à l'écart de l'ex-responsable sportif plus qu'avec une simple mise entre parenthèses. Le bilan de Tapie est en effet bien loin de ce qui était annoncé au moment de son retour, forcément tonitruant. Envolées, les promesses de titre, les noms ronflants et les 53 millions d'euros consacrés au recrutement. Cette énième saison de transition n'a une nouvelle fois servi à rien, sinon à augmenter l'impôt marseillais sur la fortune de RLD, à ajouter une nouvelle série d'affaires judiciaires, de rixes pathétiques et de suspicions en tous genres. A l'arrivée, il faut, une nouvelle fois, tout reprendre de zéro sur le plan sportif.
Certains, imaginatifs, avaient affirmé en juin dernier que RLD n'avait rappelé Tapie que pour se débarrasser de lui une bonne fois pour toutes. Leur hypothèse devient plus crédible, même si la constance des erreurs de Louis-Dreyfus plaide pour une réalité plus banale. Pourtant, c'est encore un autre scénario qui a récemment été proposé.
L'OM toujours sous la tutelle de Tapie ?
Concernant la nomination de Bouchet, on aura remarqué l'article totalement à contre-courant paru dans L'Equipe du 20 avril, qui livre sous le titre "Tapie en sous-main" une interprétation radicalement différente de celle de ses confrères. Dominique Rousseau expose en effet la "complicité qui unit Robert Louis-Dreyfus et Bernard Tapie", de même que le rapprochement récent entre Tapie et Bouchet ("auteur d'un court-métrage notoirement hagiographique en 2001"), et conclut à la "vrai-fausse sortie" de Tapie. Le journaliste explique ainsi la manœuvre : "Malgré les dénégations de Robert Louis-Dreyfus, l'existence d'un deal entre lui et Tapie est bel et bien avérée. Dans cette construction machiavélique, Etienne Ceccaldi est commis aux basses œuvres mais il doit se cantonner à un ravalement de façade (…) Il est désormais clair que qu'Etienne Ceccaldi n'a été nommé que pour donner un aspect crédible au toilettage de l'OM afin de séduire de nouveaux investisseurs".
Selon D. Rousseau, Ceccaldi est donc la principale victime de l'opération. Sa méthode "pieds dans le plat" semble effectivement avoir irrité l'actionnaire majoritaire, après le déclenchement brutal de la "lessive" promise en son temps par Yves Marchand. La "tutelle" du milieu n'a ainsi pas l'air d'une légende pour la police judiciaire. Reste à savoir ce qui peut être démêlé de cet écheveau. On se doute que Louis-Dreyfus ne se présente vraisemblablement pas de gaîté de cœur devant tout ce que Marseille compte d'autorités, mais en même temps, chacun s'est appliqué tout à la fois à minimiser les paroles de Ceccaldi et à justifier sa démarche.
La première conférence de presse de Bouchet, hier 24 avril, lui a ainsi permis d'affirmer sa confiance en l'ancien magistrat de même que de confirmer ses prérogatives. Démentant que le "milieu" soit au cœur de l'OM, il a reconnu qu'il opérait à ses "marges" ("on constate qu'il y a eu ces derniers mois des choses étonnantes liées au monopole de certaines personnes dans le domaine des agents. On va revenir à des pratiques normales, je vais y veiller" — AP).
Il a également démenti tout arrangement entre Tapie et RLD ou entre Tapie et lui concernant sa venue ("Aujourd’hui nous entretenons des relations normales. Et sincèrement, je ne pense pas qu’avoir des relations normales avec quelqu’un veuille dire que l’on est proche de lui"). Il a même semblé confirmer la mise à l'écart de l'ex-propriétaire du Phocéa, en lui rendant hommage qui sonne comme un adieu: "Bernard Tapie n'aura pas de rôle la saison prochaine. Il a souhaité prendre du recul. Il fait cependant partie de la légende de l'OM, il n'est donc pas question de le mettre dehors comme un malpropre". Pas comme un malpropre, mais dehors quand même, croit-on comprendre. Et c'est bien ainsi qu'est comprise la mise au point du nouveau patron par les journalistes (agences et télévisions en ce mercredi soir).
Le nez dans le ruisseau, la faute à Rousseau
Une certaine perplexité est de rigueur devant le grand écart entre l'article de L'Equipe et l'interprétation inverse émanant du reste de la presse. Dans le panier de crabe marseillais, nous serions bien en peine d'apporter nous-mêmes des éléments de preuve, mais il nous est permis d'examiner la situation.
Le 20 avril dernier, Tapie ironisait plutôt gentiment sur Bouchet, qu'il "n'aurait pas choisi" à la place de RLD. "Il m’a toujours attaqué, déclarait-il. Mais il a aussi changé. Il y a quelques années, il avait peut-être trop de certitudes". Cela semble insuffisant pour conclure à une collusion, mais celle-ci ne serait de toute façon pas avouée. Plus explicité était l'appréciation du boss sur le travail de Ceccaldi: "Les informations que j’ai en ma possession me laissent penser que c’est un peu l’histoire de l’arroseur arrosé. M. Ceccaldi a fait la Une des journaux en assurant que le club était sous la tutelle du milieu. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il n’y a pas plus de mafia à l’OM que chez les marchands de frites. Pour réussir, Christophe Bouchet devra certainement exiger de la part du directeur général plus de silence".
Cet entretien assez complaisant avec BT relève peut-être de ce que Rousseau appelle "l'intense campagne " dirigée contre le directeur général de la SASP, "du fait des relais de Tapie dans la presse". En admettant que Ceccaldi soit réellement en disgrâce, celle-ci signifie-t-elle que Tapie est bel et bien la main invisible qui continuera de diriger l'OM? Pourra-t-il encore le faire par-dessus les autres responsables — Bouchet, Ceccaldi, mais aussi le futur manager sportif et l'éventuel entraîneur? Selon D. Rousseau, le nomination de Mézy, dont la candidature est officiellement soutenue par Tapie, viendrait justement parachever le montage …
Alors que et qui croire? L'hypothèse de notre "confrère" de L'Equipe est crédible, mais elle est étayée de bien peu d'éléments concrets et elle est compromise par son total isolement. Sa consœur Hélène Foxonet, elle-même impliquée dans le contentieux entre l'OM et L'Equipe, ne s'engage pas sur le même terrain (dans France Football cette fois). Rousseau court le risque d'être taxé de paranoïa (sa propre expression de "construction machiavélique" renforce ce diagnostic) ou d'être accusé d'agir par pure rancœur. Bouchet s'est exprimé plutôt vigoureusement: "Il est strictement impossible que je sois un proche de Bernard Tapie, vous pouvez dire que j'ai les cheveux blancs ou noirs, mais que je suis chauve, non. L'exploitation de bribes de rumeurs sans tenter de vérifier est inacceptable".
D'un autre côté, les voies de l'OM, celles de Tapie et celle de RLD (qui souffle systématiquement le chaud et le froid) sont impénétrables, et l'on a souvent raison contre tous les autres dans ce genre d'environnement. L'insistance avec laquelle certains acteurs ont tenu à démentir l'interprétation du journaliste constitue une forme de reconnaissance de celle-ci. On a aussi appris que Marc Fratani, tête de pont de Tapie, a été maintenu dans des fonctions de "directeur de l'administration sportive", même s'il abandonne celles de responsable de la communication…
L'avenir dira si la vérité était là, ou ailleurs. Dommage de devoir attendre, et dommage que le destin de l'OM soit encore une fois suspendu au résultat de perpétuelles luttes d'influence.