Droits sportifs : naissance d'un empire
Pour évangéliser le populo, Jean-Claude Darmon peut compter sur TF1, dont le plateau est toujours ouvert aux amis du Variétés Club. On fera l'économie d'une nouvelle diatribe en vous renvoyant à celle qui avait suivi le précédent passage du "grand-argentier-du-football-français" de l'émission phare (ou plutôt de l'émission ampoule de 30 watts) de TF1 : Darmon chez les nuls (13 novembre 2000), puisque Darmon est comme la dernière fois venu ânonner son refrain sur la fiscalité française et la cotation des clubs en bourse.
Mais JCD avait une raison de venir, cette fois, puisque la fusion entre son groupe, Sport+ et UFA Sports a été officialisée la semaine dernière. Les filiales de Canal+-Vivendi et Bertelsmann fusionnent donc, et avalent le groupe de notre aventurier du football. Bizarrement, il en a à peine été question durant Téléfoot.
Depuis près d'un an, une série d'événements majeurs ont marqué une certaine accélération de son destin. En juillet, ses affidés du Club Europe remportent la victoire contre Le Graët et s'emparent de la Ligue. En novembre, Canal Numedia* annonce la création d'une joint-venture avec la société de Darmon, nommée Nusport, pour constituer une "plate-forme" regroupant l'exploitation de leurs sites football. En mars, Freegoal, le site de Darmon, concluait un partenariat avec CanalNumédia. A force de multiplier les signes, et pour donner raison à des rumeurs persistantes, un rapprochement analogue était devenu inévitable sur le terrain des droits sportifs, donc avec Sport+. La forme qu'il prendrait restait en suspend, et surtout la question du partenaire : déjà actionnaire du Groupe Darmon, c'est Bertelsmann-RTL qui inaugure peut-être une série de collaborations avec Vivendi.
Darmon ne possédera pas plus de 10% du capital de la nouvelle entité, son entreprise, cotée au second marché et dont le territoire est essentiellement national, est microscopique en comparaison des deux géants qui l'absorbent. Mais sa position de force en France et sa connaissance du métier lui assurent la présidence de la nouvelle entité, qui n'a pas encore trouvé de nom. Il sera flanqué de deux directeurs généraux issus de chacun des deux actionnaires majoritaires (à parts équivalentes). Cette opération, malgré les risques encourus lorsque l'on se place entre les mâchoires d'un étau, assure probablement la survie de Darmon dans un univers de plus en plus dominé par les mastodontes de la communication.
Opposés sur bien des marchés, les groupes des wonder quadras Jean-Marie Messier (Vivendi-Canal) et Thomas Middelhof (Bertelsmann-RTL Group) ont des raisons de s'entendre sur le sport, afin de s'opposer à l'hégémonie de Kirch sur les droits mondiaux de télévision et de marketing. La reprise d'ISMM-ISL en faillite par Vivendi ayant échoué (probablement parce que cette faillite est trop considérable…) et empêché la conquête immédiate d'une position de force sur le marché des droits télé, la nouvelle structure devra jouer la carte du développement. Non sans quelques armes: axée à 90% sur le football, elle détient d'ores et déjà les droits de 320 clubs dans le monde et de 40 ligues ou fédérations nationales (Le Monde 22/05).
L'emprise des empires de la communication s'étend donc sur le football, et le football français n'est malheureusement pas "en retard" sur ce point, puisqu'il se retrouve au cœur du nouveau dispositif. Darmon gère déjà les droits de quatorze clubs de D1 et de l'équipe de France, Canal est diffuseur et sponsor du championnat, propriétaire d'un club et des droits de nombreux joueurs via Sport+… En clair, c'est Bouygues et TF1 qui se retrouvent en position de faiblesse, n'ayant pas pris position au cœur même des industries sportives.
Les présidents de clubs ont réagi avec une certaine perplexité à cette annonce, exprimant de vagues inquiétudes et de vagues optimismes. On a un peu l'impression que tout cela les dépasse un peu. Et en effet, tout cela les dépassera probablement.
*Numedia est la structure "Internet" de Canal, usine à gaz virtuelle qui a renoncé à gérer les sites de joueurs —les cédant en janvier dernier à AthleteLine (sauf celui de Zidane)— a procédé à une réorganisation en février et démentait en avril vouloir procéder à une vague de licenciements. La "nouvelle économie" du football a du plomb dans l'aile?