Carragher comme à la guerre
Après cinq cents matches avec le Liverpool FC, Jamie Carragher a encore envie d'enflammer Anfield.
Auteur : Steven Ar Ruz
le 17 Jan 2008
Mardi soir, il y avait enfin une bonne raison de faire la fête à Anfield. Non pas que la victoire acquise 5-0 en rattrapage face aux amibes de Luton Town – avec à la clé le deuxième triplé de Gerrard pour les Reds – eut sauvé la pénible saison ni réellement rassuré le public. C’est l’histoire d’amour du Liverpool FC avec un de ses chouchous qui passe un cap: James "Jamie" Lee Duncan Carragher vient de disputer son 500e match sous ses couleurs de toujours, à quelques jours de son trentième anniversaire.
Revenir de nulle part
Celui qui fut lancé dans le grand bain par Roy Evans en janvier 1997, à l’occasion d’une défaite en coupe face à Middlesbrough, devient ainsi le quatrième Scouser le plus capé de l’histoire (1). Formé au poste de milieu défensif dans l’Academy où il côtoya Michael Owen, il débuta pour dépanner au poste de défenseur central, puis Gérard Houllier le décala sur la droite à l’arrivée de Hyypiä et Henchoz, puis sur la gauche, les fans le surnommant alors "Mr Versatile".
Mais qu’importe son placement, "Carra" sera de toutes les campagnes sous le règne du technicien français, notamment le quintuplé en 2001 (2), puis de toutes les déceptions qui suivirent. L’année 2003 sera particulièrement pénible: cinquième place en championnat et remise en cause de la défense de Houllier, arrivée du latéral irlandais Finnan et grave blessure.
L’aventure aurait alors pu s’arrêter là, mais le numéro 23 des Reds est du genre obstiné: il se remit sur pied en un temps record et récupéra sa place dans le back four, à droite ou au centre selon les circonstances. Ce retournement de situation contribua à écrire la légende du défenseur teigneux qui revient toujours de nulle part.
Tacles désespérés
Si, comme tout Britannique qui se respecte, il maîtrise le jeu de tête et le duel aérien, la qualité principale de Carragher n’est certainement pas le placement ni l’anticipation. Là où des légendes comme Blanc, Baresi ou Campbell défendaient en marchant, se contentant d’être là où il faut quand il faut ou de faire parler la supériorité physique, il faut avouer que Jamie se prend régulièrement des vents, laissant de précieux dixièmes de seconde à ses adversaires. Et c’est là qu’intervient la "spéciale Carragher". Alors que l’attaquant semble déjà trop loin et que le but semble inéluctable, il parvient, dans son style inimitable, à le rattraper en trois foulées désespérées, et à tacler au moment précis où l’adversaire arme son tir, déménageant proprement dans la même fraction de seconde le ballon et les membres inférieurs de l’infortuné qui s’y voyait déjà.
Bref, c’est spectaculaire et cela démontre suffisamment d’abnégation pour que le Kop, jamais avare d’une chansonnette, lui dédie sa version du "Yellow Submarine" des Beatles:
"And number 1 is Carragher,
Number 2 is Carragher
Number 3 is Carragher
Number 4 is Carragher
We all dream of a team of Carraghers
A team of Carraghers
A team of Carraghers"
Matches épiques
Eté 2004: Gérard "Ouh Yeah" est remercié par le board de Liverpool. L’Espagnol Rafael Benitez débarque de Valence et stabilise enfin Carragher en défense centrale. Il s’impose même alors comme un taulier de l’équipe, pendant défensif du milieu de terrain Steven Gerrard. L’épopée en Champions League l’assoit comme un des tout meilleurs défenseurs européens, notamment grâce à quelques matches défensifs épiques – comme les demis face à Chelsea ou la prolongation face à Milan en finale. Au cours de celle-ci, son histoire se muera en légende quand, perclus de crampes et allongé dans le gazon au moindre contact, il trouvera encore les ressources pour tacler in extremis Chevtchenko et exhorter ses coéquipiers à ne rien lâcher.
Comparée aux succès obtenus avec les Reds, sa carrière sous le maillot de l’Angleterre est relativement moins glorieuse. Il obtint la première de ses 26 sélections en 1999 face à la Hongrie grâce à Keegan, mais n’a jamais été considéré comme un premier choix par Eriksson puis McClaren. Les présences à différentes périodes de Campbell, Ferdinand, Terry, Neville et autre King ne lui permirent que des apparitions épisodiques, quand ce ne furent pas les blessures qui le privèrent de phase finale, comme en 2002. De guerre lasse, moins motivé par le maillot aux Trois Lions que par la tunique rouge, il demanda cet été à ne plus être appelé en sélection. Et l’image la plus marquante de Jamie en blanc restera ce tir au but face au Portugal en quarts de la Coupe du monde 2006, réussi dans un premier temps, mais annulé par l’arbitre et stoppé par Ricardo à la deuxième tentative.
A l’entendre et à le voir, on peut espérer que ses plus belles années sont encore à venir. La quête d’un titre en Premier League est une priorité pour ce natif de la banlieue de Liverpool, qui a vécu toute sa vie sur les bords de la Mersey, est marié à une amie d’enfance et continue de s’impliquer jour après jour dans la vie associative et sportive locale. Au point de posséder une part minoritaire dans le club… d’Everton! Gamin, il supportait en effet les Toffees, et milite actuellement contre le déménagement des Blues de Goodison Park en banlieue.
(1) Il pourrait dépasser d’ici quelques années les légendes Ray Clemence et Emlyn Hughes (665 matches). Ian Callaghan (857 matches) semble hors d’atteinte pour l’éternité.
(2) League Cup – FA Cup – Coupe de l’UEFA – Charity Shield – Supercoupe d’Europe.