Les ambitions de nos moyens
À la veille de France-Corée et pour espérer aller plus loin dans la compétition, l'équipe de France doit-elle commencer par réviser ses prétentions à la baisse? Avec l'appui d'un grand analyste, remettons les Bleus dans le droit chemin...
Auteur : Pierre Martini
le 17 Juin 2006
Avec ses quatre diffuseurs qui multiplient les émissions "magazines" quotidiennes et les invités, c'est peu dire que le destin incertain de l'équipe de France est débattu dans les grandes largeurs, à commencer pas ses options tactiques. Dans une débauche de sciences inexactes, chacun y va de sa théorie et de sa solution: deux attaquants, trois récupérateurs, Saha, Trezeguet, Makelele devant la défense, Vieira sur le banc, 4-2-3-1, 4-4-2, Ribéry à tel moment, la défense à telle hauteur, etc.
Un malentendu tragique
À la base de ces spéculations: la grande frustration née de France-Suisse et de l'impression que la sélection nationale manquait d'un peu de tout, et surtout d'idées. À moins que ce ne soit de pétrole. En tout cas, qu'elle était bien loin de prendre son destin en main. Une impression persistante... depuis quatre ans, avec à chaque tournoi final le spectacle d'une équipe dans direction de jeu, dans tous les sens du terme. Comme si elle n'assumait pas ses choix, ou comme s'ils étaient complètement erronés, hors de sa portée.
Car en-deça de la tactique, il y a la stratégie, et si celle-ci fait fausse route, aucun schéma ne pourra en redresser les torts. Au moment de demander de l'audace aux Tricolores, d'évoquer un "lâchage de chiens", ne faut-il pas d'abord poser cette question: en ont-ils les moyens? En d'autres termes, peuvent-ils flamboyer comme des Espagnols ou des Argentins? Ont-ils les moyens de telles ambitions?
Là réside peut-être le problème : dans un immense malentendu forcément né des victoires de 1998 et de 2000. Désormais forte d'un statut historique, l'équipe de Franc aurait des obligations – comme celle de concilier l'efficacité des années Jacquet-Lemerre avec la classe de la décennie Platini. Un fourvoiement tragique qui nous aurait valu 2002 et 2004...
"Désormais, nous serons tous des Grecs"
C'est ainsi que l'analyse la plus iconoclaste a été menée par le rénovateur de l'anarchisme de droite, le grand Piotr Elefantovitch lui-même, dans les réactions à l'article Fondue au bleu (un des titres les plus incongrus de l'histoire des Cahiers, soit dit en passant, avec le célèbre "Du rififi dans le gratin dauphinois" du n°2 – comme quoi les alpages ne sont pas notre biotope préféré). Qu'il nous permette de le citer dans le texte:
« Ray a fait son deuil d'une équipe flamboyante alignant les 60% de possession de balles, le jeu offensif en passes courtes et les séries de quinze passes consécutives. Il a juste regardé la télé en 2002 et 2004 et décidé qu'il y en avait marre de se faire trouer le cul (sic) par des équipes retorses qui nous connaissaient désormais par coeur et nous attendaient comme au coin d'un bois, tandis qu'on s'échinait à porter le ballon et à ambitionner un jeu dont nous n'avions plus les moyens physiques en termes de fraîcheur et de vivacité.
Désormais, nous serons tous des Grecs. Nous allons dorénavant jouer en contre et si l'adversaire ne sort pas, eh bien nous ne sortirons pas non plus et ça sera bien fait pour sa gueule. Voila qui explique la sélection du Vikash, pour son jeu long vers l'avant, de Saha pour son jeu de tête en remise et de Cissé pour ses sprints. Cissé ne sait pas faire un une-deux ou un contrôle potable? Qu'à cela ne tienne, on n'est pas là pour ça. Trezeguet est un pur attaquant de surface? Mais on veut pas y aller, nous, dans la surface, ce qu'on veut c'est aspirer.
(…)
Finalement, Domenech est peut-être le seul Français à avoir tiré les leçons du désenchantement de 2002-2004. Lui a accepté que nous n'étions plus qu'une équipe comme une autre et en tire les conséquences tactiques. C'est peut-être bien ça que tout le monde lui reproche, y compris parmi ses propres ouailles, nostalgiques des fulgurances révolues dont elles ne sont plus capables ».
Le dilemme est prononcé. Faut-il courir derrière des fantômes et voir des fantômes courir derrière nos illusions, sans les rattraper jamais? Pouvons-nous rêver de panache sans opter pour une immolation rapide sur l'autel du beau jeu (que risque de pratiquer l'adversaire)? Le profil bas n'est-il pas l'option la plus à même de préserver un maximum de chances pour un parcours réussi, dussions-nous faire le deuil de nos prétentions?