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Pourquoi le rugby est-il un plus grand sport que le foot? Peut-être parce que les rugbymen sont plus grands que les footballeurs... Deux exercices de styles sur le rond et l'ovale, en complément au n°23 des Cahiers.
le 20 Fev 2006
"Toi qui n’as jamais joué / comment peux tu comprendre / qu’on ait le cœur serré / quand nous revient septembre". Oui, toi le footeux, découvre la noblesse du rugby. Ah le rugby ! il s’agit d’une poésie…d’une mélodie écrite avec du sang sur du papier à musique… de la dernière des aventures humaines.
Tout commence avec le nom : "Rugby", du nom de la ville qui abritait l’université où fut inventé ce jeu, c’est quand même un autre standing que "balle au pied".
Puis vient le ballon, ovale, ô combien supérieur à la pauvre sphère footballistique. De sa forme, il garde une imprévisibilité qui lui confère quelque chose d’humain. Voyez-vous, là où le ballon de football suit sa trajectoire, et roulerait dans une pente jusqu’à tomber dans la falaise, la balle ovale, réalise le vœu du poète : objet inanimé, elle a donc bien une âme. Lors d’un rebond, elle choisit sa direction. Elle s’offre à l’attaquant lancé à sa poursuite, ou le trompe d’un faux rebond dont elle garde le secret.
La légende dit que le plus grand magicien de ce sport, Serge Blanco, avait su dompter la bechique, comme on appelle le ballon affectueusement dans le Sud-Ouest. Elle lui revenait toujours dans les mains. Car un ballon n’est jamais ingrat : alors que l’indélicat footballeur le pousse vulgairement avec ses pieds, pour l’enfermer dans un filet, le rugbyman n’a de souhait que de le déposer dans l’en-but, cette terre promise, après l’avoir préservé des méandres de la boue et de la terre, bien serré contre son cœur.
Nous sommes jeu
Car du cœur, il faut en avoir quand on est joueur de rugby. Seul sport collectif où les hommes s’unissent physiquement pour avancer, il transmet les valeurs de partage et de solidarité. Comme le rappelait le grand prince des journalistes sportifs, Antoine Blondin, qui n’a jamais apprécié le football, le rugby se compose de "quinze hommes qui s’assemblent à quinze heures". Il est loin l’individualisme proverbial du football, là où un collectif se compose de onze fois une seule personne.
Certains mécréants prétendent que le football est plus fluide, plus agréable à regarder. Pardonne-leur, William Webb Ellis, car il n’ont rien compris. Qu'y a-t-il de plus doux qu’une prise d’intervalle? Le football ne peut pas créer les arabesques d’une attaque de trois-quarts, le ballet musculeux d’une ligne d’avants, regroupée pour la conquête du ballon, les virevoltants changements de direction d’un ailier, Éliacin à ressort devant l’éternel? Certains, pour atténuer la rigueur du terme, vont même jusqu’à nommer leur sport le ruby. Ces puristes savent bien qu’ils possèdent quelque chose de précieux: un joyau qui ne s’offre pas à tout le monde. Face au troupeau des supporters de football, l’amateur de rugby est un initié. Il maîtrise les termes obscurs du jeu: le cadrage débordement du trois quart centre, le renvoi 22, la passe sur un pas, la chistera. On est loin de ligne médiane, touche et plat du pied.
Seul le fidèle, qui connaît les arcanes de ce sport, peut en appréhender sa dimension ésotérique, ses nombreuses références maçonniques. Son style, son caractère, son symbolisme valent au rugby sa supériorité et son surnom de sport-roi...
Guillaume Toulouse
La joie du buteur
Robert Paparemborde, 180 centimètres pour pratiquement autant de kilos les jours de forme. Pourtant, il aurait pu en semer des coéquipiers pour aller célébrer un essai en solitaire comme un vulgaire Daniel Moreira se dandinant au poteau de corner: moins de 11'5 au cent mètres, le bestiau!.. Un temps que Mido n'atteindra jamais, même en coursant son sélectionneur national. Il n'est pas dit que ses petits copains du pack eurent goûté le procédé avec la même béatitude que les troupeaux de serre-têtes qui contrarient la notion de collectif juste après en avoir démontré, parfois même radieusement, son exigence souveraine dans la construction du but.
Que le Roi Michel saute par-dessus les panneaux publicitaires pour traverser la piste d'athlétisme du Stadio Communale, l'index tendu vers les supporters exaltés par la justesse de la feuille-morte, passe encore. Pour ce qui est de déchiffrer les troubles comportementaux se propageant désormais une fois un ballon rond entré dans un filet…
Le joueur de rugby, allégorie de gros nigaud pour l'esprit du fin footeux, eut vite fait d'intégrer qu'il n'existe qu'au sein du groupe. Seul, il n'est rien sur le terrain. Il le sait et ça se voit. Dans le football moderne, le comble de l'hommage d'un Pipo Inzaghi, après avoir laissé ricocher un centre millimétré sur son crâne démarqué à trois centimètres du but vide, est de pointer du doigt le génial passeur… bien après avoir célébré son but en onaniste survolté, courrant pour la première fois du match, de préférence à l'opposé de ses petits camarades. Le joueur de foot laisse à penser que marquer un but déverse un flot d'adrénaline plus explosif que celui d'un essai. Pourtant, quand Blanco aplatit dans l'en-but australien, qualifiant les Bleus pour la première finale d'une Coupe du monde, il jette sobrement le ballon par-dessus sa tête, seul signe d'excentricité, avant d'aller serrer la pogne de ses coéquipiers. On échangerait bien volontiers son émotion contre celle d'un buteur contemporain de L1…
Les expressions de joies décentes et collectives ont déserté les terrains de foot au même moment que les moustaches des joueurs britanniques des seventies. Paparemborde aussi portait des moustaches. Ce n'était pas pour danser la Macarena…
Arnaud Souard-Cenéguerre.