Avec Fernandèze, on a réuni tous les joueurs, ça pouvait plus durer. Dernier du classement avec zéro victoire, c’est que ça commençait à jaser dans le quartier. Alors on s’est creusé la tête pour savoir ce qu’on pourrait bien faire pour inverser l’intendance sauf qu’on savait pas trop comment. C’est là que nous est venue l’idée de faire du tableau noir. On s’est dit, si on écrit toutes les consignes sur un tableau, peut-être que les joueurs retiendront. Logiquement, ça leur rappellera l’école primaire. Et y a pas moyen qu’ils aient oublié, vu qu’ils ont jamais été plus loin.

Pour bien faire, j’ai donné rendez-vous à tout le monde le lendemain à 7 heures pile. Bon, comme d’hab, y a eu du retard. Les joueurs sont arrivés à 11 heures 36 environ. Soi-disant, les réveils auraient pas sonné. Une panne générale sans doute ou alors ils dorment tous ensemble, j’en sais rien. Bon, en même temps, je leur jette pas l’abbé pierre, moi je suis arrivé à midi. Y a que Fernandèze qui l’a eu en travers. « Cinq heures que je poireaute ! » il a dit. Hé, faudrait pas qu’il se plaigne. Les supporters, ça fait dix ans qu’ils attendent. Tu les entends se plaindre ? Non, même pas.

« Qui a déjà fait du tableau noir ? » a demandé Fernandèze avec un sourire nerveux. Sabri a levé la main aussi haut qu’il a pu et il a dit qu’il en avait déjà fait dans le calchio avec parme, et aussi en France à l’euro 96. Meïté dubitait, il lui a demandé « Tu veux me faire avaler que t’as joué en équipe de France. Et comment ça se fait que je t’ai jamais vu alors ? » Sabri a expliqué que c’était avant, quand la France gagnait pas encore et que du coup, personne regardait. Déhu a pas pu s’empêcher de préciser que lui aussi, il avait déjà joué en équipe de France d’abord, et qu’il avait la cassette du match chez lui si on croyait pas.

Fernandèze a ouvert le tableau pour préparer ses consignes. Là, tout le monde s’est mis à rigoler à cause qu’y avait un gros zizi poilu de dessiné. Fernandèze est devenu rouge mais rouge, on aurait dit une fraise tagada. Il a fallu que je montre mon autorité, ça tombe bien, je l’avais sur moi. J’ai dit « Oh les gars vous avez quel âge sans déconner pour faire les zouaves comme ça ? » Nasri a répondu « Moi j’ai 18 ! » Il a voulu montrer avec ses doigts mais il en n’avait pas assez.

« Bon alors qui c’est qu’a fait ça ? » a demandé Fernandèze. Il fronçait les sourcils et tout. Si on le connaissait pas, on aurait presque cru croire qu’il était en colère. Tous les regards se sont tournés vers Ribery. C’est normal, Ribery est très porté sur la chose même si c’est pas franchement réciproque. Il a rouspété « Allez, j’en étais sûr ! C’est toujours moi ! Si c’est comme ça, je retourne en Turquie ou pire, je m’en vais au psg ». Tout de suite, des menaces. Du coup, on a passé l’éponge.

D’ailleurs on l’a passé vraiment puisqu’il a fallu que j’efface le tableau pendant que Fernandèze commence sa causerie du match contre Chochaux. Il a mis en garde tout le monde contre les longs ballons de Pedretti, puis il a dit de faire gaffe à Pierre Alain Frau devant, sans parler de Santos très opportuniste et la frappe terrible de Oruma. « Hé mais moi je suis avec vous » a fait Orouma. Bon pas tous les matches mais au moins une fois par mois. C’est là que les joueurs ont commencé à tiquer. Fernandèze, il a piqué les fiches à Guy Roux ou quoi ? Et puis tout le monde sait bien que Frau joue avec la cfa de lyon et que Pedretti a échangé sa place de titulaire à l’OM contre un abo en présidentielle à Gerland.

Alors d’un commun accord avec lui-même, Fernandèze est passé direct à son schéma tactique. Mon vieux, je sais pas ce qui lui a pris mais avec son feutre il a commencé à faire des tas de croix partout, avec des traits et des flèches dans tous les sens. On aurait dit, je sais pas, qu’on allait débarquer en Normandie. D’ailleurs les joueurs ont pas compris le principe, ils ont cru qu’il fallait deviner le dessin comme dans pictionnary. Alors ils ont commencé à faire des propositions. « Une pyramide ? » « Une tringle à rideau ? » « Un canoë kayak ? »

J’ai coupé court en disant « Mais vous voyez pas que c’est un schéma tactique ». « Ah mais c’est pas du jeu, tu connaissais la réponse ! » a crié Meïté. Il a dit que puisque c’était comme ça, il jouait plus. Beye a voulu savoir ce que c’était un schéma tactique. J’ai expliqué que c’était l’explication de comment ils doivent jouer. Même que si une équipe suivrait le schéma tactique, elle serait sûre de gagner à tous les coups. Les joueurs, ça les a soufflés. Bon, c’est juste dommage que les matchs se jouent sur de la pelouse et pas sur du papier. A part ça.

À la fin de son gribouillage, Fernandèze a demandé si quelqu’un avait des questions. Y a eu un silence puis Carasso a levé le doigt. On a pointé le menton vers lui. Il a fait : « C’est quand qu’on mange ? » J’ai répondu : « Mais pourquoi tu veux manger, t’as mangé hier non ? » « D’autres questions ? » a fait Fernandèze. Déhu a plissé les yeux et il a dit « Pourquoi on dit tableau noir alors que c’est un tableau blanc ? » Tout le monde a grommelé. Il a fait : « Excusez-moi si en tant que capitaine de l’Olympique de Marseille je trouve pas ça logique. Excusez-moi ! » Ribery a levé la main, elle était pleine de traces de feutre. J’ai soupiré un grand coup et je lui ai fait « Vas-y, on t’écoute ». Il a demandé « Je peux aller faire pipi ? » Là, c’était la goutte.

Fernandèze a montré une des croix de son dessin puis il a crié à Delfim « Tu joueras dans l’entrejeu. Mais attention, je te préviens Delphine, muscle ton entrejeu ! » Delfim a hoché la tête puis en douce, je l’ai vu, il a demandé à Feirrera, c’était quoi l’entrejeu. Feirrera a répondu « À mon avis, c’est comme l’entrecôte sauf que ça se mange pas ». Fernandèze allait dire autre chose quand Nasri s’est mis à crier « J’y vois plus rien ! J’y vois plus rien ! » En fait, c’était Beye assis derrière, qui pour faire l’andouille lui avait mis les mains sur ses yeux. Nasri a eu peur, il a cru qu’il était devenu aveugle comme Niang. J’ai fait « Oh les gars, franchement vous croyez que c’est comme ça qu’on prépare un match en professionnel ? Vous allez rester derniers, moi je m’en fous ». Quoique, en fait non, je m’en fous pas d’ailleurs.