Lessive sélective
La solution est tout aussi politique que la précédente : tenant compte des trois points perdus de la victoire stéphanoise contre Toulouse (19e journée, 2 décembre 2000), on a réduit la "pénalité" à trois autres points qui nous font six, merci madame la marchande. L'ASSE peut regarder cette "réduction", si elle veut voir furtivement le bon côté des choses. Mais la remontée conjointe de Toulouse et le passage sous la barre de relégation sont un coup bien plus dur. Comme le non-lieu qui bénéficie aux Monégasques et aux Messins.
Toute opinion mise à part, reste à expliquer le changement brutal de la logique de la sanction, qui profite du fait qu'une seule rencontre avait fait l'objet de réserves retenues par les instances. Si de nombreux matches avaient été dans ce cas de figure, ou si d'autres clubs avaient pu être concernés, il aurait fallu trouver un autre bricolage (qui ne fasse pas passer un cyclone sur le classement)… La Commission était de toute façon contrainte d'appliquer l'article de son règlement dont se réclamait le TFC, et qui prévoit de sanctionner d'un match perdu le club ayant fraudé sur l'identité des joueurs (la victoire étant accordée à son adversaire). La démarche de Toulouse n'est pas glorieuse, mais elle est fondée en droit.
Petite cuisine entre amis
Il fallait alors ajuster le décompte global afin de ne pas rétrograder trop directement l'ASSE en D2. Saint-Étienne est sanctionné d'une défaite pour sa "faute technique" lors de Saint-Étienne-Toulouse (trois points perdus) et sur la culpabilité présumée de ses dirigeants (trois points de pénalité au lieu de sept). Sur leur culpabilité et non pas sur leur responsabilité. Car la responsabilité de Campora est incontestablement de même nature que celle de ses collègues stéphanois, si sa négligence a permis à un joueur de disputer une saison et demie avec un passeport falsifié. Elle est d'importance un peu moindre (un seul joueur concerné), ce qui justifiait assez logiquement le retrait initial de deux points, mais elle est évidente. Si l'AS Saint-Étienne est punie pour son "manquement au règlement administratif de la LNF" (selon les termes de Laurent Davenas, procureur d'Evry et président de la Commission juridique), comment peut-il en être autrement pour l'AS Monaco? L'instance reconnaît donc les dirigeants de l'ASSE coupables d'avoir encouragé ou couvert l'obtention de faux passeports communautaires, elle justifie ainsi les points de pénalité. De quelles informations dispose la Commission pour conclure à l'implication des dirigeants? Par ailleurs, elle refuse de statuer sur les cas individuels de Bompard et Soler, remettant leur examen au moment où les investigations judiciaires en cours auront produit des résultats. Comment sanctionner le club pour la faute de ses dirigeants sans sanctionner les dirigeants eux-mêmes?
Cette façon de poser le problème permet en tout cas d'absoudre Metz et surtout Monaco, ainsi que tous les autres clubs potentiellement concernés, lesquels ont pris les dispositions nécessaires depuis l'éclatement de l'affaire et pourront aisément plaider leur candeur s'ils paraissent compromis. La Ligue a en fait secoué la nappe et passé l'éponge, les clubs étant simplement invités à ne plus se faire prendre. Le classement va pouvoir être homologué et tout cela ne sera plus qu'un mauvais souvenir.
Pas plus constante que sa consœur, la Commission juridique a sanctionné Aloisio de trois mois de suspension dont un ferme, alors qu'Alex et Levytsky avaient écopé de quatre mois dont deux ferme. Les faits étant parfaitement semblables (du moins entre les deux Brésiliens), on se demande ce qui a pu justifier des mesures différentes. Par ailleurs, elle a aussi blanchi le FC Metz et Faryd Mondragon, qu'elle a jugés de bonne foi et qui n'auront donc pas à se présenter en appel…
Vert de rage
L'ASSE se retrouve ainsi dans la position du seul club réellement sanctionné, c'est-à-dire celle du fusible qui va empêcher le football d'élite de disjoncter. Bompard a beau jeu de dénoncer une sanction (particulièrement les trois points "de pénalité") qui ne se fonde finalement que sur la présomption de la culpabilité des dirigeants, dont ont seules décidé les Commissions de la Ligue alors que les instructions judiciaires se poursuivent.
Bompard "ne répond plus de rien", dénonce le "complot" (alors qu'il s'agit finalement d'un arrangement entre gentlemen, qui ne fait qu'une victime) et menace de démissionner de son poste de vice-président de la Ligue.
Il lui reste la possibilité d'un recours devant la Commission fédérale d'appel qui se réunit le 9 février, mais il présente le risque d'une ultime aggravation de la peine. Sa démission signifierait par contre une déclaration de guerre contre le "bureau" de la ligue qui l'a laissé condamner. Car si complot il devait y avoir, il devrait se tourner vers le président qui l'a menacé en septembre de poser des réserves si Alex était aligné contre son équipe, plutôt que contre Nouzaret qui fait figure de pion dans l'histoire.
Noël en juillet?
Dans ce contexte, le revirement de Bompard pourrait avoir des conséquences politiques spectaculaires, alors que le président Bourgoin est fragilisé par sa mise en examen (dans le cadre de la liquidation de son ancienne société), ses gaffes et son bilan nul, que la majorité qui l'a porté au pouvoir en juillet dernier est extrêmement étroite et que les nouveaux maîtres de la Ligue comme Jean-Michel Aulas ou Jean-Louis Campora sont de plus en plus mis en cause… La perte de cet allié les met à la merci du moindre changement de camp au Conseil d'administration, qui pourrait compter un anti-élitiste de plus dès la prochaine assemblée générale en juillet prochain…
Justice sportive à deux vitesses?
La Ligue a une nouvelle fois sacrifié à des intérêts politiques la crédibilité de sa justice sportive, qu'elle a rendue incompréhensible et dont les graves dysfonctionnements sont apparus au grand jour.
L'impression très désagréable qui se dégage de la tournure de toutes les affaires disciplinaires en cours, au-delà des faux passeports, c'est que Monaco (voir ci-dessus), Lyon (Aulas privé de vestiaires pendant un mois pour avoir systématiquement et depuis plusieurs années fait pression sur les arbitres) ou Paris (où les sièges et les oranges peuvent voler depuis les tribunes) bénéficient d'une certaine clémence, alors que Strasbourg, Bastia, Lille ou Saint-Étienne feront l'objet de bien moins de prévenance. Notons par exemple que Lille est bien le seul club qui n'ait pas vu sa sanction réduite en appel (500.000F pour les incidents lors de la "réception" de Bastia, confirmés lundi). Les Campora, Aulas, Perpère ou Martel vont avoir du mal à nier la dérive oligarchique de la Ligue nationale de football…