Comment Larqué s'est troué
Plus que tout autre commentateur, Jean-Michel Larqué incarne une obsession bien connue chez les vaniteux du micro: vouloir constamment faire étalage de sa lecture du jeu en anticipant sur les gestes des joueurs, ou en annonçant leur issue ("Il est bien tiré", par exemple, pour un coup franc qui vient de sortir du pied du joueur). Chez ce spécimen, le complexe de Cassandre (toujours annoncer une catastrophe imminente) et la rage à indiquer où l'action DOIT se développer ("À gauche, à gauche, à gauche!") sont deux figures incontournables de cette volonté de tout prédire.
[NDLR : la retranscription ci-dessous est certifiée authentique]
[Kaladze récupère une relance de Clerc le long de la touche]
– Il va la mettre dans le paquet… même pas.
[Nesta remet la balle à Kaladze].
— On préférerait qu'il la mette dans le paquet.
— Kaladze, voilà, il vous a entendu Jean-Michel… vers Ambrosini...
— Oooh, il s'est troué !
— Chevtchenkoooo…
— Il s'est troué !
— La reprise… et le but, non, oui! Oui, but !
— Il s'est troué !
— But pour Filippo Inzaghi !
— Oh Il s'est troué !
— Après la frappe d'Andreï Chevtchenko, quel coup de poignard...
— Ooooh Abidal qui s'est troué sur ce coup-là !
— Aaaabidal qui s'est troué !
Les trois pathologies de Jean-Mimi
L'exemple ci-dessus est remarquable en ce qu'il résume le consultant, livré tout entier en une poignée de secondes. JML commence justement par annoncer ce que va faire Kaladze. Un peu vexé d'être contredit par le Géorgien, il va quand même affirmer que le joueur devrait faire ce qu'il annonçait – mais dans l'intérêt des Lyonnais... S'exécutant, Kaladze tend une perche que Gilardi saisit ingénument, exposant inconsidérément son compère. Le danger est à la retombée du ballon, mais JML a le réflexe de trouver plus coupable que lui. Or, s'acharner sur un bouc émissaire, c'est justement la deuxième névrose majeure de l'ancien complice de Thierry Roland.
Et en pareil cas, tel un pitbull dont la mâchoire est verrouillée sur un mollet, Larqué ne lâche plus le morceau. Et comme un disque rayé, il va scander à six reprises en quinze secondes! qu'Abidal s'est troué – probablement l'expression la moins flatteuse pour désigner une erreur en football. Notons que John Carew a eu de la chance de se trouver assez loin de l'action. La répétition maladive des mêmes mots: le troisième grand trouble obsessionnel compulsif de Jean-Mimi.
Troué de mémoire
En réalité, Abidal ne s'est pas "troué" tant que ça : il a été trompé par le duel aérien juste devant lui, entre Caçapa et Ambrosini, le Brésilien volant sur l'impact. Ensuite il y a le talent de Chevtchenko, deux poteaux et un Inzaghi. Tout mettre sur le dos d'Abidal relève simplement de la malhonnêteté intellectuelle, et le faire devant des millions de téléspectateurs s'apparente à un lynchage.
On pourrait croire que c'est à chaud que l'ancien Vert s'emballe et fustige un joueur, mais sur le ralenti, Larqué voudra encore pointer son coupable: "Regardez Abidal… Il se troue", insiste-t-il, et Thierry Gilardi doit faire remarquer que le latéral "croit que le ballon va être touché par Caçapa avant lui" pour qu'enfin son collègue passe à autre chose..
On notera qu'ironiquement, plusieurs joueurs sur le terrain, dans les deux équipes, pouvaient témoigner qu'un ballon remis depuis cette position "dans le paquet", à la toute fin d'un match, pouvait faire basculer celui-ci. En juillet 2000, c'est Wiltord qui avait ri et les Italiens pleuré. Ce jour-là, Jean-Michel Larqué était dans la cabine du commentateur...