À la place d'Henry...
En faisant évoluer le dispositif préférentiel de Roger Lemerre, Jacques Santini propose une solution au débat sur l'animation offensive de l'équipe de France et à son problème central: le positionnement de Thierry Henry.
Avec Henry, le visage de l'attaque penche à gauche. |
Jacques Santini, malgré les appels aux bouleversements tactiques ayant suivi la Coupe du monde, en dépit de la mode des défenses à trois et des demandes chroniques pour trois récupérateurs, a reconduit la défense à quatre, les deux récupérateurs, Zidane dans l'axe et… Thierry Henry à gauche. Les choix tactiques de Chypre n'étaient donc pas seulement le fruit des circonstances.
Le nouveau sélectionneur entend manifestement adopter le 4-2-3-1 hérité de Lemerre, et surtout le faire évoluer. Son interprétation en est effectivement plus souple, une plus grande mobilité des milieux et des attaquants pouvant faire évoluer le schéma vers un 4-3-3 ou un 4-4-2 plus classiques et plus conformes à ce que Santini a fait à Lyon. Cette équipe devant nécessairement être organisée autour d'un Zidane axial, il y a de toute façon peu d'alternatives, sinon pour pallier son absence (solutions qui ont fait défaut en Corée). Ensuite, rien n'oblige à ce que le placement des joueurs sur le terrain obéisse strictement au schéma ou que ce dernier soit totalement symétrique: les défenses coulissent, les défenseurs s'intercalent, les récupérateurs pénètrent, un "ailier" n'a pas forcément d'équivalent sur l'autre flanc etc.
Les évolutions les plus manifestes ont concerné la disposition de l'attaque, et les interprétations à lui donner peuvent diverger, surtout qu'elles renvoient au débat actuel sur le placement de Thierry Henry. Contre la Slovénie, l'équipe a d'abord semblé évoluer avec deux pointes mobiles, selon le modèle virtuel de l'association Henry-Trezeguet si souvent réclamée, avec Marlet dans le rôle de l'attaquant de la Juve. Et de fait, Wiltord n'a pratiquement pas quitté la moitié droite et a joué plus bas que ses compères, alors que Zidane se décalait sensiblement dans l'axe gauche. Il est tout de même difficile de parler de 4-4-2, car les permutations entre les deux pointes ont été progressivement moins nombreuses et l'on a finalement vu Marlet occuper le plus souvent l'axe convoité avec tant d'insistance par Henry, lequel s'est trouvé nettement décalé à gauche, tandis que Wiltord jouait tous les coups offensifs dans sa zone (se montrant autant attaquant que milieu de terrain).
En fait, c'est surtout dans la profondeur et par leurs mouvements que Marlet et Henry se sont distingués. L'ex-Lyonnais est resté plus proche du but, alors que le Gunner reculait fréquemment d'une ligne, effectuait son repli défensif sur la gauche et se collait parfois à la ligne. Le premier a été plus souvent un point d'appui autour duquel a tourné le second, plus mobile et plus enclin à appeler le ballon dans les espaces et sur les côtés. Mais en définitive, même si les trois attaquants ont pu se retrouver tour à tour plein centre, Marlet a globalement évolué comme avant-centre au sens strict, avec deux soutiens décalés sur les ailes, Henry à gauche et Wiltord à droite.
À bien y réfléchir, c'est un schéma qui se met en place presque naturellement, étant donnée la configuration ordinaire des matches de l'équipe de France. Si l'avant-centre d'Arsenal est aussi fort en Angleterre, c'est aussi parce que le jeu de la Premier League est idéal pour ses qualités spécifiques. Il en va autrement contre des défenses regroupées qui laissent moins d'espaces et de possibilités d'expression. Comme Cissé ou Anelka, et même s'il a un registre bien plus étoffé, Henry est moins à son aise quand il évolue comme un pur avant-centre au milieu d'arrière-gardes densifiées, là où Trezeguet est dans son élément, voire Marlet en un soir comme celui-ci. Tous deux ont moins de talent pur, mais ils disposent notamment d'une présence aérienne plus importante et font preuve de plus d'opportunisme.
C'est justement la variété technique d'Henry qui le rend finalement plus intéressant lorsqu'il évolue sur tout le front de l'attaque, décroche ou prend un côté. Comme à Arsenal en fait, à ceci près que la sélection joue moins exclusivement pour lui et délimite plus chichement sa zone d'expression. Son match a été discret par égards, ne serait-ce que du fait qu'il n'ait pas marqué, mais il a réalisé une très belle prestation comme "meneur" d'attaque, passeur décisif sur l'ouverture du score et distributeur ou relais sur de nombreuses phases. Sans lui en vouloir de faire parfois parler l'instinct égoïste du buteur, ni de ses mimiques constantes (qui semblent dues à la mauvaise influence des sports US), on peut se demander si Thierry Henry acceptera facilement le "sacrifice" consistant à être moins star qu'à Londres et à se mettre au service de l'équipe.
Malgré le statut qui est le sien et dont il semble particulièrement conscient, Santini parviendra peut-être mieux que Lemerre à lui faire accepter un tel compromis. À moins que le sélectionneur n'ait en tête de se rapprocher du système avec deux pointes esquissé samedi soir, résolvant ainsi l'équation… Après l'émergence de Cissé, la performance de Marlet, alors même que le rival Trezeguet était absent, a le mérite de rappeler à Henry que la concurrence est décidément très vive dans ce secteur.