Troisième et dernier point.
3) Le coup de force de l’instance Premier League, enfin d'une "commission indépendante (lol) de la Premier League", contre Manchester City interroge par son timing. Ce soudain “réveil” musclé de la PL, après s’être couchée devant les magouilles des clubs pendant trois décennies marquées par le laisser-faire et les compromissions, a surpris son monde en Angleterre. Certes, l’enquête durait depuis 4 ans (on ignore cependant son degré d'intensité - a-t-elle soudain accéléré ces derniers mois ? Pas impossible) mais vu l’habituelle et passivité lenteur des instances, y’a matière à s’interroger.
Ce singulier coup de sang de la PL est surtout l’expression de sa volonté de montrer qui est Raoul, à un moment charnière pour elle : l’établissement d’un “régulateur indépendant” du football anglais (par voie légale/parlementaire), élément principal d’une réforme du football anglais, essentiellement financière. Ce nouveau-venu bouleverse le game et met (potentiellement) grandement à mal la suprématie de la PL.
Le “white paper”, longtemps retardé, sortira dans quelques jours (cf mon antépénultième poste). Il ne s’agit en rien d’une coïncidence avec l’inopiné rentre-dedans de la PL : il fallait que l’instance-carpette tape (enfin) du poing sur la table pour montrer qu’elle existe et qu’elle agit.
Le triptyque instance PL- championnat PL-“brand” PL (PL plc) est dans la tourmente depuis deux ans. Certes, ce n’est pas un tourbillon médiatique intense, et il connaît plus d’accalmies que de moments chauds. Mais le trio est contesté et critiqué (notamment pour la gestion de Chelsea, Man City, Newcastle…), et l’hostilité est de plus en plus “in your face” (le pouvoir s’en est mêlé), directe, toutes proportions gardées. Et ces gens-là sont très “thin-skinned” (susceptibles), ils ne sont guère habitués à gérer une quelconque opposition. Ergo, ils encaissent mal le coup en ce moment.
La pertinence même de l’instance PL fait débat. Ce n’est pas un débat national d’une ampleur démesurée, même chez les supps de foot (les histoires de Wags, eg R Vardy vs C Rooney, font bien plus le buzz), vu que beaucoup profitent de cette prospère PL (et tant pis si le cœur de la machine est pourrie), mais il il a bien lieu.
Sa toute-puissance est désormais publiquement remise en cause. Et, chose intéressante, par un “front” formé ad hoc, un bloc disparate mais uni par la même envie de dézinguer la figure tutélaire. Une sorte de “front populaire” se sentant soudain investi d’une mission de défense des relatifs sans-grades (Football League, supporters, communauté) et de sauvetage du soldat Football Anglais. On trouve dans cet attelage inédit le(s) gouvernement(s) conservateur(s), en traque permanente de cibles faciles, la Football League, jadis hégémonique (pré-Premier League) mais devenue sous-fifre désargenté entre temps, et l’opposition travailliste.
Une Football League soutenue par les politiciens de tous bords et qui fait le forcing depuis environ deux ans. C’est “haro sur la PL”. Une PL qui cristallise sur son nom les tares de notre époque : explosion des inégalités, ultranéolibéralisme, pratiques douteuses, super-profits non réinvestis (eg dans le “grassroots football”), "clients" arnaqués (billetterie), hors-solisme arrogant, mondialisation incontrôlée, déclassement (anciens supps exclus vu les prix).
Sentiment exacerbé par l’actualité sur le come-back d'une Super Ligue revampée. La SL a beau être la (seule) concurrente de la PL, toutes deux n’en sont pas moins souvent mises dans le même sac question avidité et absolutisme footballistique.
Jusqu’ici, qu’importait. La famille PL vivait pépouze dans un penthouse de tour d’ivoire, intouchable. Mais ça c’était avant. Avec l’arrivée de ce régulateur (certes pas imminente mais vécue comme telle par l’instance PL et le microcosme, il faut prendre les devants) la menace de se faire entuber est pressante et il fallait que l’instance PL tape un grand coup, qu’elle “justifie” son existence et qu’elle torde le cou aux accusations diverses (et justifiées) de laisser-aller et de grand laxisme fumisto-régulatoire. Pas mal de clubs PL, lésés, commencent aussi à en avoir assez du fossé grandissant, exacerbé par “l’injustice” et le danger que représentent ces clubs-États et la concurrence déloyale en découlant (championnat faussé). Deux “seulement” actuellement en PL mais combien demain si rien n’est fait ? On avait clairement contasté cette hostilité lors du rachat de Newcastle par les Saoudiens en octobre 2021.
Enfin bordel, les nombreuses malversations de City (dopage financier, comptes magouillés, maquillages divers, gonflement artificiel des revenus/contrats sponsoring, etc.) remontent officiellement à 2009 – et que sous Thaksin Shinawatra (2007-08) ça n’a pas dû être trop net non plus. Certes, y’avait pas de FPF à l’époque mais le système était tout de même censé être encadré par des règles, notamment le “fit and proper person test” pour les acquéreurs potentiels.
On ne me fera pas croire que l’instance PL ne se doutait de rien au sujet de Man City depuis 2009 et qu’il fallut les Football Leaks de 2018 et la subséquente enquête de l’UEFA pour qu’ils se disent en décembre 2018, “Ah tiens, on on ferait bien d’investiguer car ce club a l’air louche“. Non, la PL avait sciemment choisi de fermer les yeux sur les infractions, qui se sont évidemment accumulées jusqu’à dépasser la centaine, les clubs sachant depuis trop longtemps qu’ils peuvent agir en quasi impunité.
Quand les clubs se sont gauler, par exemple sur les magouilles sur les salaires, bah, ils ont une une mini sanction ou un mini redressement, et la PL n’intervient même pas, c’est HMRC (impôts) qui doit se coltiner le boulot de sanctions. C’est certes son boulot mais le mutisme de la PL sur ces dossiers est accablant depuis 30 ans, cf l’énorme scandale Portsmouth en 2009-2010, 100+ millions de dettes. Un redressement judiciaire qui coûta énormèment à la communauté qui dut éponger les dettes, jamais remboursées par le club, en vertu de la très cynique “Football Creditors’ Rule” dont j’ai parlé par le passé en ces lieux. (En gros : la FCR est une batterie de règles négociées par les instances et très favorables au football niveau dettes. On rembourse en priorité les salaires de footballeurs, agents et acteurs du football. Les nombreux créanciers non liés au football, environ 500 dans le cas de Portsmouth FC, ben eux ils se partagent le reste : en général trois fois rien. Des écoles y furent de leur poche dans cette affaire, elles louaient leurs terrains au club. Des ambulances aussi, des fleuristes, commerçants, etc. Le club devait de l'argent à tout le monde. Par contre les agents et entraîneurs et footballeurs eux furent payés rubis sur l’ongle. Le grand perdant est également le Fisc, donc le contribuable. En 2016, la Football League a été forcée par HMRC – les impôts britanniques – de changer le logiciel
lien mais la PL semble intouchable. Même s’il faut reconnaître que les faillites et redressements judiciaires sont devenues rares)
(2017)
lien “Arsenal and Everton stakeholders' close ties laid bare in leaked files… Links between Alisher Usmanov and Farhad Moshiri prompt calls for broadening of Premier League ‘dual ownership’ rules” (“And how their close relationship and the opaqueness and secrecy of the companies they own in offshore tax havens has led to questions over who owns what. As a result, campaigners are calling for changes to the rules intended to safeguard the independent ownership of Premier League
lien)
(août 2020)
lien “UK taxman cracks down on professional footballers using image rights as loophole”
(juillet 2022)
lien A record 329 professional footballers 'are under investigation for suspected tax avoidance' as a leading Premier League club is being 'scrutinised by the FA and HMRC for using their sister clubs to make payments to agents'
Le focus actuel sur Man City, affaire qui par le passé aurait été enterrée et/ou aurait traîné ad vitam aeternam, est plus que le bienvenu pour la PL qui a certainement accéléré son enquête. L’aubaine permet à la PL de bomber le torse et redorer son blason terni, à un moment où les projos sont braqués sur la réforme du foot anglais et la création de ce régulateur du foot anglais – on a depuis longtemps oublié que la PL est censé jouer ce rôle de régulateur (en l’absence de DNCG).
Cette démonstration de force de la PL est une facon pour elle de crier haut et fort : “Ah ben vous voyez bien qu’on agit. Pas besoin d’un régulateur !”. Face à ce régulateur, la PL va tout faire pour limiter son champ d’action. Intervenir maintenant avec vigueur sur ce dossier Man City est pour la PL un acte de résistance et une façon de limiter la casse.
Les sanctions seront prises par un panel indépendant, composé de trois personnes (eux, par contre sont effectivement probablement indépendants), voir sélection et composition
lien. Y’aurait par contre bcp à dire sur ce modus operandi, les précédents de ces panels à trois étant peu glorieux (enfin, pour ce qui concerne la FA), mais passons. Aucune date donnée mais si je devais mettre une pièce, on peut penser que les décisions de ce panel tomberont en avril/mai.
Si les sanctions sont considérées comme faibles, l’instance PL aura beau jeu de dire : “Ah les faibles, au contraire de nous qui nous sommes montrés impitoyables en collant 100+ infractions à Man City. C’est pas notre faute si ce panel n’a pas les cojones pour punir ces tricheurs. Nous on a fait notre boulot”.