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Habitus baballe

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  • Classico le 03/10/2021 à 11h18
    Ha, heureux qu'il t'ait plu. C'est un remarquable livre de philosophie politique. "Moraliste", au sens de nos grands moralistes français du 17ème ? Sans doute en partie. Mais il y a aussi une vraie belle architecture de concepts, qui est la marque d'un vrai travail philosophique.

    Sur l'absence de Nietzsche dans ce livre, c'est très étrange, n'est-ce pas ? Tu as tout à fait raison, Nietzsche devrait pourtant être très clairement chez lui dans ce texte, en chaussons et en robe de chambre. S'il avait été de gauche et avait vécu à notre époque (ce qui relève finalement du détail circonstanciel), il aurait pu signer ce livre sans aucune réticence. Lordon et Nietzsche, il y a clairement quelque chose qui coince. Un ami avait suivi un cours de Lordon à l'EHESS, sur Spinoza, il y a quelques années. Surpris que Nietzsche ne fut jamais cité lors du cours, il avait fait une présentation orale à la fin du séminaire pour montrer à Lordon les proximités évidentes entre sa lecture de Spinoza et Nietzsche, et pour radicaliser même certains de ses concepts structuralistes. Lordon avait été visiblement impressionné. Mon ami se plaît à penser que ça a pu le mettre sur la voie de La condition anarchique - c'est prétentieux mais pas complètement impossible en réalité.

    Alors de deux choses l'une : soit Nietzsche est absent de l'oeuvre de Lordon pour des raisons purement matérielles et circonstancielles (il a tout l'outillage qu'il lui faut avec Spinoza, il n'a pas pu/voulu rentrer chez Nietzsche aussi profondément qu'il aurait fallu, il préfère s'abstenir d'en parler) ; soit il est absent pour des raisons de fond.

    J'avais pris beaucoup de notes lors de ma lecture de La condition anarchique, et la plupart tournaient invinciblement autour de cette absence, et cherchaient des liens et des différences pour l'expliquer. Bien sûr, il y a des différences. La plus évidente, c'est que chez Nietzsche, au centre de toute cette opération permanente de construction / déconstruction qu'est la réalité, il y a un principe ordonnateur et pourvoyeur de sens et de finalité à l'ensemble : la volonté de puissance, complètement absente dans la variante Spinoza / Lordon, purement mécaniciste, si je puis dire, sans principe directeur. Tu vois ce que je veux dire ? Je peux développer sinon.

    Evidemment, si c'est la volonté de puissance qui meut l'ensemble du système de construction / déconstruction (de valeurs, d'institutions politiques, etc.), alors il est impossible d'être de gauche. La gauche, et surtout la radicale, celle qui veut supprimer le capitalisme, système qui reconnaît, organise et régule la volonté de puissance des individus, doit impérativement poser en axiome que la volonté de puissance individuelle qui s'épanche dans le capitalisme n'est elle-même qu'un construit social qui peut être déconstruit. Si la volonté de puissance est la seule chose qui résiste à la déconstructibilité générale (et c'est bien son statut chez Nietzsche), alors tout projet d'alternative radicale au capitalisme, fondé non plus sur la concurrence mais sur l'association, est vain, puisque la volonté de puissance, fichée en son coeur, le minera de l'intérieur.

    Peut-être que c'est là la raison fondamentale de l'absence de Nietzsche chez Lordon, et tu vois que ce n'est pas une mince question. On pourrait même s'amuser à imaginer que Lordon, sachant tout cela depuis longtemps, est allé cherché exprès Spinoza pour pouvoir se passer de Nietzsche, épargner le problème Nietzsche à la gauche. Bon, j'irais pas jusque là, mais c'est rigolo.

    sur Nietzsche et les "studies" contemporaines, oui, il y aurait des développement très intéressants à faire, mais pour faire quelque chose de précis il faudrait replonger dans les textes, sinon ça va être très général quoi. Je ne penses pas en avoir le courage là honnêtement, mais ce serait passionnant à faire. Je peux tenter une caractérisation très générale peut-être. Tu as déjà le concept de base je pense : Nietzsche a poussé le modèle déconstructionniste jusqu'à sa limite la plus radicale. En cherchant à évincer les vieux dualismes de la métaphysique, tels que corps et esprit, nature et culture, matière et pensée, il a fini par accoucher d'un modèle où tout est culture (ou nature, ça revient au même à ce stade), au point que la pulsion la plus "physique" en apparence est elle aussi un construit culturel et historique retraçable et (donc) déconstructible. Il suffit de pousser un peu le modèle pour faire de même avec l'identité de genre par exemple. Et pour le coup, ici, la volonté de puissance nietzschéenne est assumée, puisque c'est précisément pour les dominer que les "hommes" auraient fabriqué le construit "femme". L'immense différence entre la plupart (mais pas toutes) des tendances actuelles et Nietzsche, c'est que chez ce dernier il faut faire avec la facticité du monde. Tout est construit, jusqu'à nos émotions les plus sincères, la volonté de puissance articulant tout ce mécano universel, donc tout est factice - alors il faut avoir un âme d'artiste et vivre volontiers dans ce théâtre d'apparences, sans chercher de "vérité" derrière une scène où on ne trouvera qu'une autre scène. Ca c'est chez Nietzche. Chez beaucoup de militants aujourd'hui, on a plutôt : tout est construit, tout est factice, la volonté de domination articulant tout ça, donc on va tout déconstruire et vivre dans un monde vierge, vide d'héritage culturel mais purgé de la domination.

    Bon, c'est à gros gros sabots hein, comme j'ai dit, mais l'idée est là.

  • Balthazar le 03/10/2021 à 15h25
    Merci Classico. Comme prévu, c'est passionnant.

    Je réponds à tes deux questions avant d'oublier : oui, « moraliste » dans ce sens-là (je pense entre autres aux moments assez nombreux où Lordon, sous couvert de remarques générales, parle aussi de lui-même, évoquant par exemple les « guerres de reconnaissance » sans dire explicitement, mais il est difficile de ne pas y penser, qu'il participe lui-même à ces combats*), et oui, je vois ou crois voir ce que tu veux dire quand tu parles d'absence de « principe directeur » dans le monde selon Spinoza.

    Rien de particulier à dire sur Nietzsche et les déconstructions (à part merci, donc). Pour le reste, je me réjouis que mon étonnement à propos de Lordon et Nietzsche ait été éprouvé par d'éminents philosophes. (Je me suis évidemment demandé, cependant, si ton ami et toi ne faisiez pas qu'un, et si tu ne l'avais pas inventé pour éviter de te jeter des fleurs...)

    Ton hypothèse selon laquelle Lordon se focaliserait sur Spinoza, sciemment, pour épargner à ses lecteurs les complications tactiques qu'induirait l'appui de Nietzsche est séduisante, très séduisante – mais suppose beaucoup de ruse. (Tiens, ça me rappelle quand Nietzsche dit, en substance, que sans doute certains sages d'autrefois l'ont été suffisamment pour NE PAS dire ce qu'ils savaient ou avaient compris.) Je pencherais, si je devais parier et qu'on pouvait espérer avoir la réponse, pour l'explication plus simple que tu proposes, presque plus psychologique que philosophique : il est en terrain connu chez Spinoza et n'a simplement pas eu besoin de Nietzsche. Ça donne d'ailleurs une partie de son sel à son ouvrage : on redécouvre un paysage familier, mais en passant par des chemins inattendus. Paysage familier, mais vues originales.

    * De ce point de vue, le livre est plein de (quasi-)confidences. Exemple p.155 de l'édition Points-Essais : « Il faudrait alors entrer dans le détail des biographies pour savoir comment sont produits des individus à qui leurs dotations primitives permettront de maintenir une proposition privée contre une grande adversité, peut-être même en l'absence d'une validation sociale qui ne viendra jamais de leur vivant (...) » Un peu plus loin (p.159) : "Et ces plis particuliers eux-mêmes doivent à l'intensité de l'affect que l'individu plié, généralement enfant, avait préalablement investi dans l'individu pliant, et réciproquement d'ailleurs, parent, tuteur, instituteur, ce dernier mot valant en fait comme le générique de la série, à moins qu'il ne faille dire « constituteur », en tout cas : celui qui, faisant affection, nous aura installé dans une forme ou une autre de disposition à l'acquiescentia in se ipso, c'est-à-dire dans le sentiment de notre valeur."

  • Classico le 03/10/2021 à 17h05
    (Haha non, c'était vraiment un ami de fac, qui lui s'est beaucoup plus investi que moi dans la philo d'ailleurs, une fois les études terminées, un type extrêmement brillant.)

  • Le génie se meurt ? Ah mais l'mage rit le 03/10/2021 à 20h42
    Comme vous avez évoqué le cogito et Descartes, je viens de commencer "Aux origines des sciences humaines : linguistique, philosophie, logique, psychologie - 1840-1940".
    L'intro donne vraiment envie avec des questions du type "Qu'est-ce que la pensée ?" ou "pourquoi sommes-nous doués de conscience ?".
    Je ne vous cache pas qu'il a été écrit par deux linguistes J. Goldsmith et B. Laks, ce qui a fortement suscité mon intérêt (à la fois personnel et professionnel).
    C'est un gros pavé de presque 1000 pages, donc rendez vous dans plusieurs mois pour un retour (désolé de ne pouvoir vous en dire plus pour l'instant).

  • Utaka Souley le 03/10/2021 à 21h31
    Je viens de refaire mon retard sur ce fil, et comme toujours, les échanges dont passionnants. Je me permets néanmoins une petite intervention au sujet du paragraphe ci-dessous
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    Si la volonté de puissance est la seule chose qui résiste à la déconstructibilité générale (et c'est bien son statut chez Nietzsche), alors tout projet d'alternative radicale au capitalisme, fondé non plus sur la concurrence mais sur l'association, est vain, puisque la volonté de puissance, fichée en son coeur, le minera de l'intérieur.
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    Comment on fait coller ça avec la réalité de nombre de sociétés dites primitives (aborigènes d'Australie, peuples d'Amazonie, Indiens d'Amérique du Nord pour n'en citer que quelques uns) chez lesquels la compétition pour la possession n'existe pas, et où la collaboration est la règle ?
    Il me semble que c'est Lévi-Strauss qui est un des premiers à décrire ça.

  • Classico le 03/10/2021 à 21h58
    Ah ben c'est un bon terrain à opposer à Nietzsche, qui ne connaissait pas l'anthropologie des sociétés primitives. Et nul doute qu'il s'en serait nourri abondamment s'il y avait eu accès. Est-ce que ça aurait infléchi ses idées ? Je ne sais pas. La volonté de puissance ne s'épuise pas dans la compétition pour la propriété privée. L'idée de Nietzsche, c'est qu'elle est infiniment plastique et métamorphosable pour s'insinuer partout. Tout à fait à la façon des moralistes français du grand siècle (qu'il admirait), qui décelaient du narcissisme et de la vanité absolument partout. Il n'y avait pas de propriété privée des moyens de production ni de compétition économique dans la ZAD de N-D. des Landes, mais je me suis laissé dire qu'il y avait des jeux de pouvoir féroces, des forts et des faibles par décret social tacite, des gagnants et des perdants dans la compétition sexuelle et narcissique de cet ordre social auto-engendré à l'abri de la violence capitaliste.

  • Utaka Souley le 03/10/2021 à 23h36
    À N-D des Landes, c'était plein de gauchistes. C'est pas étonnant qu'il y ait eu des luttes de pouvoir.

  • Lescure le 04/10/2021 à 05h12
    Levy Strauss a beaucoup publié sur le sujet mais c'est Marcel Maüss (disciple et neveu de Durkheim) qui est considéré comme le papa de l'anthropologie française. Il a notamment établie les théories du don et du contre-don à partir de l'étude du Potlatch.

  • Red Tsar le 04/10/2021 à 08h13
    Sur cette question, on pourra se reporter aux travaux de Pierre Clastres, et notamment son fameux La Société contre l'État. À partir d'études de terrain menées en Amazonie, Clastres montre que ce n'est pas que ces sociétés ne connaissent pas les inégalités, les rivalités, les jeux de pouvoir, etc. mais qu'elles s'organisent pour les limiter. Ainsi, le chef n'a que des pouvoirs limités. Il doit sans cesse négocier pour être suivi au risque d'être déjugé, doit arbitrer, etc. De même, des cérémonies régulières organisent la redistribution.
    Les travaux de Pierre Clastres sont restés assez marginaux, car il s'oppose en partie à Lévi-Strauss, très installé dans les institutions, qu'ils dérangent aussi bien à droite qu'à gauche (il remet en cause l'État qui n'est plus perçu comme potentiellement bon) et il décède jeune dans un accident. Il me semble (à vérifier) qu'il voulait aller faire des études en Afrique pour tester son modèle.
    Ses travaux ont influencé Graeber et James C. Scott, notamment. Dans Zomia, ouvrage magistral, Scott entend démontrer que ce n'est pas que les peuples de la Zomia (région montagneuse en Asie) n'ont pas encore connu l'État, mais qu'ils l'ont connu et ont choisi d'en sortir pour revenir à une société sans État, car l'État c'est l'impôt, la conscription, le contrôle… De même, ces peuples, selon Scott, ont connu l'agriculture, mais sont revenus délibérément en arrière car l'agriculture c'est le surplus, la croissance des inégalités, l'attachement à une terre (et donc le contrôle par l'État), l'impôt… De même pour l'écriture : ces peuples auraient connu l'écriture et l'aurait bannie car l'écriture c'est figer la parole qui est dynamique et risquer une coupure entre « savants » et « non savants ».
    On peut noter qu'il ne s'agit pas ici d'une opposition Européens/non-Européens. Dans sa biographie de Périclès, Azoulay met en avant le fait que l'incroyable carrière de Périclès ne s'est pas faite grâce à ses origines sociales particulièrement favorisées, mais malgré elles. Sans parler des débats sans fins sur la questions des sociétés européennes proto-historiques…

  • Joey Tribbiani le 05/10/2021 à 11h06
    Je ne sais pas si ça rentre dans le périmètre de ce fil.
    Ce matin Daniel Kahneman était invité des matins de France Culture sur certainement une des questions les plus importantes et complexes : comment prendre de bonnes décisions et éviter nos erreurs de jugement.
    Génial et limpide.