Lyon, la tête dans le plafond
Avec un nouvel échec en Ligue des champions, l'OL a encore percuté son seuil de compétence... Que lui manque-t-il pour franchir un palier et passer à l'étage supérieur? Le mal est-il dans le modèle lyonnais?
Auteur : Pierre Martini
le 20 Mars 2007
Au lendemain d'une élimination contre la Roma qui sonne comme un désaveu des ambitions aulassiennes, c'est une série de questions anciennes qui se pose à nouveau, avec un peu plus d'acuité qu'auparavant. Loin de la "gifle monumentale" dont L'Équipe fit son gros titre, avec le sens de la nuance et de la charité qui caractérise le quotidien sportif, il apparaît cependant comme une nécessité, pour le club, de s'interroger sur ses propres limites s'il veut les dépasser...
Constat d'échec
Jusque-là, le président lyonnais avait atteint ses objectifs avec une lenteur irritante, mais une impeccable régularité. Après qu'il eut lancé son annonce d'un titre de champion "dans les cinq ans", on avait pu ricaner de ses échecs au pied de la première marche, mais les ricanements ont depuis longtemps été étouffés sous le podium. En revanche, il est une promesse présidentielle qui n'a pas été tenue. Non pas celle de conserver Essien ou Diarra, mais celle de remporter un titre européen. Ce qui devait être fait "d'ici à trois ans", selon une interview du principal intéressé parue dans L'Équipe... le 16 septembre 2002 (1).

L'échéance sera donc dépassée d'au moins deux ans avec cette nouvelle saison infructueuse en Ligue des champions. Il serait évidemment idiot de reprocher au dirigeant d'avoir été ambitieux, ou simplement de ne pas avoir atteint cet objectif, sachant combien celui-ci est élevé. En revanche, il est permis de relever que l'OL est resté loin de pouvoir l'accomplir, et même qu'il s'en est éloigné au cours des trois dernières saisons. Non seulement du point de vue purement sportif en sortant dès le huitième de finale, mais aussi sur le plan émotionnel: après une élimination injuste (PSV), puis une élimination cruelle (Milan AC), l'OL vient de connaître une élimination logique...
À cours d'arguments
Autant dire que sur son grand chantier – non pas l'OL Land de Décines, mais celui de la conquête d'une légende nationale qui passe inévitablement par des succès européens marquants – le club n'avance pas. On en est même à se demander s'il peut y arriver, ou bien s'il est condamné à stagner, faute des ingrédients nécessaires. À l'entame de chaque nouvelle saison, il semble pourtant mieux armé que jamais et son effectif peut, de l'avis général, rivaliser avec les meilleures formations du continent. Comment expliquer, alors, que les atouts qui lui permettent de surclasser ses rivaux français – continuité, autorité des dirigeants, cohérence sportive et économique, recrutement intelligent, etc. – semblent inefficaces sur les pelouses de la C1?
On peut d'abord avancer que l'absence de concurrence en Ligue 1 finit par avoir des effets négatifs sur la compétitivité européenne des Lyonnais: faute de sparring-partners de valeur pour s'étalonner, ils ne parviendraient plus à ajuster leur niveau à celui de leurs adversaires. L'argument ne peut toutefois suffire: de nombreux ténors européens connaissent la même fracture sportive dans leurs compétitions domestiques, sans en pâtir. Le procès de l'entraîneur, qui tient lieu de réflexe chez les journalistes, n'est pas, lui non plus, spécialement motivé en la circonstance, tant les facteurs paraissent à la fois plus divers et plus diffus...
En panne de révolution
Une autre hypothèse consisterait à diagnostiquer quelque chose comme une fin de cycle qui n'aurait pas été totalement assumée. La mini-crise de janvier en aurait été le symptôme, de même qu'aujourd'hui, les états d'âme ou les velléités contractuelles de cadres aussi importants que Coupet ou Juninho. En d'autres termes, l'OL souffrirait presque d'un excès de continuité, qui l'aurait empêché de marquer le terme d'une phase afin de mieux entamer la suivante, de faire en quelque sorte sa révolution pour pouvoir se réinventer – exactement comme il l'a fait précédemment, au fil de précédentes étapes majeures.
Les sorties moyennement maîtrisées du président pour traiter les remous internes (lire "OL Cuisine"), les réactions au terme du match aller (lire "Peut-on gagner la Ligue des champions en pleurnichant?"), l'ouverture de parapluie avant le match retour (à l'occasion des polémiques autour du derby) et l'extrême irritabilité des joueurs durant la rencontre apparaissent comme autant d'aveux de faiblesse ou d'immaturité, à la lumière du résultat. Tout s'est déroulé comme si, jusqu'au fatalisme d'après-match, les Lyonnais avaient accepté leur sort ou senti qu'ils n'avaient pas les moyens de le faire tourner en leur faveur.

L'Europe serait-elle trop grande pour Lyon ?
Faire germer le grain de folie
Mais ces raisons conjoncturelles ne portent aucune lumière sur des motifs qui semblent plus profondément ancrés dans le modèle lyonnais, lequel aurait ainsi rencontré ses limites. On le disait déjà l'an passé, à peu près à la même époque (lire "Pas de génie sans bouillir", CdF n°25): il manque certainement à l'OL ce que ses concurrents nationaux moins réguliers possèdent parfois en excès: ce grain de folie qui fait germer les épopées européennes, le haricot magique qui fait monter dans les nuages. Durant l'ère lyonnaise, deux clubs ont atteint les finales de la C1 et de la C3 (Monaco et Marseille en 2004), sans lendemains très enchanteurs, mais à des altitudes qui restent complètement étrangères aux Rhodaniens. Par le passé, tous les parcours européens marquants menés par des équipes françaises l'ont été au gré d'exploits et de retournements de situation improbables...
On a désormais du mal à imputer au seul hasard le déficit épique de l'OL, alors que ses participations européennes régulières lui ont forcément offert l'occasion d'écrire de telles histoires. Au point que la notion même d'aventure apparaît étrangement incompatible avec le style de l'OL, fait de rationalisation à l'extrême, porté par un discours qui considère systématiquement les résultats sportifs comme la conséquence ("inéluctable", dans le lexique de JMA) de saines politiques économiques. C'est encore ce discours qui a prévalu avec l'introduction en bourse d'OL Groupe tout comme lorsque, auparavant, le président avait insisté sur l'importance d'événements comme l'entrée du club au G14. Le contraste est flagrant entre, d'un côté, l'aisance olympienne dans les phases de poules, de l'autre, ces sempiternels blocages lors des matches à élimination directe – dont les enjeux semblent encore étrangers à sa culture.
Bien sûr, l'OL reste le club français le mieux placé pour s'imposer sur la scène européenne, et il est plus armé pour y parvenir que n'importe lequel de ses homologues nationaux. C'est justement la raison pour laquelle on attend de lui qu'il ne participe pas, comme cette année, à l'échec des clubs français en C1 et C3, mais porte le flambeau un peu plus loin...
S'il n'y parvenait décidément pas, l'Olympique lyonnais n'aurait pas réussi à convertir en réel statut européen une domination nationale sans précédent, et l'on risquerait, plus tard, de se souvenir de son empire comme une ère d'ennui – puisque cette emprise quelque peu castratrice serait également restée stérile sur la scène internationale.
(1) On peut mesurer la vitesse à laquelle le temps passe, en football, par un extrait de cet interview du président Aulas, évoquant alors l'absence de gaucher dans son effectif: "On en a beaucoup parlé entre nous: à preuve, on était tombés d'accord avec Bruno Cheyrou avant que Liverpool ne fasse de la surenchère. Après y avoir songé auparavant, on a eu aussi la possibilité de prendre Savio (mais aussi Munitis et Conceiçao) dans le cadre d'un éventuel transfert d'Edmilson au Real (...). Puis à une semaine de la clôture des transferts, on a étudié le cas de Diomède. On a finalement préféré préserver les joueurs en place, d'autant que Vikash, très brillant depuis la reprise, est revenu de Bordeaux plein d'allant. Sans compter que Delmotte est toujours là. Et, comme on me dit que le jeune Alexandre Hauw est un garçon d'avenir, je ne suis finalement pas déçu d'avoir fait confiance aux joueurs de l'effectif".