Supporters : les institutions toujours sourdes au dialogue
Alors que les supporters sont désormais dotés d'organes de représentation structurés et légitimes, la Ligue et la Division nationale de lutte contre le hooliganisme s'enferrent dans un refus du dialogue aussi injustifié qu'irresponsable.
"Bien des choses se feraient facilement sans les chimériques objections, que parfois les hommes se plaisent à inventer."
André Gide, La symphonie pastorale (1919).
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"Vous n’êtes pas représentatifs / pas crédibles / pas audibles" restent les arguments magiques des opposants au dialogue avec les supporters. Ces reproches furent fondés. Mais désormais, ce propos semble d’autant plus anachronique que l’investissement des supporters de football en la matière n’a jamais été aussi fort. Au point de se demander si ce ne sont pas les interlocuteurs institutionnels des supporters qui sont insuffisamment représentatifs.
1. Des interlocuteurs audibles et responsables
Le supportérisme n’a jamais été aussi clairement et synthétiquement structuré qu’aujourd’hui. Rationae loci, les supporters se sont structurés selon trois échelons adaptés aux problématiques et aux interlocuteurs institutionnels: les échelons européen, national et local. Rationae materiae, il existe deux structures pyramidales parallèles traitant pour une part de l’animation des tribunes et de la gestion des supporters, pour l'autre du rôle des supporters dans la gouvernance et la vie économique des clubs.
À trois mois de l’Euro 2016, l’actualité porte essentiellement sur le dialogue entre pouvoirs publics, acteurs institutionnels du football français et supporters. Par conséquent, nous n’évoquons ici que l’Association nationale des supporters et les initiatives locales.
Créée en 2014, l’ANS a essentiellement pour objet de fédérer l’ensemble des associations françaises de supporters de football pour servir d’interlocuteur au niveau national. Ses sujets de prédilection sont l’instauration d’un dialogue pérenne avec toutes les parties prenantes, l’amélioration des conditions de déplacement et d’accueil des supporters, la détermination d’un cadre fiable et uniforme des règles d’animation des tribunes et la défense des droits des supporters face à des mesures préventives ou répressives à caractère disproportionné. Elle fédère à ce jour, en tant qu’adhérentes ou partenaires, une quarantaine d’associations françaises, de la Ligue 1 à la CFA. Ces associations ne sont qu’en partie réputées "ultras".
En moins de deux années, elle a été reçue par l’ensemble des acteurs du football français, à l’exception de la LFP. Elle a nourri des échanges plus ou moins fructueux avec chacun d’entre eux. Sa participation, cette semaine, aux Fan Embassies (Respect de la Culture Fan) au côté et sous l’impulsion de la FFF est à saluer. Elle semble, par ailleurs, avoir nourri des relations de travail intéressantes avec des parlementaires comme la députée Marie-George Buffet ou le sénateur Didier Mandelli. Reconnue par le secrétaire d'État aux Sports Thierry Braillard, l’ANS doit encore approfondir, avec pédagogie, ses travaux avec le secrétariat d’État en charge des Sports – lequel appuie souvent la nécessité du dialogue et remet en valeur le Livre vert du supportérisme. L’ANS travaille aussi avec des universitaires et juristes reconnus dans ces domaines. Au niveau européen, enfin, elle est reconnue par Football Supporters Europe (interlocuteur européen agréé par l’UEFA et présent dans quarante-huit pays européens) comme l’interlocuteur français incontournable.
Localement, les clubs et préfectures peuvent compter sur de nombreux interlocuteurs ouverts et préparés. Concernant les problématiques de gestion des flux et d’accueil des supporters, des associations locales tendent à endosser le rôle de SLO (Officier de liaison supporters imposé par l’UEFA). C’est notamment le cas d’ADAJIS à Paris ou ADDSUNA à Nantes, comme en témoignent les accords conclus avec la préfecture d’Ille-et-Vilaine lors des rencontres Rennes-PSG et Rennes-Nantes. Sur des sujets particuliers, il existe des interlocuteurs de valeur comme Handifan Club OM pour accueillir les supporters handicapés au Stade vélodrome.
2. Des acteurs institutionnels réticents face au dialogue
Ces associations de supporters ne sont ni dans une démarche de contestation, ni dans une démarche de revendication. Elles tendent la main et sont force de proposition, car elles considèrent que leur intérêt, mais aussi celui des acteurs institutionnels, est la synergie. Le dialogue, l’écoute et la pédagogie réduisent et légitiment le recours aux mesures de restriction et de coercition. Au contraire, le cloisonnement et la prise de décision uniquement verticale créent incompréhension, tensions et radicalisme. Elles ne cessent d’inciter les acteurs français à s’intéresser aux SLO imposés par l’UEFA et aux Fan Projekt / Fan Arbeit en Allemagne, en Suisse ou au Benelux.
Le secrétaire d'État aux Sports, Thierry Braillard, a compris les enjeux et est le premier à avoir porté au Parlement la question du rééquilibrage du rapport entre dialogue et répression. C’est sous son impulsion qu’un texte de loi (encore en débat) sacralise les vertus du dialogue avec les supporters. Il doit être soutenu pour que ces avancées ne restent pas que des promesses abstraites.
Le problème réside avant tout dans les divergences au plus niveau de l’État et notamment dans les discours, cristallisés par la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) qui refuse de prendre en compte les propositions et retours d’expérience des supporters. La LFP n’évoque les supporters que pour prendre des sanctions collectives (amendes, huis clos, retraits de points) pour des actes individuels. Le législateur ne consulte pas les supporters et ne traite d’eux que dans des lois sur le terrorisme, le crime organisé ou le hooliganisme. Ces textes accentuent les moyens de répression sans jamais juger de leur utilité et de leur efficacité. Pire, l’alourdissement des mesures répressives conduit à des abus et des atteintes aux libertés de plus en plus nombreux, sans que jamais l’instauration de garde-fou ne soit abordé dans les débats. Tout est fait pour s’éloigner du contrôle du juge: inflation des mesures arbitraires de police administrative et volonté de conférer des missions de police aux sociétés commerciales que sont les clubs.
S’il est des interlocuteurs non représentatifs, ce sont bien les pouvoirs publics. Que doivent comprendre les supporters lorsque la pratique qu’on leur oppose sur le terrain contredit les discours? L’État ne cesse de commander des rapports universitaires ou parlementaireswww.senat.fr/rap/r06-467/r06-467.html qui prônent la prévention et le dialogue. Les acteurs du football français enchaînent les discours sur l’importance d’impliquer les supporters comme partie prenante du football et non comme des consommateurs. Pourtant, quand les supporters se proposent pour donner corps à ces théories et effets d’annonce, la réponse est soit inexistante, soit répressive.
3. Des pouvoirs publics à contre-sens
La DNLH ne se contente pas d’être sourde, elle multiplie les efforts pour décrédibiliser les supporters responsables et constructifs et pour déstructurer les tribunes françaises. Elle a déjà interdit ou restreint près de deux cents déplacements de supporters depuis le début de la saison (soit une moyenne de cinq rencontres par week-end). À aucun moment elle n’a saisi les nombreuses mains tendues par les supporters pour convenir intelligemment des déplacements afin de faciliter le travail des forces de l’ordre. Contrairement à ce que la DNLH laisse entendre, l’ANS n’a jamais refusé de participer à des réunions d’information ou de préparation. Bien au contraire.
Depuis 2009, sa politique a pour effet de déstructurer les tribunes et d’éliminer des interlocuteurs. S’appuyant sur des précédents, la DNLH chante les louanges de la dissolution administrative d’associations de supporters, oubliant que ces supporters continuent de venir au stade mais que les acteurs locaux (clubs, RG) ne disposent alors plus d’interlocuteurs ou de personnes acceptant d’assumer des responsabilités collectives. En attestent la garde à vue et les poursuites engagées contre l’ancien président d’une association de supporters niçois dissoute pour en avoir fêté l’anniversaire par un tifo. Ou comment inciter à la clandestinité.
À cet égard, il y a lieu de s’inquiéter du recours ciblé à des mesures d’interdictions individuelles de stade contre les supporters qui, au nom des groupes, sont force de proposition et vantent le mérite du dialogue. C’est le cas du porte-parole de la Brigade Loire, qui se retrouve seul poursuivi pour violation d’une interdiction de déplacement alors que plusieurs centaines de supporters étaient aussi au stade du Moustoir, et alors que les autorités locales ne se sont pas opposées à leur venue. Si l’on coupe les têtes qui veulent dialoguer, qui osera assumer des responsabilités au nom des supporters? Qui osera préférer le dialogue à la clandestinité et à l’affrontement?
À la transparence des associations de supporters s’opposent l’opacité et la censure des pouvoirs publics et de la LFP. La DNLH refuse ainsi toute publication de ses rapports annuels, notamment sur la nature réelle des comportements réprimés ou sur l’influence d’une répression croissante sur l’évolution des chiffres de la délinquance dans les stades. Par incompétence ou par lâcheté, la LFP veut cacher la poussière sous le tapis: ni travaux ni rapports publiés, censure de banderoles ni injurieuses ni diffamatoires dans les stades, sanctions collectives en lieu et place de mesures ciblées et efficaces, refus total du dialogue… L’hypertrophie de la répression contre les fumigènes en est symptomatique. Désignée comme le danger ultime, la pyrotechnie constitue l’un des principaux – si ce n’est le principal – motifs de sanctions pénales ou administratives contre des supporters et contre les clubs. Au lieu de se concentrer sur les phénomènes de violence, aussi rares soient-ils.
"Le problème des supporters, c'est qu’ils ont du mal à trouver, au sein des pouvoirs publics, des interlocuteurs représentatifs avec qui travailler", serait-on tenté de dire devant les divergences de points de vue entre ministères ou institutions du football français.
NdA : Les écrits ci-dessus n’engagent que leur auteur et en aucun cas la moindre association de supporters.