Stade Aztèque, du béton et des bonbons
Carnets d'Amérique latine, ép. 1 - Où mieux commencer un road trip foot et food en Amérique latine qu'à l'Estadio Azteca de Mexico ?
J'avais neuf ans quand Maradona a soulevé la Coupe du monde au Stade Aztèque de Mexico, le 29 juin 1986. Je n'en garde aucun souvenir, et ne suis même pas certain d'avoir regardé la finale. J'ai sans doute mobilisé toutes les capacités de stockage de mon cerveau pour garder intactes les images de ce magnifique France-Brésil disputé huit jours plus tôt.
J'ai aussi gardé quelques octets pour le sentiment amer de la demi-finale perdue contre l'Allemagne, premier crève-cœur de ma vie de supporter (j'étais trop jeune pour Séville).

Mais pour le Stade Aztèque, rien. Malgré ça, comment ne pas rêver à la seule évocation du doux nom de cette enceinte ? Car il y a le football, bien sûr, mais il y a aussi toute la mystique véhiculée par Les Mystérieuses cités d'or, animé mythique de l'enfance de tous les quadras dont je suis.
Esteban, Zia, Tao, Jean Topart et sa voix chaude, pour le cours d'histoire des civilisations qui suivait chaque épisode. Les Olmèques. Les Toltèques. Les Aztèques.
Chips, tacos et cigarettes
Samedi soir dernier, le taxi m'a déposé « à trois blocs du stade ». Il y avait des bouchons sur la Calzada de Tlalpan, alors il m'a suggéré de descendre du véhicule, arrêté au milieu des trois voies, et de me faufiler jusqu'à la chaussée pour rejoindre ma destination à la marche.

C'est toujours le meilleur moment, selon moi. Le stade n'est visible de nulle part, mais il est déjà là, partout. Sur les panneaux routiers. Dans le flux de supporters qui convergent en cortège vers le lieu de l'affrontement, maillot jaune du Club América (qui partage le stade avec Cruz Azul) sur le dos. Dans le nom des puestos, ces stands de nourriture qui essaiment partout les soirs de rencontres : « Tacos Azteca », indique une banderole criarde sur un food-truck de fortune.
Dans la rue, des vendeurs à la sauvette de maillots, casquettes, fanions, posés à même le sol sur des couvertures, écoulent leur matos tant bien que mal. Après une quinzaine de minutes de marche, et une succession de stands de chips, de cigarettes et de bonbons, le stade apparaît enfin.

Il est sombre. On est bien loin des nouveaux standards européens, de la bouée multicolore de Munich et autres arenas flambant neuves, éclairées par un déluge de lumens. Il est imposant, aussi, mais pas spécialement spectaculaire. C'est un édifice de béton à l'ancienne, qui rappelle un peu l'extérieur du vieux Sanchez-Pizjuan de Séville, en version king size.

Cette relative austérité architecturale contraste avec la vie qui grouille alentour. Deux heures avant le coup d'envoi, l'immense esplanade qui sert d'accès central au monument est déjà noire de monde. Comme la rampe d'accès qui le relie à la station de métro, constellée de vendeurs ambulants de street food. Ça sent le maïs cuit et le cochon rôti.

La lunette d'Ochoa
Je n'ai pas acheté de place en ligne : on m'a dit qu'il en restait tout le temps le soir même, au guichet. Je ne trouve pas le guichet (= j'ai la flemme de le chercher), alors un stadier m'indique « une amie » qui pourra me dépanner. Elle sort une liasse de places de son sac à dos et il m'en coûte 200 pesos (environ 9 euros) pour me procurer le sésame qui me donnera accès au deuxième anneau, avec vue panoramique sur la Liga MX.
Avant d'entrer, il faut toutefois se délester de sa ceinture, considérée comme une arme par destination par les autorités locales (et les supporters les plus calientes). Je la dépose dans une des nombreuses consignes privées à l'entrée du stade. Contre 20 pesos, c'est un dénommé David qui veillera sur le précieux objet. Tant pis si j'arrive en haut des gradins avec le jean au niveau des genoux.

Le stade est effectivement gigantesque : jadis, ils étaient plus de 100.000 à s'entasser dans les gradins (jusqu'à 136.274 pour un Chavez vs Haugen, et 114.580 pour la finale du Mundial 86, selon Wikipédia).
Aujourd'hui, la capacité est limitée à 87.000 aficionados, mais pour cette anonyme rencontre de début de tournoi de Clausura 2022 (également appelé tournoi Grita Mexico), nous devons à peine être la moitié : une sorte de jauge covid sans jauge covid. Cela n'empêche évidemment pas les porras de chanter, du début jusqu'à la fin : on est en Amérique latine.

Le match entre Club América et l'Atlas Futbol Club (de Guadalajara) est insipide : les visiteurs nettoient malgré tout la lunette de Guillermo Ochoa - bien connu des supporters de Ligue 1 - sur un contre en deuxième mi-temps, avant d'enfoncer le clou sur un tir en pivot qui fait « gamelle » dans le temps additionnel.

Je l'écris ici pour pouvoir m'en souvenir demain : mon cerveau n'utilisera probablement pas beaucoup de ses capacités de stockage pour enregistrer les images des « exploits » du soir. Il ne restera sans doute pas grand-chose de cette rencontre dans trente ans, ni peut-être dans deux. Mais je pourrai quand même dire que j'ai vu un match un match au Stade Aztèque.

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