Sport, cannabis et crétinisme journalistique
le 24 Fev 1998
Claude Droussent est rédacteur en chef de L'Equipe magazine, encart publicitaire hebdomadaire du quotidien sportif d'Issy-les-Moulineaux. A ce titre, il a le droit d'écrire (en gros caractères) un éditorial en page 5. Cette semaine, il a décidé d'affirmer un point de vue risqué et très politique : le snowboard, c'est bien, c'est un vrai sport et on est content d'avoir eu une médaille d'or à Nagano, malgré un "Canadien imbécile (...) contrôlé positif à la marijuana". Parce que Claude Droussent est une autorité morale, il sait ce qui est bien et ce qui est mal, c'est facile pour lui. Et la marijuana (comme on disait dans les années 60), c'est mal. Le plus hallucinant, c'est que dans le même texte on peut lire: "il faut arrêter d'argumenter sur des critères vieux de trente ans", et "il faut se méfier des amalgames". Rappelons deux ou trois faits objectifs à notre imam en pantoufles. Le cannabis n'est pas une substance dopante, seule l'hypocrisie collective des tenants d'une morale aveugle et bienséante permet de le faire figurer sur la liste des produits interdits, en dépit de toute objectivité médicale. Le cannabis n'est même pas une drogue, ce n'est pas un journaliste sportif qui va nier le fait scientifique qu'il ne produit aucune dépendance physique (à l'inverse de la caféine, de la nicotine, de l'alcool, des antidépresseurs, anxiolytiques, euphorisants en vente libre dans nos pays libéraux, et la liste n'est pas close). Reprocher à un athlète de fumer un joint, c'est aussi stupide que de lui reprocher de boire un verre, de tirer un coup ou de regarder un film des Monty Python. Que l'on puisse le condamner pour ça est surtout révélateur de la tartuferie pathétique des institutions et des journalistes qui lancent des pierres avec les lapideurs. Mais pour quitter le sillon bien tracé de la pensée officielle, les lieux communs du journalisme et les standards imbéciles de la morale dominante, pour simplement dire la vérité — pour lutter contre le dopage par exemple — ne comptons pas sur M. Droussent qui aurait trop à perdre à voir remises en cause ses petites certitudes, son bon gros bon sens qui flatte le beauf dans le sens du poil et son hypocrisie congénitale. On peut légitimement désespérer de la possibilité d'atteindre à un peu de dignité et de réel pouvoir critique, à entendre nos médias les plus monopolistiques crier au loup tout en abusant les moutons. Le rédac'chef pourra toujours écraser la vérité de tout son mépris pour elle, l'essentiel est bien que les recettes publicitaires continuent de rentrer, qu'importent l'éthique ou la déontologie les plus élémentaires. Les industries du sport ont trop besoin de l'indigence intellectuelle de ce brave Claude. Lui, il aurait besoin de fumer un petit pétard avant de pisser sa copie, au risque d'être contrôlé positif: ça lui ferait atteindre des sommets de créativité et de lucidité, mais évidemment, il pourrait bien perdre son job s'il se mettait à penser.