Schillaci 1990, la fête à Toto
Les belles histoires de la Coupe du monde – Le temps d’un Mondiale qui va définir sa carrière, Toto Schillaci devient le chouchou inattendu de toute l’Italie.
Salvatore Schillaci est un homme à l’image du milieu dans lequel il a grandi: modeste. Au-delà de ses six buts au cours de la Coupe du monde 1990, ses qualités de simplicité, d’humilité et de candeur ont probablement fait de lui l’idole de l’Italie. Tout au long de la compétition, celui que l’on surnomme “Toto” rappelle sa joie, celle qu’il procure à tout un pays. Sans jamais oublier d’où il vient, ni qui il est: “Je suis simplement quelqu’un de discret, qui cherche à donner le meilleur de lui-même.” Et l’aventure exceptionnelle qu’il est en train d’écrire: “Je vis un rêve extraordinaire. Surtout ne me réveillez pas…” [1] Un rêve qui a pris forme de manière inattendue.
Premier rendez-vous réussi
La saison 1989/90 est la première de Schillaci dans l’élite italienne. Après avoir écrémé les échelons inférieurs et claqué un nombre important de buts en équipes de jeunes, il est recruté par la Juventus Turin au sortir d’un exercice qui l’a vu marquer à vingt-trois reprises avec Messine en Serie B, sous les ordres d’un certain Zdenek Zeman. “Je voudrais voir ce que je peux donner en Division 1. Au moins un an. Après, je retournerai à Messine.” L’objectif est plutôt modeste, loin de l’idée de devenir le meilleur joueur de la Coupe du monde domestique qui pointe le bout de son nez. Mais Toto claque quinze buts avec la Vieille Dame en championnat, est un acteur important de la conquête de la C3 et le sélectionneur Azeglio Vicini l’appelle dans le groupe pour le Mondiale. Il n’a encore jamais porté le maillot de la Nazionale.
La concurrence devant est rude, avec notamment Roberto Mancini, Gianluca Vialli et Aldo Serena. Schillaci est a priori le dernier choix de Vicini, mais sa bonne préparation convainc son coach de l’intégrer à la feuille de match pour la rencontre initiale face à l’Autriche. L’Italie bute encore et encore sur son adversaire, et il reste un quart d’heure à jouer. Schillaci est incrédule quand Vicini lui demande de s’échauffer: “Tu parles de moi?” Son coéquipier à la Juve, Stefano Tacconi, lui glisse alors: “Tiens-toi prêt, parce que tu vas bientôt entrer et marquer… Une tête comme John Charles.” Toto est terrifié. Mais deux minutes après son entrée en jeu, il reprend aux six mètres d’une magnifique tête un centre de Vialli. Le Stade Olympique de Rome et Toto explosent d’une “joie intense”.
Chouchou de tout un pays
Schillaci n’en demande pas pour autant une place de titulaire pour le prochain match, face aux États-Unis: “Être l’homme du dernier quart d’heure, cela me convient très bien.” Cependant, sous la pression populaire, Vicini l’aligne contre la Tchécoslovaquie. Il faut moins de dix minutes à Toto pour marquer encore une fois de la tête. Alors qu’il n’avait inscrit aucun pion de cette manière durant la saison. Le doute laisse la place à l’optimisme dans tout le pays. L’Italie s’entiche de ce bonhomme volontaire à la gueule ingrate, aux “yeux sauvages”, à l’attitude candide, qui vit intensément ses matches. “Avec mes buts, j’ai réunifié l’Italie”, s’amuse-t-il à dire, lui le Sicilien.
Le phénomène se propage (“Beaucoup de gens en Italie ont appelé leur chien ‘Toto’ durant cette période”) et la belle histoire continue. Même s’il s’en défend, il se transforme en homme providentiel de l’Italie. Il trouve l’ouverture en huitièmes face à l’Uruguay d’une lourde frappe du gauche à l’entrée de la surface. Il est l’unique buteur du quart contre l’Irlande en reprenant un ballon relâché par Packie Bonner. Toto, qui vient d’avoir un deuxième enfant durant le Mondiale, reste tout de même lucide et vit son rêve. “C’est un garçon humble. Je suis certain que l’enthousiasme qu’il suscite ne lui est pas monté à la tête”, confie son père Domenico. Paolo Rossi, avec qui on n’hésite pas à comparer Schillaci, déclare: “Dès qu’il arrive quelque part, il porte bonheur.”
Trois semaines pour une vie
Il marque encore un but de renard en demi-finale contre l’Argentine de Maradona. Insuffisant, puisque l’Italie est éliminée aux tirs au but. Dans les vestiaires, il ne fait que fumer et pleurer. Son histoire avec ce Mondiale n’est pas tout à fait finie, Roberto Baggio lui laissant la faveur du penalty en match de classement face à l’Angleterre, lui permettant de finir meilleur buteur. Cette idylle est même plus que cela; elle est pour lui indélébile: “Il y a eu certaines fois où des gens ont juste fondu en larmes en me rencontrant. C’est super quand je vois un gros sourire sur leurs visages, ils sont si heureux. J’aurai toujours avec moi, pour le reste de ma vie, les souvenirs merveilleux de Italia ‘90.”
La suite de la carrière de Schillaci est bien plus délicate. Il marque peu avec la Juve puis l’Inter Milan, qu’il rejoint en 1992. En Lombardie, il vit des moments très difficiles, certains tifosi lui rappelant à travers une banderole qu’il est un “terrone”, un sudiste, avec le sens péjoratif que revêt cette question en Italie. Toto rebondit au Japon, où il inscrit une soixantaine de buts et devient le premier joueur transalpin à tenter l’aventure au pays d’Olive et Tom. Il a en fait “toujours été un émigré… Un Palermitain à Messine, un Sicilien dans le Nord, un Italien au Japon.” Tout comme il ne cessera de faire voyager avec lui ces trois semaines inoubliables et irremplaçables qui ont signé sa carrière. Et qui font de lui l’une des meilleures raisons d’apprécier un tournoi si mal aimé.
[1] Lire “Schillaci rend folle l’Italie”, Patrick Urbini, France Football