Sarkozy bloqué au même stade
Périodiquement, Nicolas Sarkozy s’offre une vague de médiatisation en surfant sur les incidents dans les stades. Jusque-là, avec la complicité de médias aussi passifs qu'amnésiques, les gesticulations du ministre contre le hooliganisme ont surtout servi sa propre cause...
Auteur : Jerôme Latta
le 17 Mars 2006
Certains journalistes sont comme des boutons. Pas du genre à prendre des initiatives, mais très réactifs: il suffit d'appuyer dessus et ces ventriloques débitent tout ce que vous avez à leur mettre dans la bouche. Ainsi, grâce à l'extraordinaire complaisance et à la non moins remarquable amnésie d'une bonne partie de la corporation, Nicolas Sarkozy peut-il, plusieurs fois l'an, occuper le terrain avec ses campagnes (pardon, ses "croisades") contre le hooliganisme, tout en ayant la certitude que personne n'entamera la moindre enquête sérieuse sur le sujet, et n'osera encore moins souligner l'inefficacité du ministre de l'Intérieur. Il est infiniment plus facile de fustiger les hordes de "sauvages" ou de "barbares" (rhétorique purement sarkozienne impliquant un martèlement qui ravirait certains idéologues des années trente) qui mettent nos stades à feu et à sang, de pondre des articles extatiques sur le courage du candidat à la présidentielle 2007 ou de répéter comme des perroquets les mots du ministre et les statistiques fournies par ses services...
Toujours est-il qu'après trois années de gesticulations, le petit Nicolas a remis le même disque sur la platine en ce mois de mars. C'est ainsi que, parmi les mesures déjà existantes, inapplicables ou anti-constitutionnelles qu'il n'a eu de cesse d'agiter depuis 2002, il a pu refaire campagne sur l'une de ces dernières, votée fin novembre, mais dont le décret d'application a été publié cette semaine : l'interdiction de stade des [personnes que le préfet va considérer sans autre forme de procès comme des] hooligans. En attendant une autre disposition virtuelle (trompettes, roulements de tambours, grandes orgues): la dissolution des "associations de supporters violents". Un concept hautement comique quand on y réfléchit deux secondes, mais peu importe.
L'occasion est donc belle de mettre en ligne cet extrait du n°21 des Cahiers du football, paru en décembre 2005.
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Depuis la fin du mois de septembre, des incidents graves ont en effet marqué une nouvelle radicalisation des rapports entre les supporters des virages Boulogne (Boulogne Boys et indépendants) et Auteuil (Tigris Mystic notamment), après une saison de front commun contre la direction du club et son directeur de la sécurité, Jean-Pierre Larrue, finalement limogé à la faveur de l’arrivée de Pierre Blayau à la présidence. Au Mans, à Auxerre, mais aussi à Paris lors de la réception de Nantes, une série d’agressions et de représailles entre groupes ont émaillé les matches du club parisien.
Le PSG fait "flamber" l’insécurité
À l’Assemblée nationale, le mercredi 20 octobre, il a ainsi affirmé vouloir "débarrasser nos stades des voyous qui n’ont rien à y faire. Les familles doivent pouvoir revenir dans les stades de football français". Surgissant au PC sécurité du Parc des Princes le week-end suivant et multipliant les interventions (y compris lors de sa désormais fameuse visite à Argenteuil), il a fait la publicité d’un arsenal de mesures devant être inclues dans le projet de loi contre le terrorisme. Accompagnant opportunément l’intervention du ministre, des données alarmistes ont été délivrées à la presse par les Renseignements généraux, selon un scénario bien rodé s’agissant d'insécurité (1), diagnostiquant une "flambée de violences" depuis le début de la saison. Bizarrement, les chiffres de la Ligue ne corroborent pas cette tendance puisqu’ils relèvent 12% d’incidents en moins. Seul point de convergence: la moitié des incidents se concentrent sur le PSG, responsable à lui seul de la "flambée" statistique.
L’extraordinaire impunité dont bénéficient les groupes racistes de Boulogne depuis plus de vingt ans est paradoxalement menacée par les réactions de l’autre frange des supporters. Car comme le dit un membre du cabinet de Sarkozy cité par le Journal du Dimanche, "En gros, c’est les Gaulois contre les chamarrés", ou pour reprendre les propos d’un dirigeant parisien dans le même hebdomadaire, "Il y a de la racaille chez les Tigris et des fachos à Boulogne". Cette racaille chamarrée offre donc un potentiel médiatique incontestable par les temps qui courent.

Répression préventive
L’ancien maire de Neuilly a évoqué, comme à son habitude, la "lenteur de certaines décisions de justice" pour justifier la mesure phare de son dispositif, adoptée le 24 novembre par les députés: des interdictions administratives de stade qui ne seront pas prononcées par les tribunaux, comme la loi Alliot-Marie de 1993 le prévoit, mais par les préfets... Il est vrai que la Justice, cette mijaurée, a besoin d’établir la culpabilité des personnes avant de les sanctionner, alors qu’un préfet n’aura pas ce genre de scrupules. Le problème est que cette mesure bafoue les principes élémentaires de l’état de droit: ces pratiques ouvrent la porte à la généralisation de l’arbitraire et à l’officialisation du délit de sale gueule.
Il serait également question d’interdire et de dissoudre les groupes de supporters qui appellent à la violence sur leurs sites. Quatre ou cinq d’entre eux seraient dans son viseur, à Paris, Nice et Marseille. "Nous commençons à constituer des dossiers", menace-t-il. Enfin, il faut "renforcer les moyens de vidéosurveillance dans les stades", afin d’obtenir des "plans serrés qui permettront d’avoir la preuve judiciaire et d’obtenir (...) les condamnations dont nous avons besoin".
Plusieurs remarques s’imposent: cela fait belle lurette que les stades sont équipés de caméras haute résolution qui permettent de tels gros plans. Le Parc des Princes en compte ainsi 98, capables de cadrer les visages et d'identifier les numéros de siège correspondant. Quant aux "dossiers" sur les Ultras violents, ils doivent atteindre plusieurs tonnes depuis le temps qu’ils sont constitués: qui va croire que les fauteurs de trouble ne sont pas déjà dûment identifiés et fichés, alors que le renforcement du renseignement policier est au programme de tous les dispositifs adoptés depuis 2002? "Les Renseignements généraux connaissent, individuellement et parfaitement, les cent cinquante [hooligans parisiens] les plus dangereux", déclarait Frédéric Thiriez dans L’Équipe du 19 mars 2003.
Multirécidiviste
Nicolas Sarkozy agite des mesures inapplicables ou inappliquées et des dispositifs existant déjà, multiplie les propos contradictoires... Chaque année, il s’offre une belle vague de médiatisation en surfant sur des incidents dans les stades. À chaque fois, il ressert le même discours, les mêmes menaces, les mêmes formules, le même programme (voir ci-dessous). L’amnésie étant la règle d’or de la vie politique française, aucun média ne souligne le caractère récurrent de cette mise en scène, ni, surtout, l’inefficacité totale de son action depuis 2002. Que les dispositions annoncées avec tambours et trompettes soient adoptées ou pas, elles restent sans effet sur la situation réelle: en trois ans, l’arsenal répressif de notre remuant ministre de l’Intérieur n’a réglé aucun problème.
Mais est-ce vraiment le but? Personne ne soulignant cette inefficacité, la continuation des troubles ne garantit-elle pas une tribune privilégiée au candidat à la présidentielle 2007 et lui permet de renforcer – en dépit de la réalité – son image de redresseur de torts et d’ultime recours? Dans le domaine du football comme dans d’autres, il s’agit pour lui de trouver l’équilibre idéal entre des incidents qui perdurent et l’incarnation d’un ordre que lui seul pourrait rétablir – mais uniquement lorsqu’il aura tout le pouvoir. D’ici là, les violences qu’il prétend dénoncer continueront de servir ses stratégies de communication.
(1) Lire "Violences et insécurité" de Laurent Mucchielli, éditions La Découverte.
Un disque rayé
Le discours sarkozien sur les stades associe de manière répétitive certains mots vedettes, dont l’accumulation tient lieu à la fois de raisonnement et d’évaluation de la situation : "violence", "mal", "barbarie", "racisme", "voyous", "guerre", "ratonnades", "bagarres de rue", "dérives", "gangrène", "casseurs". Depuis trois ans, le gouvernement a occupé le terrain médiatique avec plus de succès que dans la réalité.
Janvier 2003 : N. Sarkozy lance une "offensive contre la violence dans le football" et annonce un amendement au projet de loi sur la sécurité intérieure "pour durcir les condamnations contre ceux qui se comportent comme des voyous" et renforcer les interdictions de stade ainsi que les renseignements policiers sur les hooligans.
• "Qui peut comprendre que pour le match PSG-OM, nous devons mobiliser pas moins de 2.000 fonctionnaires ?"
Janvier-mars 2004 : N. Sarkozy reçoit Francis Graille, président du PSG, à la suite d’incidents survenus à Lyon, puis Frédéric Thiriez. En juillet, le président de la Ligue déplorera que "depuis, il n’y a eu que des belles paroles, mais pas d’actes".
• "L’idée de devoir mobiliser 2.000 policiers pour un match de football est invraisemblable (...) Mon ambition est que l’on puisse aller de nouveau au stade en famille" (L’Équipe).
Décembre 2004-janvier 2005 : Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur, et son collègue de la Justice Dominique Perben, se lancent dans une croisade anti-hooligans. La médiatisation est massive, mais seuls deux décrets seront tardivement adoptés.
Octobre 2005 : N. Sarkozy prône une "nouvelle" série de mesures à inclure dans la loi contre le terrorisme.
• "Les familles doivent pouvoir revenir dans les stades de football (...) Pour PSG-OM, nous avons dû monopoliser 2.200 policiers".