Sans cérémonie
Notre chroniqueur-vedette nous livre ses impressions détergentes sur les trophées UNFP du football mis en scène par Canal+.
M'étant coltiné la lugubre cérémonie des "Oscar" du football sur Canal+, autant dire que je suis partagé entre la déprime et la mauvaise humeur. Il n'a manqué, pour parachever la désolation ambiante, que la séquence sur nos chers disparus, avec musique lacrymogène de circonstance et diaporama en noir et blanc.Un job sur mesure pour Didier Roustan, que personne n'a pensé à lui proposer.
C'est bien la peine de faire des couplets sur les entraîneurs au chômage. Enfin, cela reste la seule soirée durant laquelle le football français se donne l'illusion qu'il a le sens de l'humour, avec l'imitateur de service, qui y est allé de son sketch annuel sur Barthez. L'original aurait été au moins aussi drôle. Du genre, "Si je crache, c'est parce que j'en ai entre les jambes". Il faudra qu'il nous explique le lien entre ses gonades et ses glandes salivaires, ça pourrait intéresser les spécialistes des perturbations endocriniennes.
Arnaques et minauderies
Ce n'était pas l'Olympia de Marseille en tout cas, même si une vile manipulation a permis à Batlles d'empocher le trophée du plus beau but de l'année. Nos amis ont en effet annoncé l'état des votes en début d'émission, logiquement dominés par la fusée de Pascal Feindouno, un geste d'une pureté qui m'a rappelé Rocheteau en 76, à l'époque où le frappeur traversait la balle et où sa jambe partait bien haut pour croiser son bras opposé. Une attitude splendide d'équilibre, de puissance et de grâce, sans rapport avec celles qu'imposent les ballons de plage téléguidés d'aujourd'hui.
Bref, à la fin de l'émission, les supporters marseillais, trop heureux de pouvoir remporter une breloque lors de cette décade, avaient grillé leur forfait Neuf Télécom pour élire leur héros, un des rares membres de l'effectif olympien qui ressemble vaguement à un joueur de football (Zidane, probablement). Passons sur la prestation fugitive mais néanmoins pathétique de Frédéric Thiriez, auquel il suffit de quelques secondes pour nous infliger sa jovialité grossière. Il serait plus à sa place dans un costume de Mickey à l'entrée de Disneyland.
On aura pu, en revanche, apprécier la tentative d'expliquer à Marcel Desailly que sa carrière était terminée en lui remettant un trophée d'honneur (de leçons?) pour l'ensemble de son œuvre. À l'autre bout de la pyramide des âges, Jérémy Toulalan pourra toujours tenter d'enchaîner son titre de meilleur espoir avec celui de meilleur joueur de L2 la saison prochaine.
Olympique assiette
Le fait de la soirée, c'est que l'Olympique lyonnais a été massivement récompensé, ce qui nous épargnera au moins le spectacle de Jean-Michel Aulas en train de geindre que son club n'a pas la reconnaissance qu'il mérite. J'ai pourtant imaginé un moment que les votes pour le meilleur joueur, se partageant entre Juninho et Essien, allaient porter au pinacle Alexander Frei — autre grande pleureuse caractérielle, mais sympathique chasseur de buts dans son canton de veaux. Il n'en fut rien, et c'est donc le Ghanéen qui remporta la mise, peut-être parce que les myopes le confondent avec Diarra, ce qui double ses statistiques.
Vous me permettrez de voir dans cette élection un aboutissement logique pour le foot contemporain: en effet, après les coureurs de fond multi-pulmonaires et les sprinters peroxydés, ce sont désormais les haltérophiles qui soulèvent les masses.
Quant au choix de Grégory Coupet comme meilleur gardien de la Ligue 1, on doit s'en amuser, puisque qu'il est le membre de sa corporation qui a eu le moins d'arrêts à effectuer, et qu'il est aussi le seul n'ayant pas eu besoin de s'empaler sur son poteau pour donner l'impression qu'il tentait d'arrêter les coups francs de Juninho. Pour ma part, j'aurais préféré rendre hommage à Vincent Planté, sympathique jeune homme dont j'apprécie les voltes de papillon affolé par la lumière quand il tente une sortie aérienne.
La stratégie du ridicule
D'ailleurs, n'aurait-il pas mieux valu exclure l'OL de ce palmarès? Il n'a manifestement pas disputé le même championnat que les autres, et ressemble définitivement plus à un club allemand des années 70 qu'à cette équipe dans laquelle Serge Chiesa illumina ces mêmes années de plomb du football rhodanien. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, disait Corneille (le dramaturge, pas le chanteur mièvre), mais comment le reprocher à des Lyonnais qui commencent d'ailleurs tout juste à savoir perdre avec panache en Ligue des champions?
Ceux qui devraient leur tenir la dragée haute ont opté pour le Vaudeville permanent et préfèrent jouer du trombone en coulisse. Résultat: leurs effectifs seraient plus à leur place dans les disciplines handisports et leurs dirigeants pourraient faire les beaux jours des émissions de téléréalité. Cela dit, comme cette stratégie leur assure une couverture médiatique aussi importante que s'ils caracolaient en tête des compétitions, et comme les diffuseurs persistent à nous imposer leurs pitoyables prestations, ils auraient tort d'essayer de se remettre au football. Le ridicule ne les tue pas: il les fait vivre.
Mon vrai chagrin, c'est de voir sombrer le FC Nantes, alors que des clubs insulaires sans stades, sans publics et sans entraîneurs ont encore une chance de se sauver. Non, Courbis n'est pas un entraîneur, c'est un amuseur public pour le victimisme duquel les médias ont une complaisance coupable, un cabotin de sous-préfecture qui s'essouffle en s'autoparodiant dans les mêmes pagnolades surjouées. Cette terne émission s'est donc mise au diapason d'une saison sans relief (merci de ne pas voir là une allusion à Nathalie Ianetta, je ne tiens pas à subir mensuellement les foudres d'une hyène de garde cryptée), qui témoigne de la déliquescence du football français.
Je ne fais pourtant pas partie des détracteurs patentés de notre brave championnat, à l'instar de ceux qui voient dans le nombre de buts un indice du spectacle ou de la qualité du produit. Il est toutefois vrai qu'à 600 millions annuels, le problème ne relève plus seulement de considérations technico-tactiques, mais directement du marketing de crise.