Rangers, résurrection incertaine
Que peut devenir un club mythique après la banqueroute? Chronique de la remontée compliquée des Glasgow Rangers vers l'élite écossaise, entre écueils sportifs et combats en coulisses pour le pouvoir.
La faillite des Glasgow Rangers à l'été 2012 a momentanément attiré les regards du monde entier sur une curiosité: l'une des deux plus grandes équipes du pays évoluant en quatrième division. Depuis lors, le club a commencé sa lente remontée vers les sommets, mais les problèmes financiers demeurent. Quelques jours après le premier Old Firm derby en presque trois ans (victoire du Celtic 2-0 en demi-finale de Coupe de la ligue), retour sur une saga qui tient la nation en haleine.
Les fans toujours là
Après un été mouvementé, les Rangers sont finalement autorisés à repartir en Third Division (D4), le plus bas niveau national. La plupart des titulaires quittent le club qui est frappé d'une interdiction de recrutement, et c'est donc une équipe rajeunie qui entame la saison. Toutefois, la présence de plusieurs internationaux (l'Américain Carlos Bocanegra, le Roumain Dorin Goian ou l'Écossais Lee Wallace) permet d'assurer une nette supériorité sportive à ce niveau [1]. Le début de championnat est poussif, mais une série de onze victoires consécutives aide le club à remporter aisément le titre de champion, et la seule montée directe. Le soutien des fans est intact avec 45.000 spectateurs de moyenne, et les images qui resteront de cette saison seront les petits stades de campagne pris d'assaut par les fans des Gers, qui iront même jusqu'à monter aux arbres pour voir leurs joueurs affronter des amateurs.
Néanmoins, des remous subsistent en coulisses. Charles Green, le controversé repreneur et directeur général du club, est poussé à la démission après la révélation de ses liens avec Craig Whyte, le précédent propriétaire qui a mené les Rangers à la liquidation. En 2012/13, l'interdiction de recrutement levée, les Rangers parviennent à attirer plusieurs joueurs de Premiership, grâce à des salaires supérieurs à ceux pratiqués par la majorité des clubs de l'élite. L'équipe écrase le championnat de League One (D3) avec 33 victoires et 3 nuls en 36 matches.
Premier match des Rangers en Third Division, à Peterhead (photo SNS Group)
Cependant, l'objectif de remporter une coupe nationale tombe à l'eau en l'espace d'une semaine : le 6 avril, les Rangers sont battus par Raith Rovers (D2) 1-0 en finale de Challenge Cup (compétition réservée aux clubs de D2 à D4), puis défaits par Dundee United (D1) 3-1 en demi-finale de Coupe d'Écosse, six jours plus tard. Cela n'arrange pas les comptes du club, qui enregistre toujours des pertes se chiffrant en millions de livres chaque mois. Si le manager Ally McCoist a consenti à une baisse de salaire de 50% en octobre 2013, il est toujours payé plus de 40.000 euros par mois... Quelques jours plus tard, les joueurs rejettent une baisse de 15%. En février, les Rangers doivent accepter un prêt de la part d'actionnaires pour subsister.
Lutte pour le contrôle du club
Sur le plan sportif, la dernière marche vers l'élite est de loin la plus difficile. Les deux clubs d'Edimbourg (Hearts et Hibernian) relégués de Premiership, une lutte à trois s'annonce pour seulement une place directe et une deuxième possible via les barrages [2]. Et dès la première journée, le Rangers-Hearts tourne à l'avantage du club de la capitale dans les arrêts de jeu. La suite du championnat est à l'avenant : cinq défaites au total, dont quatre contre Hibs et Hearts. À quinze journées de la fin, les Gers peuvent déjà se préparer pour des barrages qui s'annoncent au couteau. Et après l’élimination par le Celtic en Coupe de la Ligue, il ne reste plus que la Coupe d’Écosse pour remporter un trophée.
Mais le feuilleton de la saison se déroule surtout en dehors du terrain. Depuis la liquidation et la (re)fondation, la lutte intestine pour le contrôle du club n'a jamais cessé. En forme de protestation, plus de 15.000 supporters n'ont pas renouvelé leur abonnement, accroissant d'autant plus la pression sur les finances. Avec l'impossibilité de pouvoir emprunter, le club est maintenant dépendant de ses actionnaires pour survivre. Cette lutte d'influence est remportée par Mike Ashley, propriétaire de Newcastle United et de la chaîne de magasins Sports Direct. Il parvient à placer un de ses proches, Derek Llambias, au poste de directeur général, et lorgne sur Ibrox Stadium après avoir obtenu le contrôle du merchandising. Seule la Scottish FA semble pouvoir l'arrêter, en limitant ses parts à 10% (selon son règlement, il est en effet interdit d'être propriétaire de deux clubs professionnels).
Lassée de ces manoeuvres, la légende du club Ally McCoist démissionne de son poste de manager le 12 décembre. Mais une clause ubuesque dans son contrat impose un préavis de douze mois... avec salaire doublé. Finalement, McCoist est écarté une semaine plus tard et placé en "gardening leave": il est payé pour rester chez lui. Son assistant Kenny McDowall, est nommé manager intérimaire, mais le 19 janvier, il démissionne à son tour et doit lui aussi servir son année de préavis – il figure toujours sur le banc à l’heure actuelle.
Fronde des supporters
Au milieu de tout cela, les supporters désertent Ibrox. Officiellement, 30.000 spectateurs ont garni les tribunes lors des derniers matches ; officieusement, beaucoup moins. Seule une dizaine de milliers de fans étaient présente le 16 janvier pour une rencontre pourtant capitale contre Hearts (le match a été arrêté après vingt minutes à cause d’une pelouse enneigée). Un millier d'autres manifestait à l'extérieur du stade contre les dirigeants. Plusieurs groupes tentent par divers moyens de faire pression et/ou de racheter le club, mais ces initiatives manquent de coordination. Et c'est Ashley qui en profite.
Même le match contre le Celtic n'arrête pas la spéculation. Mardi 27 janvier, le club acceptait un prêt de dix millions de livres de Mike Ashley, avec le centre d'entraînement de Murray Park – mais pas Ibrox – en garantie, en plus de divers autres avantages. Le lendemain, la fédération annonçait la convocation du businessman anglais et des Rangers pour des infractions présumées à son règlement, respectivement le 2 et le 16 mars.
Mais quel est l’intérêt de Mike Ashley d’investir dans le club? Au-delà des revenus immédiats qui lui reviennent via la vente de produits dérivés, le dernier jour du mercato d’hiver a donné un élément de réponse. Cinq jeunes joueurs de Newcastle ont en effet été prêtés au club écossais pour la fin de la saison. Beaucoup y voient un signe de défiance envers la SFA, en plus d’un avantage inéquitable pour les autres clubs de Championship.
Rangers, canal historique ou nouveau club ?
Le 6 mars prochain, une assemblée générale extraordinaire devra choisir entre le projet de Mike Ashley et celui présenté par Dave King, ancien directeur du club qui en possède toujours 15 %. Ce businessman basé en Afrique du Sud y a été condamné en 2013 pour de multiples chefs d’accusation dont fraude fiscale et blanchiment d’argent. Sachant que la société Rangers FC Ltd est cotée en Bourse et partiellement possédée par des fonds d’investissements, il est difficile de prédire qui en sortira vainqueur. Mais une chose est sûre, on devrait entendre parler de cette histoire pour un certain temps encore…
Les Écossais se répartissent en deux catégories: ceux qui affirment que Rangers Football Club est un club créé en 1872 et toujours en activité, et ceux pour lesquels The Rangers Football Club est un club monté de toutes pièces en juin 2012. Les deux parties ont matière à argument. RFC 2012 Plc est une entreprise liquidée le 14 juin 2012. Ses actifs ont été vendus à Sevco Scotland Ltd, plus tard renommé The Rangers Football Club Ltd, qui deviendra le nouveau club admis en quatrième division par la Scottish Football League. Beaucoup de supporters d'autres clubs font d'ailleurs toujours référence aux Rangers par ce nom de "Sevco".
Néanmoins, Sevco a pu récupérer l'affiliation à la Scottish FA de l'ancienne compagnie ("oldco"), et la ligue professionnelle considère par la voix de son président que "c'est un club existant, même si c'est une nouvelle société". Certains supporters du Celtic ont épousé la thèse du nouveau club, niant à la confrontation avec les Rangers l'appellation de "Old Firm". Un groupe a même payé une pleine page dans le Glasgow Herald pour exprimer cette opinion. Mais la forte demande pour les billets suggérait que cette rencontre a conservé tout son caractère à leurs yeux.
[1] Bocanegra et Goian seront prêtés à l'étranger deux mois plus tard, après avoir perdu leur place en équipe nationale.
[2] Le troisième et le quatrième de D2 s'affrontent, puis le vainqueur joue contre le deuxième. Le tour final oppose ensuite le qualifié du deuxième tour contre le 11ème de D1.
[3] "Les supporters du Celtic croient qu’il n’y a aucun historique de rencontres entre le Celtic et notre adversaire en demi-finale, et que le match du 1er février est en fait le premier entre le Celtic et le nouveau club des Rangers, fondé en 2012."
Photo de tête cc Flickr / Daniel