Pugilat à Santa-Marta
Carnets d'Amérique latine, ép. 3 - Un match interrompu, avant la fin pour jet de bouteille sur un joueur. Nice, Lyon ? Non, Santa-Marta, en Colombie...
À Medellin, un barman avec qui je parlais ballon s'était étonné que je sois allé voir un match dans le virage de « Los del sur », l'une des hinchadas les plus chaudes du pays. « Avec les Barras bravas, c'est toujours un peu la roulette russe, tu ne sais pas trop comment va tourner le match. »
La rencontre entre l'Atlético Nacional et Alianza Petrolera s'était toutefois correctement passée, à l'exception de quelques pogos en tribune (sans grand danger) et d'un jeu d'un ennui abyssal.
À Santa- Marta, je n'avais pas vraiment anticipé de potentiels dérapages : cette petite bourgade tropicale située sur la côte, à deux pas de la frontière vénézuélienne, n'a pas le côté délirant des grandes métropoles latino-américaines.

Perdu au milieu d'une zone industrielle
La ville est plutôt paisible avec ses 400.000 habitants. Côté urbain, c'est un mix de constructions coloniales et d'édifices bétonnés façon années 1950 ou 1960, avec un port de fret en pleine ville, dont on aperçoit les grues depuis le bord de mer. Une sorte de Havre sur Caraïbes, qui a vu naître Carlos « El Pibe » Valderrama dans les années 1960 (le Vikash Dhorasoo colombien).
Pour rejoindre le stade, c'est un peu compliqué. L'Union Magdalena, le club de la ville, évolue dans une nouvelle enceinte inaugurée en 2017 à une dizaine de kilomètres du centre. Perdue au milieu d'une zone industrielle entre les montagnes de la Sierra Nevada (dont elle porte le nom), elle est desservie par une unique route... très peu empruntée car elle nécessite un important détour depuis le centre-ville.

En conséquence de quoi, voitures particulières, taxis, motos et piétons tracent leur propre voie sur une piste de terre et de graviers, dans un nuage de poussière grisâtre. Le stade est posé sur une plate-forme de béton absolument déserte, au milieu des brûlis.
Pas un stand de maillots, pas de buvette, pas de « puestos »... Rien, à part des revendeurs de billets. J'entre donc assez rapidement dans l'enceinte, après en avoir acheté un, en virage, à une revendeuse à maillot et casquette rayés rouge et bleu, les couleurs locales.

C'est un stade petit format, une sorte de Beaujoire miniature, avec des tribunes assez évasées, qui ne se remplissent qu'à l'ultime moment. Une curiosité : le « parcage » visiteur, qui n'en est pas vraiment un, est situé au second étage de la tribune latérale, juste au-dessus d'un étage de supporters locaux, sans aucune protection.
Bagarre entre joueurs et supporters
On pourrait craindre le pire, mais ce n'est pourtant pas de là que viennent, en définitive, les incidents. 65e minute : l'équipe visiteuse inscrit un but. Il faut sept minutes (!) de tergiversation, liées à la VAR, pour que l'arbitre finisse par le valider. Les supporters locaux ont eu le temps de monter en pression, en invectivant et sifflant l'homme en noir pour orienter favorablement la décision (sans effet, donc).

À 0-1, l'entraîneur local décide d'effectuer un changement. Un joueur de l'Union Magdalena sort par l'arrière du terrain, devant ma tribune. Il reçoit une bordée d'injures de ses propres supporters, qu'il toise d'un petit sourire moqueur en longeant le terrain. Une bouteille d'eau part de la tribune et s'écrase sur son épaule gauche. Si cela vous rappelle quelque chose, c'est normal.

Le joueur se retourne, enlève son maillot, réclame au supporter d'en découdre. Ce dernier s'exécute et descend sur le terrain, suivi d'une dizaine, puis d'une bonne trentaine de ses compadres de la tribune. C'est le bordel sur le terrain.

La suite est confuse : des coups partent un peu partout entre joueurs et supporters, alors que ceux de l'équipe adverse ont déjà rejoint leur vestiaire. Il faut bien deux ou trois minutes d'octogone avant que la police ne finisse par intervenir, matraque au point, pour séparer les belligérants et renvoyer tout le monde en gradins. Avant de finalement évacuer la tribune, puis l'ensemble du stade.
Le match ne reprendra pas, tout le monde est invité à prendre le chemin de la sortie. Une bien belle soirée de football, à laquelle il ne manquait sans doute que des déclarations de Jean-Michel Aulas.

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