Plus rien à voir
Diawara ne sera pas le nouveau Fiorèse: le Comité de visionnage a été envoyé directement dans un cul-de-sac. Tant pis pour l'arbitrage vidéo rétroactif?
Auteur : Jérôme Latta
le 18 Fev 2009
L'idée d'utiliser les images des matches pour corriger les sanctions erronées et sanctionner les brutalités et les actes d'antijeu qui ne l'ont pas été – ou pas assez – est défendue depuis longtemps sur ces pages. Encore faut-il réfléchir à ses conditions d'application, qui ne peuvent pas être simples. Les débuts avortés du Comité de visionnage en témoignent (1).
Be kind, rewind
L'utilisation rétrospective des images pose en effet exactement le même problème majeur que "l'arbitrage vidéo" (tel que préconisé par ses partisans) au cours des matches: il est extrêmement difficile de définir – c'est-à-dire de délimiter – le domaine de compétence de l'instance chargée de les examiner. En d'autres termes, comment déterminer objectivement le seuil de déclenchement de son intervention? On a beau jeu de parler de fautes ou d'erreurs indiscutables, en réalité, elles sont presque toujours discutables. Les situations litigieuses entrent difficilement dans des cases bien définies.
Cela signifie qu'avant même d'êtres rejugés, les faits sélectionnés vont être discutés, sur le mode: "Pourquoi celui-ci et pas tel autre?" (2) Alors imaginez quand la décision sera prise: les membres du comité auront tranché sur la foi d'images que tout le monde aura vues, et donc que chacun aura interprété à sa façon. On risque d'avoir un aperçu des polémiques exacerbées que provoquerait l'apparition de la vidéo au cours des rencontres...
Arbitrage à retardement
Le débat n'est toutefois pas allé jusque-là, puisqu'il s'est immédiatement engouffré dans une impasse "juridique": les Girondins de Bordeaux ont en effet contesté les deux matches de suspension prononcés contre Souleymane Diawara par la Commission de discipline, saisie par le Comité de visionnage. Ce dernier s'était basé sur les images d'un tacle à retardement sur Ricardo Faty (3e minute de Nantes-Bordeaux, 21e journée) pour proposer cette sanction. Laurent Blanc et Jean-Louis Triaud se sont insurgés contre celle-ci au motif que, survenant en pleine saison, elle faussait la compétition.
Ce n'est cependant pas cet argument que les avocats du club aquitain ont avancé. Ils ont estimé que, la faute n'ayant pas échappé à l'arbitre Bruno Coué, qui l'a sanctionnée d'un coup franc, elle n'entrait pas dans le champ de compétence du Comité. La Commission supérieure d'appel leur a donné raison et annulé la sanction de Diawara, établissant une jurisprudence qui limite drastiquement le domaine d'action du nouvel organisme. Puisqu'il ne sera possible d'intervenir que sur des faits de jeu ayant totalement échappé à l'arbitre, la majorité des grosses erreurs arbitrales que les uns et les autres ne cessent de dénoncer ne pourront pas être corrigées après coup.
La Ligue rétrécit le comité
Pragmatique, dans la mesure où en limitant le périmètre de compétence du comité, elle le soustrait aux contentieux, cette décision frappe d'inutilité le Comité de visionnage: faute d'affaires à traiter, il risque de devenir aussi fantoche que le désopilant Comité d'éthique de Dominique Rocheteau.
Diawara échappe peut-être au destin d'un Fabrice Fiorèse, dont la sanction était devenue d'autant plus célèbre qu'elle n'avait eu quasiment aucune suite (3). Et le Comité est à moitié enterré: "Dans ces conditions, je ne vois pas l'intérêt [de continuer]", a estimé Jacques Glassman (L'Équipe). Du moins pas avant que la Fédération ne fixe un cadre clair aux prérogatives du comité, ce qui ne pourra pas survenir avant l'assemblée générale de juin prochain (4).
Dans l'histoire, il apparaît que la FFF a naïvement cru que les clubs ne contesteraient pas les décisions. Ce qui constituerait une véritable révolution culturelle (5). Car en réalité, et l'épisode tend à le confirmer, le football professionnel ne désire pas réellement une plus grande justice arbitrale. Footballeurs, entraîneurs et dirigeants (et avec eux la plupart des journalistes) préfèrent généralement une situation qui leur permet de récriminer contre les arbitres et de dénoncer toutes sortes de scandales.
Si la compétence du Comité n'est pas clairement définie et fermement imposée, on ne pourra pas expérimenter sérieusement l'idée de recourir aux images afin de mener une politique de dissuasion contre les brutalités et les tricheries. Au moins l'épisode aura-t-il rappelé que si ce dispositif peut résoudre des problèmes, il en pose beaucoup d'autres...
(1) Proposé par la task force sur l'arbitrage, le Comité de visionnage a été adopté lors de l'assemblée fédérale de décembre dernier. Ses six membres sont Raynald Denoueix, Didier Notheaux, Vincent Texier, Claude Colombo, Jacques Glassman et Vincent Guérin.
(2) Mathieu Chalmé a affiché la couleur : "Si la commission fait son travail de A à Z et prend en compte tous les cas, il n'y aura pas de souci. Mais il ne vaut mieux pas qu'elle en oublie. Sinon, tous les clubs vont intervenir et commencer à balancer. On va rentrer dans un système où ce ne sera plus amusant pour personne" (Le 10 Sport).
(3) Pour deux simulations ayant rapporté un penalty et l'expulsion d'un adversaire (PSG-Bordeaux, 1-1), en décembre 2002, le joueur parisien avait été sanctionné de trois matches de suspension. En octobre 2006, Vitorino Hilton a écopé d'un match de suspension pour une simulation ayant entraîné un penalty en sa faveur (Lens-Marseille, 1-1).
(4) En attendant, selon L'Équipe, l'instance pourrait se rattraper sur Kader Keita, dont le tacle sur Nestor (Lyon-Le Havre) n'a pas été sanctionné d'un coup franc ni d'un avertissement. Sanctionnés de deux cartons jaunes jugés cléments, les gestes de Stéphane Sessegnon et Claude Makelele contre Saint-Étienne devraient être examinés par la Commission de discipline.
(5) De son côté, le Stade rennais avait souhaité saisir le Comité national olympique et sportif (CNOSF) après la suspension de deux matches infligée à Moussa Sow à la suite d'un tacle ne lui ayant valu qu'un avertissement (Lille-Rennes, 21e journée).