Petites approximations, grandes conséquences
Le nombre d'interdictions de stade a baissé par rapport à l'an dernier. Les chiffres ne disent pourtant rien du flou artistique qui règne quant aux prises de décisions et à leur légitimité.
Selon une dépêche AFP reprise par 20 Minutes, nous apprenons qu’à l’occasion d’un colloque consacré au hooliganisme à Monaco, Antoine Boutonnet (le commissaire responsable de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme) s’est réjoui des "résultats obtenus sur la première moitié du championnat". Tandis que nous comptions 398 interdictions de stade à la même époque l’année dernière, seulement 314 auraient été prononcées cette saison.
Invoquer des chiffres de manière abstraite pour en tirer des conclusions arbitraires est tout à fait périlleux. De tels chiffres ne peuvent souffrir analyse et interprétation sans qu’ils ne soient développés au préalable.
La réalité derrière les chiffres
Premièrement, Antoine Boutonnet emprunte un raccourci fallacieux et assimile la totalité de ces interdictions de stade à la lutte contre le hooliganisme, id est actes de violence et incitation à la haine. Cependant, la majeure partie de ces interdictions de stade font suite à l’usage de fumigènes ou à la possession de stupéfiants. Plus spécifiquement, certaines interdictions de stade font suite au port d’une écharpe d’une association dissoute ou à la méconnaissance strictement interprétée d’une interdiction d’accès à un stade.
Il est donc parfaitement hypocrite de présumer, pour en justifier l’existence, que ces 314 interdictions de stade sont liées au hooliganisme. À ce titre, Antoine Boutonnet ne prend pas la peine de préciser comment évolue chacune des catégories de comportements conduisant à ces interdictions de stade. Nourrir l’imaginaire collectif de l’omniprésence de supporters violents est malhonnête. D’ailleurs, le rapport sénatorial de 2007 précisait bien que "la violence réelle dans les stades a semblé finalement moins forte que celle ressentie et ritualisée sous des formes gestuelles (organisations de mouvements chorégraphiés qui peuvent paraître impressionnants) ou verbales (chants agressifs...)"?
Deuxièmement, A. Boutonnet n’évoque pas le sujet des interdictions administratives de stade ayant fait l’objet d’annulation par le juge administratif ou des interdictions judiciaires de stade, plus rarement, annulées en appel. C’est pourtant un indicateur fondamental pour jauger de l’équilibre entre protection de l’intégrité physique des biens ou des personnes et respect de l’État de droit: nullum crimen, nulla pœna sine lege.
L'interdiction administrative comme norme
Comme évoqué dans une interview accordée à L'Équipe, cela permet de mettre en perspective la communication des pouvoirs publics tendant "à diaboliser et à hypertrophier les problèmes en tribune. Alors qu’en Ligue 1 et Ligue 2 après 23 journées, l’affluence totale est de 6.324.986 entrées, n’ont été interpellées que 334 personnes, soit 0,005 % des entrées au stade. Sans précision sur la proportion d’interpellations pour actes de violence ou d’incitation à la haine" (voir les infographies de cet article).
Cette communication d'Antoine Boutonnet permet enfin de mettre en lumière le ratio entre les interdictions administratives et judiciaires de stade. Pour rappel, comme nous l’évoquions pour Une Balle dans le pied, contrairement à l’interdiction judiciaire, "l’IAS est prononcée sans que n’intervienne aucun magistrat et sans aucun procès contradictoire. C’est donc une mesure discrétionnaire lourdement attentatoire aux libertés à utiliser avec d’autant plus de parcimonie qu’il lui existe un équivalent judiciaire et que sa méconnaissance expose l’intéressé à une peine de prison. Elle ne doit être prononcée que pour prévenir des risques de trouble grave à l’ordre public et au seul endroit de personnes nommément et indubitablement reconnues coupables des actes graves reprochés."
Les IAS représentent désormais les deux tiers des interdictions de stade, au point devenir l’outil prioritaire voire automatique des pouvoirs publics. Pourtant, dans le rapport sénatorial de 2007, il était bien précisé que "les mesures d'interdictions de stade à caractère judiciaire restent cependant plus satisfaisantes au regard des droits de la défense" et que les IAS ne doivent permettre que "d'écarter les supporters violents en attendant la décision judiciaire". D’ailleurs, dans une interview donnée à So Foot le 13 février 2013, A. Boutonnet indiquait que "l’IAS intervient également pour faire la jointure entre le moment où une personne a commis une infraction et le moment où a lieu son audience". Manifestement, ces IAS ne constituent plus une mesure provisoire en attendant des jugements fantasmés mais bel et bien une sanction autonome, suffisante et principale.
Et le dialogue?
Et encore, ce ratio ne prend pas en compte la centaine de lettres d’intention (courrier préalable au prononcé d’une IAS) envoyées pour le Préfet de police de Paris à des supporters parisiens pour de prétendus événements ayant eu lieu à Amiens mais pour lesquels aucune poursuite judiciaire n’est intervenue.
Les chiffres ont cette qualité et ce défaut que l’on peut leur faire dire ce que bon nous semble. Malheureusement, quand il s’agit de libertés individuelles et de lutte contre la vraie violence, il convient de faire montre de rigueur scientifique et de conscience professionnelle. En se fondant abstraitement et subjectivement sur de tels chiffres sans les développer ni les mettre en perspective, certains protagonistes peuvent légitimer l’inacceptable. Alors que le rapport sénatorial de 2007, le rapport remis par Jean Glavany ou encore les instructions européennes, sur l’exemple des modèles allemand ou belge, font du dialogue avec les supporters le premier outil de la lutte contre les violences et le seul moyen de légitimer la répression, les pouvoirs publics français semblent encore et toujours s’entêter, par incompétence générale ou par carriérisme personnel, dans le tout répressif et le zéro dialogue.