Nouveaux stades de l'Euro 2016 : l'urbanisme sur le banc?
Invité : Moustache FC - Lyon, Nice, Bordeaux et Lille vont-ils sacrifier leur développement au profit de ces nouvelles enceintes? Voyons leurs conséquences sur l'environnement et la ville...
On ne présente déjà plus le Moustache Football Club, un des fers de lance (et un peu de Lens) de la nouvelle génération de sites qui ne se contentent pas d'être "décalés", mais mettent leur passion du football au service d'une vision plus intelligente – n'ayons pas peur des mots – et plus drôle de notre sport préféré.
Reconstruire la ville sur elle-même : pas les stades
Construire la ville est un savant mélange entre planification stratégique et spontanéité. L'histoire urbaine a montré que la création d'un tissu urbain était un savant ping-pong entre une volonté politique (la percée de grands boulevards haussmannien, l'urbanisme de zone) et une urbanisation plus spontanée (les bidonvilles). Ce volontarisme n'a pourtant pas toujours été couronné de succès, l'exemple contemporain le plus éloquent étant ces quartiers de grands ensembles que l'on rase, cela trente ans après leur construction. Mais une ville est avant tout composée d'habitants, dont les besoins en termes de logement, de services ou de qualité de vie évoluent. La ville peut être comparée à un écosystème en mouvement dans le temps et l'espace et qui s'étale et se reconstruit sur lui-même.
C'est cette volonté de limiter l'étalement urbain qui est aujourd'hui au cœur de tous les textes d'urbanisme. Les SCOT (Schéma de cohérence territorial), document d'aménagement à l'échelle d'une agglomération ou d'un bassin de vie, ou les PLU (Plan local d'urbanisme) impulsent ce que doit être une commune dans les vingt prochaines années et font la promotion d'une concentration urbaine, moins énergivore et plus en adéquation avec la défense de l'environnement.
Qu'en est-il des projets de création ou de rénovation des stades qui accueilleront l'Euro 2016 ? On peut finalement les diviser en deux catégories :
• Ceux qui ont fait le choix de la rénovation : Lens, Marseille, Nancy, Paris, Saint-Étienne et Toulouse.
• Ceux qui ont fait le choix de la création d'un stade flambant neuf : Bordeaux, Lille, Lyon et Nice.
À ceux-là, il faut rajouter le Stade de France qui sera conservé en état.
Intéressons-nous donc à la seconde catégorie.
NICE
[cliquez sur l'image pour l'agrandir]
Ancien stade
Depuis sa construction en 1927, jamais l'OGC Nice n'a fait d'infidélité au Stade du Ray. Situé en plein centre-ville, celui-ci limite donc les possibilités d'extension, mais aussi la mise en place des nouvelles normes de sécurité – Nice bénéficie d'ailleurs d'une dérogation pour jouer en Ligue 1. En se séparant de son enceinte historique, Nice disposera de six hectares de foncier en plein centre-ville. Une manne que la maire Christian Estrosi a décidé de replacer en "zone urbaine dense" (avec un Coefficient d'occupation des sols de 2,2 – donc d'importantes constructions à prévoir), ce qui laisse présager de l'édification de bureaux ou d'une opération immobilière d'envergure... (lire sur le site de l'élu EELV André Minetto)
Localisation du nouveau stade
Le nouveau stade va venir s'implanter dans le secteur de Saint-Isidore Sud, situé dans la plaine du Var, territoire OIN (Opération d'intérêt national), c'est à dire que l'État conserve en partie une grande maîtrise du foncier sur cette zone, au détriment des communes, de la région et du département. À noter que cette OIN a été mise en place en 2008, alors qu'un certain Christian Estrosi était ministre délégué à l'aménagement du territoire... Ce territoire veut faire la part belle aux éco-activités et au développement durable.
Environnement du stade
Le stade va s'intégrer à une véritable dynamique de reconversion de cette zone. Ancien parc d'attraction, Saint-Isidore a profité de sa localisation privilégiée pour accueillir zone commerciale et zone logistique (la région étant assez accidentée, la Plaine du Var est l'un des seuls sites permettant un trafic important, qui plus est avec la proximité immédiate de l'aéroport). L'Olympic Nice Stadium (nom du projet) va donc s'insérer au sein d'un écoquartier. Son socle accueillera 29.000 m² de bureaux et commerces ainsi que le Musée national du sport, transféré de Paris.
Accessibilité
Situé au pied de l'échangeur entre l'A8 (qui relie la Plaine à Nice) et la D62 (qui longe la Plaine du Var), le futur stade bénéficie donc d'une bonne connexion au réseau routier. Cette accessibilité sera encore renforcée par la création de la troisième ligne du tramway de Nice, dont deux stations seront dédiées au stade.
Au final, la délocalisation de l'enceinte de l'OGCN apparaît inévitable si l'équipe souhaite se développer et la ville accueillir l'Euro 2016. Situé dans une OIN, le futur stade semble s'intégrer dans un plan de développement urbain cohérent, composant un élément parmi tant d'autres. De plus, cette opération consiste en la réhabilitation d'une zone abîmée dédiée uniquement à la fonction logistique et commerciale.
LILLE
[cliquez sur l'image pour l'agrandir]
Ancien stade
Grimonprez ou Stadium Nord? Lorsqu'en 2004 le LOSC pense déménager pour deux saisons du côté de Villeneuve d'Ascq afin de voir sortir de terre Grimonprez-Jooris II, il n'aurait jamais imaginé y être encore sept ans plus tard... D'abord prévu pour accueillir 60.000 personnes, le LOSC accepte une rénovation light de Grimonprez afin de pouvoir y loger 33.000 spectateurs. En 2005, le projet est définitivement mort, les associations de protection de la Citadelle étant particulièrement virulentes. Qu'importe, en 2005 la Communauté urbaine de Lille Métropole remet le couvercle et dépose un permis de construire pour l'actuel stade réalisé par Eiffage. Triste fin pour Grimonprez-Jooris qui disparaît totalement en avril 2011.
Localisation du nouveau stade
27 hectares disponibles dont 15 d'emprise au sol, le nouveau vaisseau des Dogues viendra se poser non loin de leur résidence actuelle puisqu'il restera à Villeneuve d'Ascq (et plus précisément entre VA et Lezennes). Ancien site d'essai du métro automatique, il a accueilli un temps les gens du voyage.
Environnement du stade
Le futur stade se trouvera entre le Centre Commercial V2, la Cité universitaire scientifique et le golf de Lille. Concernant le centre commercial, il a déjà déposé un recours concernant le permis de construire, prétextant que les flux de piétons émanant du métro (voir le site les 2sous du grand stade de Lille) nuirait à son activité.
Accessibilité
C'est le point noir de ce projet. Avec 60.000 spectateurs prévus, dont 13.000 (!) par l'intermédiaire du métro, on peut se demander si la capacité de ce mode de transport sera suffisante pour accueillir une foule aussi considérable. Pire, la liaison entre le stade et la station, longue de 150 mètres selon l'étude d'impact ayant validé le permis de construire, nécessite la traversée du centre commercial V2 et... de la bretelle autoroutière.
Près de dix ans après avoir voté la rénovation de Grimonprez-Jooris, le LOSC est toujours en stand-by du côté de Villeneuve d'Ascq, où il posera finalement ces bagages en 2012. Résolument moderne, le nouveau stade est pour beaucoup dans l'attribution de l'Euro 2016 à notre beau pays. On émettra cependant un bémol concernant l'accessibilité par l'intermédiaire des transports en commun, la liaison entre le métro et le stade devant être absolument canalisé et sécurisé.
BORDEAUX
[cliquez sur l'image pour l'agrandir]
Ancien stade
Portant le nom d'un résistant émérite, le stade Chaban-Delmas n'aura pas tenu longtemps face aux exigences de la modernité sportive. Considéré comme désuet par l'UEFA, Bordeaux doit soi-disant construire un nouveau stade si la ville souhaite accueillir la compétition. Véritable œuvre architecturale et fleuron de l'art déco bordelais, le stade est inauguré en 1924 et comporte une piste de 400 mètres autour de laquelle 10.000 personnes peuvent se masser. Il faut attendre les années 30 et le fameux plan Marquet pour que "Chaban" prenne son aspect art déco avec sa fameuse toiture en béton, dénuée de poteaux de soutien. En 1998, afin d'accueillir la Coupe du monde, le stade Lescure se refait une beauté par l'intermédiaire de l'architecte Moga qui dote les tribunes de places assises. Le maire Alain Juppé déclare au début du mois de septembre 2011 que le stade ne serait pas détruit, mais qu'un concours d'idées va être lancé pour lui assigner une nouvelle fonction – L'accueil de l'équipe de rugby Bègles-Bordeaux semblant écartée.
Malgré ce que beaucoup croient, Chaban-Delmas n'est pas classé monument historique, mais patrimoine du XXe siècle. Une nuance qui a de l'importance car en aucun cas l'enceinte ne bénéficie d'une protection ou de contraintes particulières. Une opération immobilière qui conserverait une partie des façades remarquables du stade n'est donc pas à négliger, surtout que la localisation peut en faire une place privilégiée pour les promoteurs.
Localisation du nouveau stade
Situé à Bordeaux-Lac, quartier érigé en 1958 par... Jacques Chaban-Delmas, l'objectif est l'édification de trois zones: habitat au sud du Lac, foire internationale et sport au nord. C'est donc cette partie septentrionale que va rejoindre les Girondins, aux côtés du Stadium vélodrome. Trop excentré, le quartier peine à se développer et le brouhaha du centre-ville laisse ici place au bruit du vent dans les pivoines du Parc Floral...
Accessibilité
Contrairement aux deux stades cités précédemment, l'enceinte ne se trouvera pas à la jonction de deux axes de circulation importants mais tout de même à proximité du Pont d'Aquitaine et du boulevard périphérique. La prolongation du tramway servira également à la desserte du stade.
Nous avions déjà présenté les grandes lignes de ce projet par le biais de sa vidéo de promotion (voir notre article). Il nous apparaît symptomatique de ce décalage qui existe entre les velléités urbanistiques et la réception d'un événement de cette ampleur. Construit juste à côté d'une zone naturelle protégée (les marais de Bruges) et d'un espace vert remarquable (les bois de Bordeaux), on peut s'interroger sur l'impact de pic de circulation automobile les soirs de match et sur l'évolution du quartier dans les années à venir. Limiter l'étalement urbain, la problématique n'est pas aussi simple, surtout quand un quartier comme Bordeaux Lac a fait l'objet d'un volontarisme politique et que le développement engagé en fait un espace de transition entre urbain dense et zone naturelle ou agricole. Avec son nouveau jouet, Bordeaux espère bien redonner un souffle au développement de ce quartier.
LYON
[cliquez sur l'image pour l'agrandir]
Ancien stade
Un grand stade à Lyon, il a failli en avoir un dès 1968, lorsque la ville se porte candidate pour accueillir les JO. Le projet de 85.000 places est abandonné en même temps que la candidature. Comme de nombreuses enceintes, il faut attendre 1998 pour trouver le stade Gerland dans sa configuration actuelle. Le chantier sera d'ailleurs terminé juste à temps. À l'instar de Bordeaux, les différents architectes ont su préserver le chef-d'œuvre de Tony Garnier (le même qui créa la Halle éponyme). Bien qu'il soit situé dans dans le quartier de Gerland, symbole de la mutation urbaine, l'équipe dirigeante de l'OL a fait le choix de ne pas donner suite aux possibilités d'extension de 55.000 places proposées par la municipalité.
Localisation du nouveau stade
Le projet est gigantesque et fera date dans le football français. Entièrement privé, il va s'étaler sur 50 hectares à Décines, proposant une galerie commerciale, un hypermarché, un musée, 7.000 places de parking, le siège et une boutique du club, 8.000m² de bureaux, deux hôtels, des restaurants et un centre de loisirs... tout cela au sein d'une ville de 24.000 habitants. (Lire notre article sur OL Land)
Accessibilité
À projets pharaoniques, dépenses publiques pharaoniques. Située à douze kilomètres du centre de Lyon, Décines-Charpieu ne dispose pas de l’accessibilité des trois stades ci-dessus. L'opposition à ce projet, représentée par l'association Carton Rouge (les élus écologistes, les habitants du quartier), estime à 180 millions d'euros les travaux qui devront être engagés pour aménager un accès adéquat.
À bien des niveaux, le projet OL Land est une première : première tentative d'un club de se positionner en tant qu'acteur du développement territorial de son agglomération, premier fois qu'un avis défavorable de la révision d'un PLU se voit contester par le commissaire enquêteur quelques mois plus tard, qui émet un avis "favorable sous réserves", premier classement d'un stade privé en tant qu'enjeu national, OL Land accumule les embûches administratives. Jean-Michel Aulas aura donc actionné l'ensemble des leviers dans les arcanes du pouvoir pour obtenir son précieux équipement. Le clou étant la subvention accordée à ce projet privé (nous insistons, oui) à hauteur de vingt millions d'euros par l'État – et la ministre Chantal Jouanno de commenter cette généreuse donation au micro de RMC en lançant: "Lorsqu'on aime, on ne compte pas". Hallucinant.
Que retenir de ces quatre nouveaux stades? Un point commun: ils vont s'implanter en périphérie des zones urbaines concernées, souvent peu denses, voire sur une autre municipalité. En s'implantant au sein de zones encore peu urbanisées, le stade apparaît-il comme un levier de développement ou un équipement isolé? Un équipement comme celui d'OL Land, à destination du bien privé, peut-il être un vecteur de croissance au sein d'une commune majoritairement pavillonnaire? Quelles sont les limites de la notion de bien public lorsqu'un événement de cette ampleur vient outrepasser l'ensemble des pratiques urbaines habituelles ?
Veni Vidi Vinci
La carte du BTP et attribution des appels d'offres pour l'Euro 2016
Quand le bâtiment va, le bâtiment va. Cet Euro 2016, c'est un marché de 1,7 milliard d'euros que vont se partager les groupes du BTP. Et dans ce domaine, c'est le groupe Vinci qui tire son épingle du jeu. Quatre des onze projets de construction / rénovation lui sont attribués. Parmi ces quatre chantiers, trois (Bordeaux, Lyon et Nice) sont des projets de construction de stades flambants neufs. Au total, plus de 750 millions d'euros. Soit près de la moitié du coût total des aménagements à réaliser. L'entreprise en est donc à six stades nouvelle génération conçus, après celui du Mans, du Havre et de Valenciennes.
Les collectivités et l'État ne pouvant se permettre de financer à eux seuls les projets, les montages financiers se font donc à travers un PPP: partenariat public-privé. En somme, les collectivités publiques apportent une partie du financement et le reste est assuré par le promoteur immobilier, qui se voit confier la gestion du stade pour une durée de vingt-cinq à trente ans (et la contrepartie financière qui va avec, bien entendu). Ce montage a pour objectif de soulager les collectivités incapables de débourser un tel investissement lors de la construction. Cependant, des voix s'élèvent pour indiquer qu'à long terme, la commune n'est jamais gagnante.
À Lille par exemple, le Grand Stade construit par Eiffage, la redevance annuelle payée par la collectivité s'élève à 10,5 millions d'euros... durant trente-et-un ans, soit un montant total de 325,5 millions d'euros (lire le détail sur le site de Lille Métropole). À cela il faut ajouter la création des accès (à la charge de la LCMU bien entendu), les recettes du naming et des partenaires officielles et l'on peut se demander si la collectivité est réellement gagnante. Les Cahiers du football ayant fait le même constat en ce qui concerne l'enceinte de Nice (lire "Le stade en bois sort des cartons").
Mais qu'importe, comme dit Chantal Jouanno, lorsqu'on aime le football, on ne compte pas. Enfin, cette fois-ci, même ceux qui le honnissent paieront l'addition...