Mourinho, the new one
Si José Mourinho a rompu avec son image passée, son "année 2" à la Roma annonce-t-elle, dans le droit fil de sa carrière, de nouveaux succès ?
Durant la carrière de l'autoproclamé Special One, de nombreuses images ont fait le tour du globe. Des images heureuses autour de victoires du côté de Porto, Londres, Milan, Madrid, et puis de Londres jusqu'à Rome, aujourd'hui.
D'autres images, moins consensuelles, comme celle offerte par José et le regretté Tito Vilanova à la suite d'un clasico entre le FC Barcelone et le Real Madrid, en 2011. Année durant laquelle la tension atteindra son maximum entre les deux rivaux ibériques.
Depuis, Mourinho a vécu plusieurs vies et, durant l'année 2019 peu de temps après son licenciement de Manchester United , le Portugais a présenté un autre profil, au potentiel médiatique insoupçonné. Même si, avec lui, il faut garder en tête que tout peut être calcul

Le 21 août 2018 au micro de Sky Sports, chaîne pour laquelle il officie en tant que consultant durant cette période d'inactivité, Mourinho confie son manque face à l'impossibilité d'exercer sa fonction d'entraîneur.
Au bout de quelques secondes, face caméra, le Portugais craque et fond en larmes : "J'étais juste en train de m'amuser. Le moment où je suis entré dans le football professionnel, c'est quand j'ai eu le déclic. Maintenant, c'est sérieux. Et ça l'a toujours été, jusqu'à aujourd'hui. Non-stop. Et maintenant j'ai arrêté (à la suite de son licenciement), au lieu d'en profiter. Mais je ne peux pas m'en réjouir."
De l'histoire ancienne
Fendant la carapace, loin de ses pirouettes habituelles, l'ancien entraîneur madrilène semble touché Y a-t-il plus douloureux, pour un prodige, que de rentrer dans le rang ? Les multiples défaites avec Chelsea (lors de son retour, après l'acquisition du doublé Championnat-Coupe), puis avec Manchester (malgré une victoire en C3, en Cup, ainsi que lors du Community Shield), laissent forcément des traces.
En réponse, son ancien joueur, Cesc Fàbregas, lui adresse un message de soutien : "Légende. Tu nous manques aussi. Reviens vite, Mister." Cette nostalgie suggère que les belles années du "Mou" sont lointaines. Lui-même l'admettra d'ailleurs, à l'occasion d'une conférence de presse en marge de la Ligue Europa (avec la Roma) : "Le Special One ? C'est de l'histoire ancienne." La mue a commencé.
Finalement, à la suite du limogeage de Mauricio Pochettino, Mourinho prend la direction de Tottenham le 20 novembre 2019. Arrivé en cours de saison, le Portugais rejoint ainsi le finaliste de la précédente édition de la Ligue des champions. Malgré tout, hormis quelques coups d'éclat, jamais la greffe ne prendra.
Seuls faits d'armes notables, une belle série documentaire (All or nothing : Tottenham Hotspur) et la satisfaction d'avoir tiré le meilleur du duo Harry Kane-Heung-min Son - statistiquement, le duo s'offre sa meilleure saison sous la coupe du technicien portugais.
Le 18 mars 2021, alors que Tottenham a remporté 2-0 son match aller en huitième de finale de la Ligue Europa, les Spurs s'inclinent 3-0 au retour, au terme de la prolongation. Un mois plus tard, Mourinho est limogé. Pour la première fois de sa carrière, il ne remporte aucun trophée durant son passage au sein d'un club.
L'heure est à la remise en question... Surtout, l'entraîneur va bientôt pleurer à nouveau, mais pour des raisons plus heureuses.
Le "nous" plutôt que le "Mou"
À l'image d'un de ses anciens mentors, Louis van Gaal, qui avait rejoint l'AZ Alkmaar en pleine période de disgrâce afin de se relancer (et qui terminera champion des Pays-Bas, à la surprise générale, devant l'Ajax et le PSV lors de la saison 2008-2009), Mourinho a donc fait le choix de prendre le banc de l'AS Roma.
En une saison à peine, l'entraîneur portugais a permis au public de romain de goûter de nouveau à la victoire et à son premier trophée depuis 2008 avec, le 25 mai, à Tirana, l'acquisition de la nouvelle "C4" : "C'est la victoire d'une famille, pas seulement celle sur terrain et sur le banc, mais aussi celle dans le stade (...) L'histoire de la Roma est souffrance. Le nombre de ses finales ne correspond pas à son importance sociale. Pour nous, ça signifie tellement."
En mission depuis son retour en Italie, Mourinho a parfaitement saisi l'enjeu de son mandat à Rome. C'est parfois dans l'adversité qu'on reconnaît le vrai talent des coaches controversés. Et, quand il faut développer un sentiment d'appartenance à une entité commune, il est probablement l'un des meilleurs d'entre eux.
Déjà, à la suite de la victoire face au FK Bodø/Glimt (synonyme de qualification pour les demi-finales), le Portugais avait clamé : "Oui, nous sommes le seul club italien en Europe. Et oui, nous sommes prêts à porter le drapeau jusqu'au bout de la compétition."
Pour triompher, il a d'abord fallu donner un sens à son voyage. Avec la victoire face au Feyenoord Rotterdam, la Roma offre ainsi au football italien son premier trophée européen depuis 2010 (victoire de l'Inter Milan de Mourinho face au Bayern Munich). Cette nouvelle ligne au palmarès lui permet de devenir le premier entraîneur à remporter la C1, la C3 et la C4. Cela valait bien quelques quelques larmes supplémentaires.
Les premiers rôles avec Rome ?
L'ancien patron du Real Madrid va entamer sa fameuse "année 2" au sein de son nouveau club. "Mourinho ne cherche pas la beauté, il cherche un ennemi. S'il n'en a pas, il en créera un", expliquait son ancien milieu de terrain, Thiago Motta.
Aujourd'hui surtout, Mourinho n'est plus le capitaine de sa petite entreprise, mais celui d'une ville pour laquelle le football est une religion. En témoigne l'accueil réservé à Paulo Dybala, en marge de son arrivée depuis Turin.
Délesté de sa rivalité personnelle avec le FC Barcelone, après avoir connu la chute et l'humiliation à la suite de son retour en Angleterre, le Portugais a amorcé un nouveau virage dans sa carrière.
"Aujourd'hui, je pense beaucoup plus au fan ordinaire qui sourit parce que son équipe a gagné, à sa semaine qui sera meilleure parce que son équipe a gagné. Je suis toujours un 'animal de compétition', pour ainsi dire, je veux toujours gagner autant ou plus qu'avant, mais avant, je me concentrais sur moi-même."
Si l'homme semble avoir changé, ses objectifs restent pourtant les mêmes. Ainsi, Dybala, Wijnaldum et peut-être Icardi sont prévenus : "Après trente ans de football, le gaspillage de talent est encore difficile à accepter pour moi. Parfois, cependant, ce gaspillage est lié au chemin de vie de certains joueurs et, en ce sens, nous devons essayer d'être des guides."
Si l'on se fie aux statistiques et aux expected goals, l'AS Roma est l'une des équipes les moins "récompensées" de la Serie A la saison passée. Avec des renforts offensifs de qualité et à raison d'un statut d'outsider qui convient parfaitement à leur entraîneur, les Giallorossipourraient bien jouer les premiers rôles.
"Mourinho a déjà fait un travail exceptionnel pour le club, expliquait Walter Sabatini, ancien directeur sportif de la Roma. Il a transformé la victoire de possibilité à nécessité. Il est parvenu à arracher plein de succès à la dernière minute car il a introduit une mentalité gagnante chez les joueurs."
Le silence des prédateurs
Dans la méthode du "Mou", inspirée de l'étude des sciences cognitives, le point central se nomme "attention consciente". C'est-à-dire, savoir prendre la bonne décision, au bon moment et ce, peu importe la pression qui entoure l'action en question.
Dans son ouvrage Tennis et Psychisme, Timothy Gallwey théorise : "Il me vient à l'esprit l'image d'un chat aux aguets non loin d'un oiseau par exemple. Attentif, sans avoir à faire d'effort, il se ramasse, les muscles relâchés, prêt à bondir. Il ne pense ni au moment où il devra jaillir, ni comment il poussera sur ses pattes arrière pour sauter à bonne distance. Son esprit est calme et parfaitement concentré sur sa proie."
À la manière d'un entraîneur victorieux à deux reprises en Ligue des champions, "Il n'envisage pas la possibilité de manquer son but ni ses conséquences. Il ne voit que l'oiseau. Soudain celui-ci s'envole ; au même instant, le chat bondit. Grâce à une anticipation parfaite, il attrape son dîner au vol, à cinquante centimètres du sol. L'action a été parfaitement exécutée, sans pensée aucune."
Dans notre histoire, l'oiseau représenterait la victoire en Serie A et le chat, l'AS Roma Bien sûr, Mourinho n'ira pas clamer que son club joue le titre cette saison. Pourtant, qui attendait Porto et l'Inter Milan champions d'Europe ? Surtout, qui attendait l'AC Milan champion d'Italie la saison passée ?
"Je suis la Roma avec attention, commente Arrigo Sacchi. Et Mourinho a apporté de l'enthousiasme au sein du club. Désormais, l'arrivée de Dybala pourrait aider à faire le saut de qualité nécessaire pour viser plus haut. Il faudra du temps pour solidifier le groupe, mais la victoire en Europe a été une étincelle. Et Mourinho sait gérer les émotions."
Renoncer à annoncer ses objectifs, appelons ça le silence des prédateurs. Dans certaines situations, il est préférable d'adopter la position de l'outsider, tapi dans l'ombre. Le dernier scudetto de l'AS Roma remonte à 2001. Si, selon Richelieu, "les plus belles conquêtes sont celles des cœurs et des affections", mettre un terme à cette disette représente un défi à la hauteur de José Mourinho.