Le maillot rouge de Nikos Godas
"Nous avons gagné. Vivent les champions du socialisme. Au revoir, mes coéquipiers". C’est avec ces mots et le maillot de l’Olympiakos sur le dos, que Nikos Godas est éxécuté le 19 novembre 1948 par les armées royalistes grecques. Récit.
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la Grèce plonge jusqu’en 1949 dans une guerre civile qui fait plus de cent mille morts. Aux royalistes et Britanniques qui veulent restaurer la monarchie, s’oppose l’Armée populaire de libération nationale dans laquelle on retrouve plusieurs footballeurs. Parmi eux Nikos Godas, originaire d’Asie mineure, communiste, et joueur de l’Olympiakos le Pirée [1].
Résistant et footballeur
Né en 1921 à Ayvalik –Turquie actuelle – en pleine guerre greco-turque, Nikos Godas et sa famille fuient le conflit et rejoignent l’île grecque de Mytilhène. Après un passage par la Crète, ils s’installent à Athènes où l’anatolien d’origine commence sa vie. Alors qu’il joue pour la petite équipe de Kokkinias et qu’il tient un restaurant à succès, où d’importants musiciens de Rebetiko (musique traditionnelle) viennent donner des concerts, le début de la Seconde guerre mondiale transforme sa vie. Il s’engage dans le club de son coeur, l’Olympiakos, en même temps qu’il rejoint l’Armée populaire de libération nationale (ELAS), branche armée du Front de libération nationale principalement contrôlée par le Parti communiste grec (KKE).
Dans une période où le football et la politique sont intimement liés [2], Nikos Godas combat dans la résistance tout en développant sa carrière d’attaquant. Titulaire à partir de 1942, "l’artiste" selon les termes de l’ancien international Andreas Mouratis, contribue activement à l’acquisition de trophées pour son club, comme la Coupe de Noël face au Panathinaïkos en décembre 1943. Dans le même temps, il devient capitaine d’une section de l’ELAS et prend physiquement part aux combats contre les armées nazies. Mais quand les troupes allemandes sont défaites en 1944, une nouvelle guerre commence pour la Grèce. Le gouvernement royal, exilé au Caire et soutenu par les Alliés, aspire à restaurer le régime monarchique, tandis que le KKE constitue la première force politique du pays à la libération. L’ELAS refuse de se dissoudre et sa lutte se tourne alors contre les troupes britanniques et les forces royalistes grecques.
Vers l'exécution
Dans cette nouvelle résistance, le Pirée est à la fois le terrain de jeu et le champ de bataille de Nikos Godas, jusqu’à ce qu’il soit dénoncé et arrêté en 1945. C'est le début de trois années de déportation, entre les îles d’Egine et de Kerkyra. Refusant de signer une déclaration de repentance qui aurait pu lui sauver la vie, il ne bénéficie pas non plus du soutien de son club. Dans son livre Jusqu’à ce que le jour se lève [3], Stamatis Skourtis, combattant auprès de Nikos Godas, indique que l’Olympiakos n’a rien fait pour le sauver, à l’inverse de l’AEK Athènes qui était intervenu pour empêcher l’exécution de plusieurs de ses joueurs.
Le dimanche 19 novembre, les gardiens de prison convoquent le footballeur. Nikos Godas prend la direction de la petite île de Lazareto, en face du port de Kerkyra, sous les cris des autres détenus: "Peuple de Kerkyra, ils prennent de nouveau un athlète de la résistance nationale pour l’exécuter". Il demande le maillot rouge et blanc de son club en guise de dernière volonté, refuse qu’on lui bande les yeux, et décide de mourir en criant victoire: "Nous avons gagné. Vivent les champions du socialisme. Au revoir, mes coéquipiers".
"Le soleil se couche derrière les montagnes, et l’on ne sait pas ce qu’il y a de plus rouge: le maillot de Nikos, dont les rayures blanches du maillot sont imbibées de sang, ou le soleil", peut-on lire dans le livre de Stamatis Skourtis, dans une description aussi tragique que poétique. "Je meurs pour ma patrie et mes idéaux", écrivait Nikos Godas à sa famille, traduisant la fierté et l’honneur d’un homme éxécuté à vingt-sept ans, au sommet de sa carrière sportive.
[1] Lire Diogos Makis, Petites histoires sportives, Editions alternative, 2008.
[2] Bogiopoulos Nikos et Milakas Dimitris, Une religion sans infidèles : Football, Editions Livani, 2005.
[3] Skourtis Stamatis, Jusqu’à ce que le jour se lève, 1977.