Ligues : ça tourne plus rond avec un ballon ovale
Le rugby pro fait figure de système collectiviste en comparaison du football: plafonnement des salaires, discrimination positive pour les centres de formation, partage égalitariste des droits télé et incitation à créer des contre-pouvoirs... Des règlements dont le football pourrait s'inspirer.
Auteur : Guillaume Toulouse
le 25 Sept 2007
D’une année sur l’autre et d’une Coupe de monde (de football) à l’autre (de rugby), le rapport de forces entre les clubs et les fédérations semble être inversé entre les deux sports collectifs phares. Mais là où les clubs de football imposent de plus en plus leurs vues (lire Cdf #37, "Clubs vs sélections"), les clubs et les ligues professionnelles d’Ovalie se battent pour exister dans un système international qui fait la part belle aux fédérations et sélections nationales.
La Ligue nationale de rugby (LNR) française, qui organise l’un des trois seuls championnats au monde regroupant des clubs professionnels (!), avec l’Angleterre et le Japon, se bat donc pour prouver la viabilité de son modèle. Mais plutôt que de prôner une ligue fermée, dont l’intérêt sportif viserait la maximisation du spectacle et des recettes au détriment de l’intérêt sportif, l’organe présidé par Serge Blanco a décidé de mettre au point la compétition la plus égalitariste qui soit, en menant une politique de régulation des ressources et du marché du travail dont pourrait grandement s’inspirer le football.
Contrats: Dites 33, le rugby est en bonne santé
La LNR mène une politique qui suit un double objectif, pour le moment inachevé: favoriser la bonne santé financière des clubs et renforcer l’équilibre compétitif (et donc l’incertitude) du championnat (1). Elles appliquent plusieurs méthodes depuis bien longtemps passées de mode dans le football.
Le nombre de contrats de travail est tout d’abord limité à 33 par club. La mesure plafonne naturellement la masse salariale et favorise la dispersion du talent, même si les meilleurs joueurs ont tendance à se retrouver dans les clubs les plus riches.
Mais rien n’empêche les clubs de favoriser l’arrivée au meilleur niveau de leurs jeunes joueurs. Chaque joueur issu du centre de formation n’est ainsi pas comptabilisé dans l’effectif professionnel durant les deux saisons suivant la signature de son contrat pro. Et quand bien même les clubs feraient appel à de la main d’œuvre étrangère, comme c’est le cas, pour renforcer leur équipe fanion, ils ne pourraient s’affranchir d’un centre de formation. La LNR en fait une condition obligatoire pour s’inscrire en championnat professionnel. Et comme par hasard, la France est devenu championne du monde des moins de 21 ans l’année dernière. La Fédération française de football, sous la pression des clubs professionnels, a levé cette obligation en 2003 (lire "Formation: le modèle français en péril?").
Partage égalitariste des droits télé
Le Comité directeur de la Ligue a pris une autre décision qui ferait hurler les clubs de football: le partage égalitaire, voir égalitariste, du produit de la vente des droits de retransmission télévisée. Pas de critères de notoriété ou de performance, chaque club touche exactement le même montant de la manne télévisée (championnat et coupe d’Europe comprise). Cette règle a incité les clubs professionnels à diversifier leurs ressources, développant des politiques partenariales et une billetterie performante (près de la moitié des ressources des clubs proviennent du sponsoring) et ambitieuse (délocalisation des matches du Stade français au Stade de France).
Le "business modèle" du football, totalement télé-dépendant – plus de 60% des ressources des clubs à prévoir en 2007-2008 – est beaucoup plus précaire (voir les tableaux ci-dessous). Et s’il venait à l’idée à un club de rugby de dépasser ses capacités de financement, la DNACG veille au grain. La limitation des rémunérations des joueurs à 55% du budget constitue un salary cap (plafonnement réglementaire de la masse salariale) déguisé, qui ne pénalise pas les clubs au niveau européen (puisque la somme disponible est fonction du volume du budget).
La Ligue de rugby finance ses contre-pouvoirs
Mais la décision la plus surprenante de la Ligue n’apparaît pourtant dans aucun règlement. Elle incite tout simplement à la création et à l’organisation de contre-pouvoirs. Elle héberge ainsi dans ses locaux un représentant du syndicat des joueurs et des entraîneurs. Elle convie aux discussions le syndicat des clubs professionnels. Et tous ces lobbys ont été part prenantes des négociations de la Convention collective Rugby. Depuis 2004, le rugby est le premier sport collectif à s’être doté de cet arsenal de règles améliorant le droit commun (salaire minimum, temps de repos…).
Tout le monde ayant été associé, personne n’est venu contesté le bien-fondé de ce texte. Le football a également un texte "ayant valeur de convention collective", d’après la cour de Cassation. Mais la Charte du football professionnel, épargné jusqu’ici par les recours juridiques, a été ébréché par la sortie de Guy Roux sur la limitation d’âge des entraîneurs. La porte est ouverte à son démantèlement. Décidément, tout tourne plus rond avec un ballon ovale.
(1) Si la bonne santé financière du rugby est louée, seulement trois clubs ont remporté les quatorze derniers titres de champion de France...
Source : CDES