Ligue des nations : 54 nations army
Incompréhensible sur le plan sportif, invraisemblablement complexe, la Ligue des nations et sa mise à mort des matches amicaux s'expliquent mieux dans un contexte de guerre des calendriers et de course aux compétitions lucratives.
La création de la Ligue des nations a été adoptée à l'unanimité le 27 mars au Congrès de l'UEFA. Cette compétition, dont le format n'est pas définitivement arrêté et dont les modalités restent vagues, verra sa première édition démarrer en 2018, avec pour objet principal de remplacer des matches amicaux jugés ennuyeux, peu attractifs et, on l'imagine, peu rentables.
La difficulté à en expliquer la formule témoigne de sa complexité. La compétition distinguera quatre divisions, comprenant chacune quatre groupes de trois à quatre équipes. Pour la première édition, les équipes seront distribuées dans ces divisions en fonction de leur classement UEFA, et elles se rencontreront par matches aller-retour de septembre à novembre 2018. Les premiers des divisions B, C et D seront promus dans la division supérieure, les quatrièmes des divisions A, B et C relégués dans la division inférieure. Pour leur part, les vainqueurs des groupes de la "première division" s'affronteront en juin 2019 au sein d'un "Final Four" qui attribuera le titre.
Quatre billets pour l'Euro
Incongrue pour sa façon de se greffer ainsi sur les interstices du calendrier des compétitions, la Ligue des nations ne s'en tient pas là en termes de complication. Car si elle ne se substitue pas à la traditionnelle campagne de qualification pour l'Euro (en l'occurrence, pour l'édition transeuropéenne de 2020)… elle va quand même offrir quatre places qualificatives en plus des vingt attribuées par les éliminatoires, selon un processus encore très obscur. Un système de barrages, de l'aveu même de l'UEFA "pas finalisé", verrait ainsi les premiers de chaque groupe (d'une même division) s'affronter sur terrain neutre, le vainqueur empochant son ticket pour l'Euro. En d'autre termes, les quatre divisions enverraient chacune une équipe à l'Euro – ce qui permettrait notamment à une des seize "moins bonnes" équipes européennes à l'indice UEFA de se qualifier (voir le schéma présenté par l'UEFA – PDF).
Au-delà, c'est encore plus la confusion: le cas, probable, d'une équipe qui remporterait sa division et qui serait déjà qualifiée au terme des éliminatoires posera la question du reversement des places qualificatives, qui n'est pas déterminé à l'heure actuelle (la place ira-t-elle au second du groupe de qualification, ou au second des barrages de la LdN?). En l'absence de plus amples informations sur son déroulé, et si vous n'avez pas compris les modalités ni l'intérêt de cette usine à gaz (rappelons que l'UEFA est aussi l'inventrice du reversement des éliminés de la Ligue des champions en Ligue Europa) qui organise une étrange concurrence entre LdN et Euro, il reste à comprendre ce qui l'a motivée et à mesurer ses conséquences sur le football international.
Compétition entre les compétitions
D'un côté, l'idée est légitime de revaloriser un football de sélection dont l'importance est rognée depuis une vingtaine d'année par les compétitions de clubs et l'hégémonie (économique et sportive) de la Ligue des champions – qui ne risque rien en termes d'attractivité. Depuis une célèbre déclaration d'Alex Ferguson sur le niveau des sélections, on scrute leur expression lors des tournois finaux, l'Euro 2012 ayant été plutôt rassurant à cet égard. Même si elles confèrent encore aux internationaux un statut particulier, et "font" les très grands joueurs, la pression économique (celle des fameux "enjeux") s'est exercée avec une force croissante sur des footballeurs enjoints à être plus salariés que patriotes.
La création de la Ligue des nations est ainsi le dernier épisode en date d'une "guerre des calendriers" entamée depuis une vingtaine d'années et qui a consisté, pour toutes les parties, à surenchérir en remplissant les cases vides et en gonflant ses compétitions. La FIFA a ainsi (en réaménageant des compétitions existantes) créé en 1997 la Coupe des confédérations et en 2000 le championnat du monde des clubs. Son président Sepp Blatter a même, un temps, souhaité organiser une Coupe du monde tous les deux ans... Au-delà des arrière-pensées électoralistes dont son homologue de l'UEFA Michel Platini est également coutumier, l'élargissement de la Coupe du monde à 32 équipes (en 1998) et de l'Euro à 24 (dès 2016) procède aussi de cette volonté de rééquilibrer le rapport de forces entre clubs et sélections… [1] Pour autant, la Ligue des nations a reçu l'aval de l'European clubs association (ECA) qui n'y trouve rien à redire du moment où aucune date internationale n'est ajoutée [2].
Haro sur les amicaux
Cela fait longtemps que les matches amicaux, en particulier, subissent les foudres des clubs, témoignent d'un déficit de motivation récurrent de la part des joueurs, et font l'objet d'un dénigrement de plus en plus systématique au sein des médias… C'est leur quasi-disparition que cette Ligue des nations programme, sans susciter ni émoi, ni réflexion particulière. Ils représentent pourtant une institution fondamentale dans l'histoire du football, dont la valeur particulière mériterait d'être considérée, au moins sous l'angle de cette question: pourquoi tout match devrait-il devenir compétition?
Les rencontres sans enjeu avaient au moins pour fonction de permettre aux sélectionneurs d'expérimenter, d'appeler de nouveaux joueurs, de bâtir une équipe – bref de travailler sereinement et avec une moindre peur de perdre. Elles permettaient aussi de voir des sélections plus exotiques, quoique souvent "européanisées", à des heures décentes [3]. L'UEFA, de son côté, fait valoir que certains pays "peinent à trouver un adversaire". Les matches amicaux, surtout, autorisaient un peu de répit (au moins mental, ainsi qu'au travers du turnover consenti par les sélectionneurs) aux meilleurs joueurs qui subissent déjà, en club, des calendriers surchargés. Une partie des matches de la Ligue des nations se déroulerait au mois de novembre, "période noire" des blessures musculaires et autres fractures de fatigue. Le syndicat international des joueurs FIFPro a déjà fait savoir qu'en plus d'entraver l'éclosion de jeunes talents, une nouvelle compétition de prestige impliquerait un surplus de pression et d'exigences pour les joueurs les plus sollicités, ceux qui disputent déjà une soixantaine de matches par saison.
Jusqu'à complète saturation
Plus généralement, en plus de la "gratuité" du match amical, c'est une certaine forme de rareté qui tend à disparaitre dans un football où les compétitions sont de plus en plus nombreuses et étalées dans le temps: des rencontres tous les jours, voire toutes les heures le week-end, une Ligue des champions réaménagée, des multiplex de championnat qui ne concernent plus guère que cinq ou six matches, la concurrence entre coupes nationales... et donc, désormais, un nouveau tournoi international qui viendra se greffer aux Coupes du monde, aux Euro, aux Coupes des confédérations et aux divers éliminatoires – quitte à rendre les compétitions déplus en plus illisibles et à progressivement dévaluer chacune d'entre elles. Une course à toujours plus d'enjeu et de trophées, jusqu'à la saturation des calendriers et des téléspectateurs.
Enfin, difficile de ne pas s'arrêter sur ses éventuelles implications financières. L'UEFA jure ses grands dieux que l'argent n'est pour rien dans l'invention de la Ligue des nations. Pourtant le regroupement de dizaines de matches amicaux en une seule compétition à enjeu, ainsi que son "branding" sous cette appellation, devraient ouvrir un nouveau marché de droits de retransmission, potentiellement intéressant pour les chaînes en manque d'offre footballistique comme pour celles en situation de concurrence frontale. Les fédérations, qui ont voté ce projet à l'unanimité, sont appelées à toucher cette nouvelle manne. Il est moins sûr que le football en sorte aussi gagnant.
[1] Il faut aussi rappeler l'issue du conflit de longue haleine qui avait porté dans les années 2000 sur l'indemnisation de la mise à disposition des internationaux, un des combats majeurs de l'ex-G14. Les systèmes finalement mis en place par la FIFA et l'UEFA ont ajouté un mécanisme supplémentaire de répartition inégalitaire des ressources (lire "Les clubs riches se payent en Euro" et "Le Mondial, jackpot pour les grands clubs").
[2] Même si récemment, le décalage des matches internationaux aux mardi et vendredi a contribué à retirer un jour de récupération et de préparation aux sélectionneurs, au profit des entraîneurs.
[3] Les clubs se réjouissent même de voir disparaître les déplacements intercontinentaux, régulièrement objets de leur courroux.