Le Vert est dans l'atone
L\'AS Saint-Étienne vient d\'atteindre son meilleur total à ce stade de la saison depuis 1981-82, mais personne ne chante le \"retour des Verts\". Tant mieux pour eux?
En prenant 33 points lors des vingt premières journées du championnat, et en dépit de deux éliminations précoces dans les deux coupes nationales, l'équipe de Christophe Galtier se débrouille donc mieux que n'importe laquelle de ses devancières depuis trois décennies. En début de saison, pourtant, rien ne laissait présager de tels résultats et aujourd'hui, cette performance passerait presque inaperçue.
Jeunesse sur le terrain, sérénité en coulisses
Le départ des trois meilleurs joueurs de la saison dernière (Matuidi, Payet, Rivière), ainsi que celui, inattendu, de Carlos Bocanegra, désigné capitaine lors de la première journée puis vendu la semaine suivante aux Rangers, a obligé le club à remodeler largement l'effectif à l'intersaison. Neuf nouveaux joueurs ont ainsi rejoint le groupe au cours de l'été, dont trois ont débarqué le 31 août pour compenser les blessures de longue durée (Perrin, Alonso, Andreu) et la désertion de Steed Malbranque.
Les Verts s'imposaient dès l'ouverture de la saison (une première depuis 1991 pour Sainté), à Bordeaux, avant de confirmer en battant Nancy à domicile et de revenir de Marseille avec un bon 0-0. Une entame réussie, donc, qui a favorisé la quête d'un équilibre collectif tout en permettant à la jeunesse verte, représentée par Josuha Guilavogui (vingt-et-un ans), Faouzi Ghoulam (vingt ans) et surtout Kurt Zouma (dix-sept ans) de s'épanouir.
En coulisses, la situation semble ne pas avoir été aussi sereine depuis le tournant des années 80-90, sous la présidence d'André Laurent. Roland Romeyer, à Saint-Étienne, dirige le club au quotidien pendant que Bernard Caïazzo, depuis Paris, fait preuve d'une discrétion qu'on ne lui connaissait pas. Les manœuvres qui avaient fragilisé les différents entraîneurs stéphanois depuis le départ de Fréderic Antonetti ne semblent pas devoir entraver le bon travail mené par Christophe Galtier depuis deux saisons et demie. Son association avec Dominique Rocheteau, qui a récemment vu son pouvoir élargi, se passe visiblement sans désaccord majeur alors que l'on avait craint le retour des bisbilles quand le coach disait sa réticence à l'idée de voir arriver un maillon entre lui et sa direction.
Calme plat
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, donc, et pourtant la bonne santé actuelle du club ne suscite aucun engouement délirant dans une ville que l'on a déjà vue s'enflammer pour moins que ça ces dernières années. Est-ce un sentiment diffus de résignation qui fait redouter aux Stéphanois que cette saison tourne fatalement au vinaigre? Est-ce la configuration particulière du stade Geoffroy-Guichard, amputée pour la saison de la tribune Charles-Paret, "maison" des Magic Fans? Le principal groupe ultra est certes toujours présent mais se trouve délocalisé en tribune latérale, proche des Green Angels, de sorte que l'ambiance se trouve largement diluée entre les chants des deux groupes de supporters, pas réputés pour cultiver une entente cordiale, et en tout cas pas décidés à s'unir pour une saison ou deux autour de chants communs.
Est-ce, plus sûrement, le profil neutre de ce groupe de joueurs, duquel aucune tête ne dépasse, ni celle de Jérémie Janot, transformé en un discret animateur de vestiaire, ni celles de joueurs français de niveau international, comme Gomis, Payet ou Matuidi, qui attiraient la lumière ces dernières années? Est-ce, finalement, à cause d'un parcours sans émotion qui voit les Verts battre les mal classés (victoires à Annecy, Nice et Dijon), faire match nul contre les équipes moyennes et perdre contre les gros (défaites contre Lille, Lyon et Paris)?
Quoi qu'il en soit, la presse nationale, d'ordinaire tout aussi empressée que les Stéphanois à s'enflammer, n'a pas encore titré sur "le retour des Verts", propulsé à la une de L’Équipe ou de France Football quand l'ASSE navigue dans le premier tiers du classement. Éclairage médiatique à peu près systématiquement suivi d'une chute douloureuse tantôt provoquée par une affaire extra-sportive, la crise du meilleur joueur de l'équipe qui se sent soudain pas assez respecté par ses dirigeants, ou plus simplement une série, longue comme un hiver dans le Pilat, de défaites.
Christophe Galtier ne se plaindra donc pas de la chance qui lui est laissée de travailler dans l'ombre et d'avancer masqué, bien calé derrière le top 6, à trois points de la troisième place. Situation d'autant plus confortable que, si l'on n’omettra pas de souligner que les Verts devront se passer de deux titulaires – Pierre-Eymeric Aubameyang et Max-Alain Gradel – pendant la durée de la CAN, Galtier sait aussi que les retours de Perrin, son capitaine et meilleur joueur, Alonso, sur lequel il comptait beaucoup en début de saison, voire Andreu, vont lui permettre de pouvoir faire jouer à plein la concurrence.
Les supporters, eux, attendront le mois de mars et le derby à Geoffroy-Guichard, une semaine avant un déplacement à Montpellier, puis mai avec le déplacement au Parc suivi de la réception de l'OM, pour espérer s'enthousiasmer pour cette équipe et l'accompagner, pourquoi pas, jusqu'au podium de la L1, où les Verts ne sont plus montés depuis... 1982.
Illustration: collectif WABA (extrait de la une des Cahiers du foot #38)