Le professeur Emery
Bibliothèque – Dans Unai Emery – El Maestro, Romain Molina retrace le parcours de l'entraîneur du Paris Saint-Germain en convoquant ceux qui l'ont côtoyé depuis ses débuts.
L'actualité sportive du club parisien a aidé à mettre ses talents en lumière… puis le boomerang est revenu à toute vitesse. Avant d'être le coach jugé négativement par une partie de la presse et des supporters, Unai Emery était un joueur de seconde zone passé du jour au lendemain sur le banc, et qui a gravi les échelons un par un. Avec plus de réussite que d'échecs.
L'ascension
Quand on n'est pas un grand nom, il faut généralement commencer au bas de l'échelle. L'aventure du Basque version technicien commence à Lorca, à trente-deux ans. Un club en galère en troisième division, un président qui le verrait bien enfiler les habits d'entraîneur vu l'état de son genou et sa passion pour le jeu. Et une promotion inespérée à la fin de la saison, au bout d'un match épique, alors qu'il avait été nommé avant tout pour assurer le maintien. L'année suivante, il joue la montée en Liga jusqu'aux dernières journées, attirant ainsi l'attention de formations mieux équipées. Il change de club mais pas de division, direction Almeria, termine deuxième de Liga Adelante puis huitième de Liga l'année suivante. Nous sommes en 2008, Unai Emery a trente-sept ans et commence à avoir une belle réputation.
Quatre saisons, deux montées et deux places inespérées, qui restent encore aujourd'hui les meilleures de l'histoire des deux clubs: les débuts sont idylliques et les gros commencent à le suivre. Il va à Valence, où la vie sportive est beaucoup moins paisible, énormes attentes sportives obligent. En quatre ans, il termine tout de même sixième puis trois fois troisième, sans jamais convaincre complètement des supporters qui voudraient jouer d'égal à égal avec Barcelone et le Real. Viennent ensuite le Spartak, où la planche savonnée par Valeri Karpin et des débuts médiocres précipitent son départ, puis Séville, dont il garnit la vitrine à C3, et donc Paris.
L'homme
C'est cette histoire que l'ouvrage de Romain Molina raconte en détails. Son caractère peureux de joueur, son perfectionnement en tant qu'entraîneur, sa relation avec les joueurs, les hauts et bas… Chaque moment de son histoire est étayée par de nombreux témoignages, qui permettent de dessiner un portrait robot intéressant. Un fou de son sport, pas au point d'un Marcelo Bielsa mais pas si loin, fin psychologue, qui comme Carlo Ancelotti se soucie sincèrement du bien-être de ses protégés, mais aussi homme à poigne, capable de se confronter physiquement à ses joueurs et surtout ceux dont il est proche. Un entraîneur qui comprend mal qu'on n'aime pas autant le foot que lui, dont les causeries et analyses vidéos interminables laissent forcément les moins intéressés sur le bord de la route, et qui fait participer ses joueurs comme un professeur. D'où ce titre, "El Maestro".
Unai Emery, tel qu'il est ici décrit, ressemble au technicien parfait pour qui veut le suivre. Au fil des commentaires élogieux de ses anciens joueurs, parmi lesquels des stars comme Juan Mata, David Silva ou David Villa – le passage sur Valence est cependant bien moins détaillé que les autres – mais aussi des joueurs de bout de banc ou plus compliqués à gérer, on ne peut s'empêcher de prendre partie pour lui. Après tout, si l'un des meilleurs attaquants de ce début de siècle lui tresse tant de louanges, pourquoi la remise en cause de ses capacités à gérer des grands joueurs par le premier observateur (plus ou moins) neutre venu serait-elle si importante? Pourquoi, lui qui a relancé l'hypersensible Ever Banega et fait décoller le fou furieux Felipe Melo, deux des joueurs les plus compliqués à gérer de notre époque, ne pourrait-il pas tenir un vestiaire où se côtoient grands professionnels et gamins immatures?
Un début de réponse se trouve peut-être dans le chapitre consacré à son aventure au Spartak. Là-bas, sa méthode, en décalage total avec les habitudes locales, n'avait pas été comprise. Quasiment iconoclaste et cible facile des jeux de pouvoirs à cause d'une maîtrise très incertaine de la langue, il n'avait pas su convaincre. Alors, pas assez bon à l'export? Comme l'auteur, qui trahit son amour de l'Espagne par des descriptions des paysages, des mets et de l'ambiance, Unai Emery est un Basque profondément attaché à sa terre et dont la méthode et le caractère semblent plus adaptés à la culture footballistique hispanique. Ce livre, où il est d'abord question des hommes et notamment de son fidèle adjoint, se conclut ainsi par un chapitre sur Paris. Et notamment ce témoignage d'Igor, le frère, racontant un appel nocturne d'un journaliste de L'Équipe cherchant à savoir si le fait de mimer avec des bouteilles lors de la conférence de presse du jour était un calcul pour faire le buzz. "C'est peut-être son souci, il pense que toute personne est honnête."