Le football frappé par la crise du Golfe
Relocalisée, parfois douteuse sur le plan arbitral, d'une grande tension dramatique en finale et au vainqueur omanais célébré avec enthousiasme par... le Qatar, la dernière Coupe du Golfe a symbolisé les tensions dans cette partie du globe.
Vendredi 5 janvier 2018, lors de la finale de la Coupe du Golfe, Ahmad Mubarak, par un dernier tir au but triomphant, sacre la sélection d’Oman, au cœur du stade Al-Jaber de Koweït City, au terme d’un match à suspense contre les Émirats arabes unis. Le commentateur de la chaîne qatarienne, Al-Kass, chante alors à la gloire d’Oman, reprenant les paroles de la célèbre chanson "Usud walad Qabus". Cette compétition, qui, à sa création se voulait unificatrice, a mis au grand jour les tensions politiques actuelles.
La tenue de la compétition au Qatar remise en cause
Le Qatar devait accueillir, à Doha, la vingt-troisième Coupe du Golfe des nations à la fin du mois de décembre dernier. Mais les mesures politiques prises à son encontre par plusieurs pays de la région compliquaient la tenue au complet de cette compétition. Le président de la fédération locale, Shaykh Hamad bin Khalifa bin Ahmed AlThani, tente donc de trouver une solution de sortie de crise. Début novembre, il invite les trois pays du Golfe ayant initié le blocus, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Bahreïn, à participer à la coupe qui doit normalement se dérouler sur le territoire qatarien.
En réponse à cette main tendue, les trois fédérations de ces États annoncent au début du mois de décembre le retrait de leur sélection si cette compétition venait à se jouer à Doha. Face à cette pression, Shaykh Hamad bin Khalifa bin Ahmed Al-Thani se voit contraint de trouver une issue permettant à l’ensemble des équipes d’être réunies sur le même terrain. Il trouve auprès du Koweït, qui est médiateur dans la crise politique actuelle, un allié de circonstance pour organiser le tournoi. Le Koweït, qui a déjà accueilli ce type de compétition, est prêt à réitérer l'expérience dans l’urgence.
Cette obligation de renoncer à la réception de l'épreuve apparaît en tout cas sur le plan politique comme une première victoire pour les Émirats arabes unis, qui rêvent par ailleurs de voir la Coupe du monde 2022 échapper au concurrent régional. Après avoir touché les coulisses sportives du Golfe, quelle forme ce conflit va-t-il prendre sur le terrain?
Le terrain, un espace de tensions
Le Qatar, qui aligne une équipe rajeunie par l’arrivée de la génération vainqueur de la Coupe d’Asie des moins de 19 ans en 2014 dans l’objectif de préparer la Coupe du monde 2022, termine son premier tour par un dernier match décisif contre son voisin bahreïnien. Une victoire lui ouvrirait les portes des demi-finales. À l’enjeu sportif vient s’ajouter le climat politique actuel, qui rend la rencontre potentiellement explosive. C'est de plus le Saoudien Sultan Al-Harbi qui est choisi pour diriger cette partie. Un choix qui vient accentuer les craintes qui pèsent sur cette rencontre.
Sur le terrain, bien qu’ayant ouvert le score, la jeunesse qatarienne est bousculée, puis rattrapée, par une équipe bahreïnienne très physique et jouant l’intox. Plusieurs faits de match litigieux viennent conforter les craintes que les Qatariens nourrissaient en amont. Pour une fédération ayant notamment axé son développement sur la formation d’arbitres d’excellence [1], l’arbitrage tout au long de cette rencontre est surprenant. Les joueurs qatariens ressentant un sentiment d'injustice, plusieurs altercations entre joueurs ont lieu dans les dernières minutes de la partie.
Le dernier vainqueur de cette compétition, le Qatar, est finalement éliminé et les réseaux sociaux se déchaînent autour de ce match. Tandis que les Qatariens compilent les faits de match douteux et crient au scandale, de nombreux tweets d’Émiriens, de Bahreïniens et de Saoudiens se moquent d’une fédération qatarienne qui investit beaucoup d’argent dans le sport, sans obtenir pour le moment de résultats probants.
Une victoire sportive perçue comme politique
La sélection d’Oman, qui a sorti l’Arabie saoudite dès le premier tour, rencontre le Bahreïn en demi-finale et l'écarte de la course au titre. La finale l’oppose aux Émirats arabes unis. Ce parcours représente tout un symbole pour les Qatariens, qui perçoivent le blocus comme une véritable injustice. Ces derniers mettent tous leurs espoirs de victoire dans Oman, un "pays frère", resté neutre dans la situation de crise actuelle et qui s’est même rapproché d'eux dans le domaine sportif. Ce serait donc la seule équipe capable de mettre un terme aux rêves de victoire des sélections des pays ayant contribué à instaurer le contexte politique régional actuel.
Dans un match serré, au cœur d'un stade Al-Jaber prêt à exploser de joie des deux côtés, les Émirats arabes unis obtiennent un penalty dans la dernière minute du temps réglementaire. La star de l’équipe nationale, Omar Abdulrahman, a la lourde tâche de transformer ce penalty qui consacrerait la sélection émirienne. Faez Al-Rashidi, le gardien de l’équipe d’Oman, surnommé "Superman" par les commentateurs, le détourne d’une manchette. Le journaliste de la chaîne qatarienne explose de joie et encense de louanges le portier omanais. Après des prolongations infructueuses, le match se dirige vers une séance de tirs au but. Lors de cette séance, le gardien omanais détourne une nouvelle fois la tentative d’Omar Abdulrahman et permet au capitaine omanais, Ahmad Mubarak, d’offrir le titre au Sultanat.
L’image d’Omar Abdulrahman effondré à terre est de suite relayée par les médias qatariens et sur les réseaux sociaux. Il apparaît à ce moment-même comme le symbole des Émirats arabes unis à genoux, et ce malgré de grands desseins. Les supporters omanais exultent. La chaîne qatarienne Al-Kass diffuse alors les images de supporters omanais brandissant leur coque de smartphones à l’effigie de "Tamim Al-Majd" [2], surnom de l’émir du Qatar devenu l'icône de la résistance au blocus. Les comptes Instagram de plusieurs journalistes et décideurs du sport qatariens remercient le sultanat d’Oman en publiant une image d’un tifo brandi par les supporteurs locaux lors d’un match précédent, sur lequel les drapeaux d’Oman et du Qatar sont côte à côte.
De Mascate au village de Bidyah, cette victoire est fêtée par des flots de voitures omanaises. La défaite émirienne est par ailleurs célébrée de manière ostentatoire sur la corniche de Doha. Dans la foulée, l’émir du Qatar, Tamim Bin Hamad AlThani, adresse ses félicitations au sultan Qabus. Les médias qatariens ne manquent pas de relayer cette information. Par ce biais, l’émir du Qatar transpose cette défaite sportive dans le domaine politique.
[1] Dans l’objectif de développer son championnat, la fédération saoudienne a engagé au début de l’année 2017 une des stars mondiales de l’arbitrage, l’Anglais Mark Clattenburg, afin d’améliorer le niveau des arbitres saoudiens.
[2] "Tamim est la gloire".