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L’affaire Di Stefano, ou la naissance du football mondialisé

Appartenant à deux clubs sud-américains, transféré au Barça mais escamoté par le Real, Alfredo a défrayé la chronique en devenant le premier "Galactique" de l'histoire.

Auteur : Aurélien Ros le 1 Juil 2013

 


Au début des années 50, le FC Barcelone survole le football espagnol en réalisant deux fois le doublé coupe-championnat. Laszlo Kubala, l’attaquant tchéco-hispano-hongrois du Barça est au sommet de son art, mais il tombe gravement malade à la fin de l’année 1952. Le FC Barcelone se met alors en tête de le remplacer par un joueur de premier plan. "L’affaire Di Stefano" peut commencer.
 


L'appel des dollars colombiens

Depuis la fin des années 40, l’Argentin Di Stefano s’est fait remarquer en remportant plusieurs titres avec River Plate. Mais une longue grève des footballeurs argentins a incité le petit génie à se tourner vers l’alléchant championnat colombien, en plein essor. Les milliardaires locaux achètent les clubs et les stars sans tenir compte de règlements internationaux balbutiants, au point que la Colombie se retrouve exclue par la FIFA et par la Confédération sud-américaine de football (CSF)... sans vrai dommage puisque les stades continuent d'être pleins.
 

 


Di Stefano sous le maillot de River Plate, puis celui du Barça (à la droite de Kubala et Puskas).
Di Stefano se voit offrir un contrat en or par le Millonarios de Bogota en 1949, et il s’enfuit en Colombie sans honorer son contrat avec River Plate [1]. Ses motivations sont purement économiques comme il le reconnaîtra plus tard: "J'ai hésité. Mais quand les dirigeants des Millonarios m'ont annoncé ce que j'allais toucher, j'ai fait mes valises sans me poser de question. (...) Je gagnais autant d'argent en un an qu'en dix ans à River Plate. (...). Si River m'avait offert le même salaire (...), je serais resté en Argentine, c'est sûr. (...) Il y avait énormément de joueurs étrangers (...), tous là pour une seule chose: l'argent." En 1951, un accord connu sous le nom de "Pacte de Lima" permet la réintégration de la Colombie au sein de la FIFA, à condition que les joueurs achetés illégalement par les clubs colombiens regagnent leur club précédent au 1er janvier 1955. En attendant, tout transfert de joueur est interdit jusqu’à cette date butoir.
 


La fuite à Buenos Aires

C’est donc dans ce cadre juridique que le Millonarios de Bogota peut continuer à jouir des performances de ses stars et qu’il vient participer à un tournoi organisé par le Real Madrid pour les cinquante ans du club merengue, au printemps 1952. Le public espagnol découvre à cette occasion l les qualités hors du commun de Di Stefano, vingt-six ans. Mais à la Noël 1952 coup de théâtre: le joueur profite d’une tournée au Chili pour s’enfuir à Buenos Aires avec sa famille et une somme d’argent perçue d’avance. Introuvable, il se met en porte-à-faux avec le Millonarios et avec River Plate (son club formateur où il était censé retourner).
 

Les premières rumeurs de transfert vers l’Espagne bruissent dans les journaux espagnols [2] au moment où l’infection pulmonaire de Kubala est détectée, obligeant le Barça à partir à la recherche d’un joueur de classe mondiale pour le remplacer. Le président du club, Enrique Marti Carreto, charge son secrétaire technique José Samitier de négocier le transfert de Di Stefano avec son club d’origine, River Plate. À Buenos Aires, l'accord est conclu pour quatre millions de pesetas, Di Stefano sera membre de l’effectif du FC Barcelone à compter du 1er janvier 1955, date à laquelle il est censé revenir à son club formateur. Le club catalan agit donc selon les termes du "Pacte de Lima", et verse une première avance de deux millions de pesetas au River Plate. Mais comme Di Stefano débarque à l’aéroport de Barajas le 23 mai 1953, le Millonarios porte plainte devant la FIFA et la fédération espagnole, s’estimant à juste titre propriétaire du joueur au moins jusqu’en 1955.
 

L'épisode est l’occasion pour les journaux espagnols de s’interroger sur une certaine dérive financière du football, mais en attendant, l’avenir du prodige argentin se situe bien en Catalogne... à condition que le Barça s’entende avec le Millonarios de Bogota. L’occasion se présente en juillet 1953, lorsque le club se rend à Caracas y disputer un tournoi: le président du Millonarios Alfonso Senior réclame 27.000 dollars pour céder sa pépite. Le représentant du Barça, José Samitier, refuse de payer cette somme qu’il juge démesurée, alors qu’il ne reste qu’un an de "contrat" à Di Stefano [3].
 


L’entrée en scène du Real Madrid

C’est alors que le jeune trésorier du Real Madrid, Raimundo Saporta, surgit dans l'intrigue en se rendant à Bogota avec les 27.000 dollars réclamés par Alfonso Senior et en faisant affaire avec le Millonarios en juillet 1953. Le Real espère ainsi jouer sur un point ambigu du "Pacte de Lima" qui autorise la cession de joueurs à condition qu'il y ait eu auparavant "un accord antérieur avec la dite association nationale". C’est le cas, puisque River Plate avait accepté de céder le joueur au Barça... Di Stefano se retrouve donc pris dans un imbroglio économico-administratif entre les deux clubs espagnols. En théorie, le Real dispose du joueur jusqu’en janvier 1955, après quoi il doit rejoindre le Barça en vertu du "Pacte de Lima". "L’affaire Di Stefano" se transforme en un feuilleton qui met en évidence la faiblesse de la gouvernance mondiale du football par la FIFA.
 

Elle se déroule à l'époque de la réintégration de l’Espagne dans la communauté internationale, alors que le régime fait beaucoup d’efforts pour donner une image plus acceptable. Il s'agit donc de ne pas se discréditer auprès de la FIFA, qui empêche Di Stefano de jouer pour quelque club que ce soit tant que son cas n’est pas éclairci. Le président du Barça réalise alors que son idée initiale de "garder au chaud" le joueur pendant un an avant de l’aligner légalement va échouer, puisqu’il appartient désormais aussi au Real Madrid.
 

Or, en cet été 1953, l’état de santé de Kubala s’améliore très significativement, inversant les pronostics quant à la suite de sa carrière. Après avoir échoué à vendre Di Stefano à... la Juventus de Turin, afin de se débarrasser du problème, le Barça réclame alors le remboursement des deux millions de pesetas déjà versés au River Plate [4]. Pendant ce temps, Di Stefano dispute quelques matches amicaux avec Barcelone, mais il supporte mal que le club catalan veuille se débarrasser de lui. Coutumier des fuites clandestines, il fait ses valises et part rejoindre le Real Madrid auquel il appartient en théorie pour un an. Mandaté par la FIFA pour régler le problème avant que ne débute la saison, l’Espagnol Armando Muñoz Calero propose une solution à peine croyable aujourd’hui: Di Stefano changerait de club chaque saison, et jouerait alternativement pour le Real et puis le Barça!
 


Di Stefano, premier Galactique

Le lendemain de cette décision inique, le Comité directeur du FC Barcelone présente sa démission. Ce même soir, Di Stefano dispute son premier match sous les couleurs merengues face à Nancy. La nouvelle direction catalane cède très rapidement l’intégralité des droits du joueur qu’elle possède, en échange du remboursement de tous les frais engendrés lors de l’achat des droits de Di Stefano à Buenos Aires. À ce moment-là, l’Argentin n’a pas joué de match officiel depuis presque un an, il pèse plus de 80 kilos et personne ne peut présumer du niveau qui sera le sien ultérieurement. Il souffre en outre d’une mauvaise réputation en raison de ses prétentions salariales pharaoniques et de ses antécédents de fuyard récidiviste. En définitive, l’opération très risquée coûte très cher au Real Madrid, qui débourse au total 5.750.000 pesetas de frais de transfert et 1.350.000 pesetas de prime de transfert au joueur. Somme à laquelle il faut ajouter 650.000 pesetas de frais de licence annuelle, un salaire annuel de 192.000 pesetas et enfin des primes doublées par rapport à celles de ses coéquipiers [5].
 

Dans cette affaire, Di Stefano a tout gagné, sauf une bonne image. La polémique avec le Barça durera des années mais en réalité, c’est surtout lorsque l’Argentin devient le meilleur joueur du monde que les regrets catalans, mêlés à de la frustration, font naître le fantasme d’une intervention des autorités franquistes en faveur du "club du régime". En octobre 1953 Di Stefano dispute son premier Clásico au cours duquel il inscrit un doublé, le Real écrasant le Barça par cinq buts à zéro...

 


 
 


[1] Félix Martialay et Bernardo de Salazar, Las grandes mentiras del fútbol español, Madrid, Fuerza Nueva, 1997, p. 325.
[2] ABC, 22 janvier 1953, p. 29.
[3] Le Barça ne propose que 10.000 dollars en plus d’éponger les dettes du joueur et d’un match amical offert en Colombie. Voir tous les détails des transactions p. 325 du livre cité ci-dessus.
[4] Ce que les Argentins refusent en estimant être dans leur bon droit (Op. Cit., p. 325-330).
[5] Tous les chiffres sont fournis par Ángel Bahamonde Magro, El Real Madrid en la historia de España, Madrid, Taurus, 2002.

 

Réactions

  • Richard N le 01/07/2013 à 21h14
    Excellent article, très détaillé et fort instructif. C'est le propre des grands joueurs d'avoir été à la croisée des événements de son sport. Alfredo Di Stefano est passé de la Maquina de River Plate au grand Real Madrid, de l'Eldorado colombien (premier championnat pirate d'envergure) aux soirées de la Coupe d'Europe. Cet article démontre qu'il fut aussi l'homme des premiers transferts ambigus et des coups tordus en coulisses.

  • narcoleps le 02/07/2013 à 10h54
    Une bien belle histoire: des acteurs de prestige, des noms qui en jette (les Milionarios, le Pacte de Lima), la rémission de Kubala, les solutions nawakesques envisagées (le joueur qui jouerait une saison pour le Real puis une pour le Barça, nan mais sérieux), le contexte politique, les départs clandestins, le pognon .... Ne manque que la drogue et le sexe.


  • Toni Turek le 02/07/2013 à 12h10
    Merci pour cet éclairage historique particulièrement intéressant.

    Ceci dit, les solutions nawakesques ne datent pas de cette période. Déjà dans les années 20, à cause de la différence selon les pays (où le foot était professionnalisé ici et toujours amateur là-bas), il y avait quelques mouvements folkloriques aussi - mais les sommes d'argent évoquées étaient alors sans commune mesure avec celles citées dans le présent article, et encore moins avec celles d'aujourd'hui.

    Bravo à l'auteur, qu'il n'hésite pas à continuer ses articles !

  • leo le 03/07/2013 à 23h02
    Merci pour cet article très complet et, en particulier, pour le "fantasme d’une intervention des autorités franquistes en faveur du "club du régime". On entend si souvent cette version en Espagne...

    Pour narcoleps, Di Stéfano a aussi été victime d'un kidnapping par des guerrilleros colombiens en 1963 !

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