La mort du maillot
La France joue en rouge… contre l’Espagne en doré. Pire: victimes de toutes sortes de sacrilèges esthétiques, les maillots doivent aussi subir la prose des services marketing.
Auteur : La chronique bolchevique de Jamel Attal
le 6 Fev 2008
Extrait du #40 des Cahiers du football.
Au cours de la dernière décennie, les ravages du merchandising sur les maillots n’ont plus connu de limites. Impensables quelques années auparavant, toutes les fantaisies ont été permises et même encouragées, quitte à produire des absurdités. On ne prendra, parmi des dizaines d’autres, qu’une poignée d’exemples : en octobre 2003, l’OL en rouge recevait le Bayern en blanc. Le 12 décembre dernier, un OM orange était battu au Vélodrome par un Liverpool FC noir, seul... le gardien marseillais évoluant sous les couleurs théoriques du club.
Silence gêné
Entre-temps, plusieurs seuils de tolérance auront été franchis avec toutes sortes de fantaisies regrettables. Pour cette seule saison, on signalera le vert fluo de Saint-Étienne (plusieurs éclatements de la rétine ont été constatés chez les téléspectateurs du match d’avant-saison OM-ASSE) ou le “fraise-chocolat” de l’AJ Auxerre. La laideur ne tue pas plus que le ridicule. Tout est bon pour décliner les modèles d’une saison à l’autre, y compris l’alibi d’un retour à une tradition plus ou moins fumeuse, après des années de réinterprétations post-modernistes. Et revoilà le PSG en short rouge, parce que le vintage est tendance.
On accuse les joueurs d’avoir perdu “l’amour du maillot”, mais les clubs eux-mêmes semblent l’avoir égaré, à force de malmener leur premier emblème. En leur sein, on justifie ces écarts par leur sainte rentabilité: ça marche auprès des consommateurs, et c’est ce que veut l’équipementier avec lequel nous avons signé (lire "Les produits dérivés sont un outil de communication"). On observe donc un silence plus ou moins gêné. Frédéric Antonetti a fait exception, en novembre dernier, en réagissant à la présentation du nouveau maillot "camouflage” de l'OGC Nice: “Je ne le trouve pas beau. Il n’a aucune signification. Certains se font plaisir, c’est l’heure du merchandising comme on dit”, a-t-il déclaré au Parisien, soulignant bien l’aspect masturbatoire du travail des équipementiers. “Ce maillot nous permet de sortir des sentiers battus et d’améliorer la vente de nos produits dérivés”, s’est pauvrement justifié son président, Maurice Cohen.
Adidas cultive la laideur
La récupération va donc au-delà du seul détournement. Il faut aussi subir le discours qui accompagne ces prouesses esthétiques. Ainsi, Adidas a lancé le nouveau maillot de l’équipe de France en l’accompagnant d’un brouet idéologique, que les joueurs sont priés d’interpréter, sous l’exergue “Ce maillot n’est pas à moi”. La marque aux trois bandes devrait commencer par s’appliquer cette maxime, histoire de nous épargner ses hideuses variations et nous rendre un maillot propre. Et mieux briefer Raymond Domenech, qui a laborieusement régurgité l’argumentaire commercial officiel, au micro de TF1, à la fin d'Ukraine-France.
Après les atrocités commises en 2002 (le maillot à deux couches qui menaçait d’étouffer les joueurs) et 2006 (le modèle blanc inspiré du logo de l’UMP qui est allé en finale de la Coupe du monde), on en est presque à trouver celui-ci acceptable, en dépit de cette rage des designers maison à vouloir justifier leur salaire en surchargeant le pauvre tissu.
Un culte de la laideur qui semble faire partie de la culture d’entreprise de la firme allemande, alors que ses concurrents ont récemment fait bénéficier les sélections néerlandaise et anglaise de belles et sobres tuniques... La Fédération vient justement de lancer une consultation et choisira le 22 février son équipementier pour la période 2010-2018, le contrat actuel arrivant à son terme (1). Malheureusement, on doute que la sobriété esthétique ait été inscrite dans le cahier des charges.
(1) D’un montant “cadeau” de 10 millions par an, ce contrat avait été négocié sans mise en concurrence, du temps du gentil Claude Simonet.
PS. D’aucuns estimeront que le maillot rouge des Bleus n’est pas totalement illégitime puisque l’équipe de France l’a parfois porté par le passé. Ce serait occulter la véritable motivation de ce retour, purement mercantile, et son absurdité foncière: à Malaga, l'Espagne va jouer avec son maillot "extérieur" et la France évoluer... sous les couleurs traditionnelles de son adversaire. Quant à le trouver joli, il est tout de même déplorable qu’Adidas ne parvienne pas à faire cette effort de sobriété pour le maillot “principal”.