La LFP et son révélateur
Le révélateur de hors-jeu, outil imparfait et propice aux polémiques, est pourtant utilisé de nombreuses fois dans un match. Et même par la Ligue, qui reprend sur ses plate-formes ce qu'elle interdit dans les stades.
Son nom promet, la main droite levée, de montrer "toute la vérité, rien que la vérité". Pourtant, l'utilisation du révélateur de hors-jeu est trompeuse. La bataille des Cahiers à son encontre est d'ailleurs en passe de tourner à l'épopée. Censé illustrer la régularité ou non d'une action décisive ou en passe de l'être, il est la base, à chaud, des réactions des commentateurs mais aussi, après le match, des analyses des chroniqueurs ou des consultants. Petit frère du ralenti, il est ainsi une machine à polémiques.
L'aîné de la fratrie peut, de son côté, trouver une légitimité pour remontrer une action, un but, un geste technique offensif ou défensif dans la limite où il n'empiète pas sur la diffusion du direct (ce qui est rarement le cas, des lancements de jeu, six mètres ou touche si ce n'est plus, étant régulièrement sacrifiés sur l'autel du ralenti).
Son usage a inévitablement dévié vers une correction de l'arbitrage. Une faute sera alors montrée sous trois angles différents au ralenti. Bien, le téléspectateur peut se faire un avis plus précis. Le rôle du commentateur, sans doute victime du montage moderne de la réalisation des matches de foot, est important. Il a le choix entre critiquer la décision de l'arbitre ou faire comprendre l'immense complexité de celle-ci.
La deuxième possibilité qui s'offre au commentateur est encore trop rarement préférée, et quand elle l'est, c'est souvent sous forme de concession. "Le tirage de maillot est flagrant, certes il y a beaucoup de mouvements et de joueurs autour qui le cachent, mais le pénalty était évident."
Si le ralenti possède un aspect positif, il n'en est rien du révélateur de hors-jeu. Il vise uniquement à un ré-arbitrage et stigmatise une fois de plus les hommes en jaune. Inutile de vérifier la balance des temps de paroles qui félicitent et qui crucifient, l'analyse des erreurs, alimentant ainsi les regrets et la frustration des supporters, des joueurs, de l'entraineur, des dirigeants de l'équipe flouée, emporte toujours le temps d'antenne.
La responsabilité du commentateur
La 31e journée de Ligue 1 a ainsi offert deux exemples qui éclairent l'absurdité de l'usage du révélateur, ici par le site internet de la LFP: le but refusé à Ibrahimovic lors de PSG-Monaco et celui accordé à Pléa pendant Nice-Gazélec Ajaccio. Le résumé vidéo de l'opposition princière sur le site de la LFP commence par l'annonce de l'ouverture du score parisienne par Zlatan.
Le commentateur précise, après un temps d'arrêt, que le but "est refusé à tort par Monsieur Gautier et son assesseur pour une position de hors-jeu inexistante de la part du Suédois qui est sur la même ligne que Danijel Subasic". Impitoyable, le commentaire souligne le fait que cette "erreur" va perturber le déroulement du match en évoquant "un fait marquant".
Bien sûr, cette appréciation est appuyée à l'image par la ligne du révélateur magique qui fait couvrir le buteur par le gardien croate. Elle tient donc seulement compte de l'image arrêtée et de cette ligne placée au sol et jamais de l'action dans sa vitesse naturelle, telle que la perçoit l'arbitre de touche notamment. Subasic est en effet en mouvement vers l'avant, un de ses pieds couvrant le Z le temps d'une demi-seconde (celui choisi pour placer la ligne du révélateur), mais la perception visuelle est celle de deux joueurs aux mouvements inverses qui se retrouvent donc séparé d'un mètre la demi-seconde suivante.
Cette ignorance des conditions de perception de l'arbitre (qui, si l'on sort du cadre de cette action, peuvent réunir autant de paramètres que la vitesse du jeu, les joueurs dans le champ de vision, la fatigue, la pression de l'enjeu ou du stade, le poids des contestations voire des insultes) est particulièrement injuste et malhonnête.
Le second exemple voit Ben Arfa profiter de la fausse piste offerte par Walter, qui aspire Mangane et laisse un gouffre dans la défense corse pour servir l'appel à la limite du hors-jeu de Pléa. Le révélateur est encore utilisé pour vérification mais non relevé par le même commentateur qui salue "la très bonne synchronisation entre l'appel de Pléa et la passe de Ben Arfa".
Nulle évocation donc de la vision du jeu de l'arbitre assistant qui participe aussi à cette action. Après tout, il n'est pas obligatoire et nécessaire de souligner de bonnes décisions, mais celles-ci font beaucoup moins de bruit que les autres. La responsabilité du commentateur se situe justement là, dans sa manière de mettre en valeur les actions, et avec les antécédents de la relation entre sa profession et l'arbitrage (le "salaud" de Thierry Roland n'en est qu'un exemple), il doit avoir conscience qu'il peut améliorer ou faire empirer les choses.
La différence de traitement entre les deux actions est d'autant plus regrettable qu'elle vient de la part de l'institution qui gère le football professionnel français et semble oublier que le trio arbitral contribue au jeu au même titre que les vingt-deux acteurs et ne fait pas qu'entraver les actions construites par les équipes.
L'arbitrage français n'est évidemment pas exempt de tous reproches et peut tout à fait être critiqué (fermer les yeux sous prétexte d'une image déjà trop écornée mènerait à une impasse), mais le faire à partir d'éléments aussi fragiles et réducteurs que le révélateur de hors-jeu relève d'une évidente facilité.
Le rôle de la LFP
La question de l'arbitrage et de son image auprès du public semble être sensible pour la LFP quand on se penche sur les "Dispositions pour la diffusion d'images sur les écrans vidéo dans les stades" qu'elle adresse aux clubs professionnels.
Le point 2.1 de ces dispositions est le suivant: "Le but des présentes dispositions est, pour la Ligue de Football Professionnel, de s'assurer que les écrans vidéo soient effectivement utilisés de manière responsable par les clubs participant aux Championnats de Football Professionnel et à la Coupe de la Ligue, afin de ne pas interférer dans le bon déroulement des matches, et qu'ils ne devront, en aucune façon, ni restreindre l'autorité et le rôle des responsables des matches, ni inciter les spectateurs ou les acteurs à des désordres de tout ordre." Un vocabulaire policier qui témoigne du peu de considération porté par la LFP au public des stades qui apparait ici comme une masse versatile et incontrôlable à la moindre contrariété.
Quelques lignes plus loin, le point 4.2 ("Choix des images diffusées") fait sourire quand on repense aux résumés vidéo présents sur son site internet et sa chaîne YouTube: "Afin de respecter les dispositions décrites dans l'article 5.2, relatives à la nature des images, et fondées sur le principe de diffuser exclusivement les actions positives, aucune répétition d'incidents fâcheux ou sujets à controverse ne sera diffusée, notamment les hors-jeu, les fautes commises par les joueurs, les erreurs éventuelles d'arbitrage, ou toute autre action antisportive." Le hors-jeu ressort en tête de liste des éléments capables de provoquer le "désordre".
L'erreur de l'institution du football professionnel est de considérer que la "nature" de ces images reviendrait à mettre un produit inflammable entre les mains d'un pyromane. Elle a peur de la foule et veut lui montrer seulement "des actions positives" pour ne pas la contrarier. La LFP considère donc que l'image des arbitres est telle que l'on ne peut montrer d'images d'erreurs (encore faut-il qu'il y en ait) au risque de faire dégénérer les rencontres.
Schizophrénie
Cet article 5.2 ("Nature des images") insiste sur le caractère potentiellement dangereux des images d'actions "négatives": "Le club qui utilise les écrans vidéo devra le faire de manière responsable et s'abstiendra de diffuser des événements issus du match pouvant nuire au bon déroulement du jeu, ou choquer ou inciter quiconque à des écarts de comportement ou au désordre. Les écrans vidéo ne pourront pas être utilisés pour la diffusion des images ou des sons relatifs à des incidents ou des actions mettant en cause la réputation, la compétence ou l'autorité de la Ligue de Football Professionnel, des clubs, des arbitres, des officiels, et des joueurs."
La LFP s'inquiète ainsi de la possibilité de nuisance de ces images en présence d'un public réuni dans un stade, mais ne voit pas d'inconvénient à saper elle-même "la réputation" des arbitres en diffusant sur son site des résumés vidéo mentionnant des erreurs d'arbitrage sur la base d'un outil apporté de la télévision pour fabriquer des polémiques.
Elle néglige, par là même, l'impact à long terme que peuvent avoir ce genre de commentaires, aveuglée par la crainte que lui inspire les supporters. Un impensé semble se dessiner dans la représentation que se fait l'institution de la relation entre les arbitres et le public. Et elle ne fait visiblement rien pour améliorer la situation entre les garants des règles du jeu et celui qui fait du football un sport si sujet aux passions.