Juventus, logo drama
De blason à logo: le nouvel emblème de la Juventus, assez belle réussite esthétique mais objet de polémiques, symbolise surtout ce que les grands clubs veulent devenir aujourd'hui.
D’un point de vue graphique, le logo de la Juve est objectivement très réussi. Il est assez cocasse de remarquer que de nombreux commentaires, sites, journaux etc. ont ironisé sur la simplicité de la forme (un enfant de douze ans pourrait faire de même sur Paint, apparemment) quand c’est justement la vertu première de la définition classique d’un logo: "Le meilleur logo est celui qu’un enfant peut dessiner dans le sable avec son doigt", avait résumé le typographe et théoricien suisse Adrian Frutiger. Citation qui fait autorité dans à peu près toutes les écoles de design graphique du monde.
C’est en réalité toute la difficulté de faire "simple" mais singulier, simple mais évocateur, simple mais narratif. Qui raconte quelque chose de ce qu’il identifie, alors même qu’il est simple.
De l'équilibre et de la cohérence
Faire simple, subtil et singulier (pour les évocations c’est autre chose, on va y revenir) : c’est justement ce qu’a réussi l’agence Interbrand en commettant le logo de la Juve. Alors que le J est une lettre complexe à équilibrer puisqu'asymétrique, les graphistes ont trouvé la solution, grâce au dédoublement du J, pour obtenir à la fois quelque chose d’équilibré dans la répartition des blancs, et à la fois la forme classique d’un "blason" (deux courbes pour former une pointe au bas du fanion) quand on considère la forme globale.
Il n’est pas interdit de penser, en outre, que la contre-forme, l’espace noir entre les deux J et sous le JUVENTUS dessine un T en négatif (pour Turin évidemment, sur le même principe que le C du logo Carrefour): ce qui invite à le penser est le choix d’avoir conservé le même écart entre les deux J, et entre le haut du J et JUVENTUS. Ce n’est pas certain non plus. Mais c’est au minimum bien structuré, et le J est doublement dédoublé, sur le côté et le haut ("JUVENTUS" redouble la barre du J). Voilà qui renforce le charisme de cette lettre. La Juve est un club fort.
Un enfant pourrait le dessiner dans le sable de mémoire; seul un designer graphique compétent pouvait parvenir à cet équilibre, cette cohérence (le principe qui dessine le J gouverne toute la typographie, comme on le voit aisément en considérant le V: un côté droit et une courbe qui démarre bas pour arriver à la pointe).
Alors pourquoi ce tollé ?
Parce qu’il ne s’agit pas du logo d’une énième marque de fringue d’inspiration américaine. Il s’agit (ou il aurait dû) de l’identité visuelle d’un club de football. Et le tort, peut-on supposer, revient à la commande plutôt qu’à la réponse des graphistes: il y a fort à parier que ces derniers ont parfaitement rempli le cahier des charges – modernité, dynamisme, jeunesse, facilité des déclinaisons sur les supports les plus variés, énergie… Tout en gardant la forme du fanion, donc. Comme un alibi.
Mais les accusations sont claires : le logo est coupable de transformer un club en marque. Car ce n’est pas assez, la forme du fanion. Il est réjouissant de constater que pour un supporter, porter un écusson n’est pas la même chose que le logo d’un fabricant de fringues. Le supporter demande plus. Lui qui reste quand les joueurs, les entraîneurs, les présidents passent, il sait qu’un club de foot a une histoire, une tradition, des couleurs. Et le logo est, comme le supporter, quelque chose qui a la fonction de rester. Les maillots changent, s’égarent dans les thirds, expérimentent – aucun problème tragique, ils plaisent ou déplaisent comme les saisons sportives. Ce sera autre chose le jour où un club se risquera à abandonner carrément, sur tous les maillots d’une nouvelle saison, les couleurs traditionnelles.
Le logo il reste, lui aussi, et le supporter s’y identifie. Comme avec son équipe, il est exigeant avec lui. Et comme au stade, il veut bien donner de la voix et de l’argent, mais il demande aussi un peu de respect de la part du club.
Alors pourquoi cette intention du club ?
Qu’il soit permis de faire un parallèle avec un secteur qui n’a aucun rapport: les évolutions apportées par Twitter à son réseau. Ces évolutions (remplacer par l’étoile du "favori" par un "cœur", faire "remonter" les tweets aimés et non plus seulement retweetés, envisager de ne plus se limiter à 140 caractères, etc.) ont quelque chose en commun les unes avec les autres – et avec l’évolution du logo de la Juve. Elles ont en commun de "cibler" non pas les gens acquis à la cause, ceux qui aiment déjà Twitter ou le club tel qu’il est – mais ceux qui ne le sont pas encore, acquis à la cause.
C’est pour aller chercher les gens qui trainent sur Facebook qu’on va "simplifier" Twitter (l’énigmatique favori devenu cœur s’explique ainsi), c’est pour plaire à ceux qui ne comprennent pas Twitter qu’on va remodeler le fil d’actualité. Et ce, en allant volontiers contre l’avis de ceux qui aiment déjà Twitter.
Comme si… Comme si ceux qui appréciaient déjà étaient déjà conquis, acquis, déjà consommateurs fidélisés, piégés en quelques sortes: pourquoi se soucierait-on de leur sort? Pourquoi faire un logo pour plaire à ceux qui aiment la Juve, puisqu’ils aiment déjà la Juve? Ce n’est pas nécessaire! Allons plutôt, avec un logo jeune et moderne, qui ne s’embarrasse pas de symboliques complexes qui traversent mal les frontières ("Ça veut dire quoi, les étoiles sur les fanions des clubs, déjà?"), chercher des nouveaux fans… De toute façon les supporters se plaignent tout le temps… Et les jeunes ils aiment qui, là, aujourd’hui, comme joueur? Untel? OK on va le recruter – ajoute un 0 à son salaire s’il tatoue le logo.