La séance s'achève dans la bonne humeur, en cette avant-veille de Saint-Étienne-Metz, à L'Étrat, le centre d'entraînement de l'ASSE. Posté dans les cages, Pascal Feindouno provoque les tireurs, suscite les rires de ses partenaires et les exclamations des quelque deux cents personnes venues assister à l'entraînement. Sous le regard attentif et amusé d'Élie Baup, Vincent Hognon, Didier Zokora, David Hellebuyck et Julien Sablé tentent de mettre à l'amende leur meneur de jeu.
Après une longue séance d'autographes et de photos, le capitaine stéphanois nous rejoint pour évoquer son parcours — et les ambitions de son club cette saison (cette partie-là de l'interview étant à paraître dans le numéro 18 des Cahiers, le 6 septembre). À bientôt vingt-cinq ans, Sablé entame son neuvième exercice au sein d'une équipe avec laquelle il a connu le pire et le meilleur...

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Quand on évolue dans une équipe depuis tant d'années, qu'on a assisté à tous les changements au sein du staff et de la direction, n'est-on pas celui qui connaît le mieux le club, finalement?
C'est vrai que je connais tous les rouages de ce club, où j'ai tout vécu et où j'espère vivre encore beaucoup de choses. Je connais tous les recoins de la maison...
En tant que joueur, c'est un avantage?
Oui et non. Le fait est que je n'ai pas eu d'expériences dans d'autres clubs. D'ailleurs, j'aime beaucoup parler de leur vécu avec les joueurs qui intègrent notre groupe, ce qui me permet d'être conscient de la chance que j'ai d'être capitaine d'une équipe comme Saint-Étienne.
Ce statut particulier de joueur symbole, notamment pour les supporters, n'est-il pas parfois un peu lourd à porter?
Je n'ai pas toujours eu ce statut. Je suis passé par tous les états ici: j'ai été sifflé par le public, parce que j'avais commis des erreurs — et ça m'a aidé à évoluer. Mais quand ça arrive, ce n'est pas facile. Aujourd'hui, je suis apprécié et je représente certaines valeurs de la région et de la ville, alors ce n'est pas lourd à porter. J'essaie d'être le plus naturel possible, je ne me prends pas pour un autre: j'ai des responsabilités, mais j'essaie de les assumer au mieux et si je fais une erreur, je l'assume aussi.
Ces responsabilités impliquent-elles d'être le porte-parole du club auprès des supporters?
J'essaie d'être disponible, parce que c'est grâce à eux que nous avons un tel club, parce qu'ils nous sont fidèles même dans les pires moments. Ils étaient 12.000 en moyenne quand nous avions failli descendre en National... J'explique à mes coéquipiers qu'il faut redonner le maximum aux gens. Nous sommes chanceux d'avoir autant de supporters qui viennent nous voir en match ou à l'entraînement, même s'il y a le revers de la médaille, avec beaucoup plus de pression qu'ailleurs.
Lors des crises, comme à la fin de la saison passée, vous demande-t-on d'aller voir les supporters pour apaiser les esprits?
Non. L'an passé, concernant le nouveau président et le nouveau coach, on savait que le retour à la normale passerait par les performances collectives sur le terrain. Les paroles n'auraient servi à rien à cette époque. Il fallait se créer une nouvelle identité et être très solidaire.
Votre fidélité devient assez rare. Peut-on encore envisager d'effectuer toute sa carrière dans le même club?
Sincèrement, je pense que oui, surtout dans un club comme Saint-Étienne, passionné et passionnant. Il faudra que nous progressions ensemble. De toute façon, je suis le même parcours que le club: j'ai chuté en même temps que lui, j'ai profité de son retour au premier plan. Nous sommes donc liés.
On a pourtant l'impression que, pour les joueurs, c'est presque devenu une obligation professionnelle de changer de club...
J'ai pensé ainsi, à un moment. Si j'ai été sifflé par le public, c'est justement parce que j'avais exprimé l'envie de partir. Je n'ai pas toujours eu foi en Saint-Étienne. Mais aujourd'hui, je n'ai aucun regret et je remercie Frédéric Antonetti ne m'avoir retenu, à l'époque. C'était une grande mode de changer d'équipe, mais quand vous avez la possibilité de connaître un club aussi médiatisé que l'ASSE — même s'il n'est pas encore redevenu le grand club qu'il a été —, de connaître une telle ferveur, même en Ligue 2, c'est une chance.
Mais quand on voit un joueur comme Zokora, qui évolue à un poste analogue au vôtre, et qui reçoit des sollicitations au bout d'une saison…
C'est le football d'aujourd'hui… Surtout, Didier a apporté quelque chose de nouveau dans notre championnat : il n'y a pas beaucoup de joueurs comme lui dans le monde. Ce qui fait la force d'une équipe, c'est qu'il y a des joueurs qui sont là pour être fidèles, qui ont une "identité club", et d'autres qui font progresser l'équipe pendant une, deux ou trois années, avant de partir et d'apporter ainsi quelque chose au club financièrement, via leur transfert. Le foot est aussi un business. Cela a quand même été un signe fort d'avoir réussi à garder Zokora.
N'est-ce pas un peu ingrat d'être un "joueur de club"? N'est-ce pas difficile de se valoriser, par exemple aux yeux d'un sélectionneur national ou d'un entraîneur étranger?
J'ai signé jusqu'en 2010 et je ne vois pas mon avenir ailleurs qu'à Saint-Étienne. Mais évidemment, dans le football, on ne sait pas de quoi l'avenir sera fait. Je ne vais faire de la langue de bois en disant "je vais rester toute ma vie à Saint-Étienne". Si je peux le faire, je le ferai. Mais pour cela, je devrai continuer à progresser, et le club aussi, parce que nous avons tous de l'ambition. Pour les sélections, je ne pense pas que ce soit un désavantage d'être ici ou d'être fidèle à un club. Il faut jouer des matches européens, par exemple, mais cela passe avant tout par des succès collectifs. Si le collectif est visible, les individualités vont ressortir d'elles-mêmes.
Votre agent doit être malheureux, alors…
Non, puisqu'il renégocie (rires).