Je hais la Coupe du monde
Le football est un sport cruel, dans lequel tout se joue sur un détail qui peut vous faire perdre très gros. Comme votre amour propre, au profit de vainqueurs qui ne l'avaient pourtant pas mérité.
Auteur : Monsieur Foot
le 6 Sept 2006
Notre sport favori connaît, tous les quatre ans le même formidable engouement (je rappelle par précaution que quatre ans seulement séparent 1998 de 2006). Hélas, le corollaire de cet intérêt soudain de la quasi-totalité de la population pour le football revient avec la lassante régularité d’un ballon de Bernard Mendy dans les virages auxquels il fait face.
Renversement de tendance
Partout, on s’indigne et on s’outrage: le football serait un sport de veaux, vecteur d’un nationalisme rampant. Ce genre d’amabilités, adressées aux sélections avec la constance dont Jean-Michel Aulas ferait preuve à un congrès “Orthopédie et Antilles: les soucis de la France qui gagne”, irrite certains (1).
Ma haine se place toutefois au dessus de ces considérations (ou en dessous, c’est selon) mais procède de la même cause: la banalisation du football. Ô, j’ai pourtant appris à accepter le footixisme, comme Bénichou à recevoir des coups dans la gueule: avec douleur. Mais on se fait à tout, sans doute.
L’inacceptable tient bien plutôt au comportement de nos compagnes, qui deviennent soudain d’une tolérance digne de Graham Poll. Celles-là même qui prenaient comme un affront personnel nos visites à Gerland, même les soirs de Ligue des champions (“Mais je te promets qu’en avril, c’est fini”), nous laissent maintenant, amusées et attendries, regarder un Suisse-Ukraine. Mieux, elles convient à cette forme de sommet du football mondial, une foule mixte et enjouée, bien qu’assez ignorante de la chose footballistique.
La gloire de l'expert
Et c’est bien là le problème. Car, face à ces gens qui ne connaissent du football qu’assez de choses pour savoir quand déclencher leur rires (ce qui permet, par parenthèse, aux supporters du PSG de passer pour de fameux boute-en-train), vous avez un statut d’expert. Le seul, les amis qui vous tiennent d’habitude lieu de co-explorateurs de la gastronomie à emporter italienne vous ayant fait faux bond, conscients qu’ils sont du danger de ce genre de rassemblement.
Ce danger, vous l’ignorez. Vous y croyez comme avant un match contre Liberec. Ça y est, votre heure de gloire est arrivée: vous êtes Llacer en finale de Coupe de France, vous êtes le voisin geek d’Angelina Jolie quand son ordinateur tombe en panne, vous êtes Michael Phelps à la mer, vous êtes Gregori Perelman au concours Kangourou… Vos heures passées à lire France Foot et à regarder jouer Maritimo Funchal le lundi soir sur Canal+ Sport vont enfin vous faire briller en société, tout cela n’aura pas été vain.
Le moment tragique des tirs au but
Rapidement, les béotiens s’impressionnent de la pertinence de vos analyses et s’étonnent de vous voir devancer le Christian Jeanpierre de service d’une bonne minute (Attention: deux assertions antinomiques, se sont glissées dans cette phrase; sauras tu, ami lecteur, les retrouver?). Vous ne marchez plus sur l’eau, vous volez, ignorant que vous attend un destin à la Icare Casillas.
Quand arrive le moment tragique des tirs au but, à la fin de ce Suisse-Ukraine. Est-ce la Hoegarden ou sont-ce vos efforts inlassables depuis deux heures, pour défendre l’idée que le football est un sport passionnant, face à des images qui montrent le contraire…? Toujours est-il que vous hésitez un instant, au moment où il s’empare du ballon, à rappeler l'audace qu'avait eu ce Milevskyi lors de l’Euro Espoirs. Le temps de reprendre de la regina et votre bonne amie vous a devancé: “Il va sûrement faire une paprika”, déclare-t-elle.
La "paprika" réussie, vous savez enfin ce que ressent un gardien dans ces moments là.
Le regard perdu, la bouche ouverte sur le champignon coincé entre vos incisives, vous regardez se couvrir de gloire celle qui vous demandait hier pourquoi Domenech ne faisait pas jouer Juninho. Une jeune femme pour qui la Tchécoslovaquie des années 70 n’évoque rien d’autre que le Pacte de Varsovie. Mais qui, pour tous les convives présents, aura la réputation "de mieux s’y connaître que toi en foot”.
Le constat est aussi simple qu'effrayant: on peut lire Cosmo en suivant un match sur W9. Et s’en souvenir.
Il y a tout de même plus à plaindre que moi: Pascal Zuberbühler, qui a dû lire dans la touffeur lasse du vestiaire suisse un sms lapidaire de Madame: “J te laV bi1 di”. Courage Zubi, les Bâle-Inter à minuit sur Eurosport, ils sont pour nous et rien que pour nous.
(1) Voir notamment "Je sais rien mais je dirais tout" de Philippe Val, aux éditions Charles Ély Hebdo.